L'ange au sourire, statue présente sur la Cathédrale de Reims | © Eric Santos/Wikipedia Commons/CC BY 3.0
Suisse

Quand Pâques invitait au rire...

Pour débuter la semaine qui célèbre la résurrection du Christ, il était d’usage, entre le IXème et XVIIème siècle, de faire rire les fidèles lors de l’office pascal. Retour sur une pratique rituelle qui puise ses origines dans les cultes païens agraires.

Lundi de Pâques au Moyen-Âge ou à la Renaissance. L’ambiance est à la fête pendant l’office pascal. Une assemblée de fidèles rient de bon cœur. Nous venons d’entamer la semaine dite «radieuse» en Orient, celle qui correspond à l’Octave de Pâques – soit les huit jours suivant le dimanche de Pâques. Le Christ ressuscité, les offices deviennent plus joyeux; le chant est de retour, et l’on s’adonne à une pratique inattendue pour une église: le rire. 

Une expression de la joie pascale

D’usage entre le IXème et XVIIème siècle, à l’occasion de la Messe de la Résurrection, le risus paschalis (rire pascal) avait pour but d’amuser et d’attirer les fidèles pour célébrer la bonne nouvelle de la Résurrection. D’après l’historien Mikhaïl Bakhtine, «la tradition ancienne permettait le rire et les plaisanteries licencieuses à l’intérieur de l’église à l’occasion de Pâques. Du haut de sa chaire, le prêtre se permettait toute sorte de récits et plaisanteries.» (1) A l’extrême, l’on pouvait assister à la simulation de gestes et actes obscènes. 

Une pratique réprimée par le haut clergé

Alfonso Carrillo de Acuña, archevêque de Tolède | Wikimedia Commons

Cette pratique, dans sa déclinaison la plus inconvenante a été réprimée à son époque par le haut clergé. En Espagne, par exemple, le concile d’Aranda de 1473, organisé à l’instigation de l’archevêque de Tolède, Alonso Carrillo de Acuña, a pour but de recadrer un clergé «quelque peu apathique, parfois ignorant, voire aux mœurs légères». (2) Le 19ème règlement qui y est adopté «défend de représenter des comédies et d’autres spectacles, de faire des mascarades, de réciter des chansons et de tenir des discours profanes dans les Églises». (3) Cette expression populaire de la joie pascale, dont le rire est le médium, doit cependant être interprétée à la lumière d’une civilisation chrétienne qui s’étend du Haut Moyen Age à la Renaissance tardive, dans des contextes politiques et régionaux distincts et variés. L’une des premières occurrences du risus paschalis dans les sources historiques remonterait ainsi à l’an 852, à Reims, en France. La plus récente date de 1886, où un prédicateur aurait interdit cette pratique. Le risus paschalis, dans un spectre temporel très variable, a donc eu une longue existence. 

Saluer le renouveau

Après quarante jours de Carême, temps dédié à la prière, à l’introspection et au jeûne, la Résurrection du Christ invite à la réjouissance des fidèles: une nouvelle étape commence. Le mot Pâque au singulier – Pessa’h en hébreu -, porte en lui cette notion de «passage»: il vient de la racine hébreu «P.S.H», qui signifie  «passer au-dessus». Cette célébration est donc une fenêtre ouverte sur le renouveau, à l’image du printemps, dans un temps non plus liturgique, mais organique et séculaire. En fait, le rite du rire pascal puiserait ses origines dans les «mystères païens et les cultes agraires du printemps» (4), plus précisément au culte de la déesse grecque de l’agriculture, Déméter. L’anthropologue et sociologue Jean-Louis Olive voit «un parallélisme païen-chrétien (…) entre la Dei Mater ou Déméter et la Mère de Dieu ou la Vierge». Des origines païennes pour une même réjouissance: celle de la vie qui réapparaît, dans la nature et par le Christ.

L’exaltation du corps

Bas-relief de Déméter/ Cérès, déesse de l’agriculture et de la végétation | DR

De même, après le jeûne et l’abstinence du Carême, c’est le retour à la vie sexuelle qui est exalté. Dans son livre, Le risus paschalis et le fondement théologique du plaisir sexuel (5),  l’anthropologue catholique Maria Caterina Jacobelli, interprète le rire pascal – provoqué par l’imitation d’actions sexuelles et un certain exhibitionnisme du corps à Pâques, comme le signe d’une réalité sacrée. Via une approche à la fois anthropologique, historique et théologique, sa thèse soutient que le plaisir sexuel nous rapproche de Dieu, voire qu’il est même son empreinte au cœur de la créature humaine. L’auteure, qui est également anthropologue culturelle, réconcilie dans son ouvrage le sexe et le sacré, le corps et l’esprit.

Un rite passé aux oubliettes

Qu’en est-il, aujourd’hui, du rire pascal? Quand celui-ci n’est pas totalement méconnu ou volontairement écarté, on le voit renaître sous la forme d’un clin d’œil historique. En Suisse romande, Martin Hoegger, pasteur retraité de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), célébrait «la bonne nouvelle» en racontant des blagues recueillies pour l’occasion, en préambule ou à l’issue de l’office. Aujourd’hui encore, son florilège va grossissant, pour le seul plaisir de la convivialité créée autour du rire ensemble. Si la pratique du rire pascal n’est plus, c’est que les sermons se sont aussi adaptés aux fidèles, dans le ton et dans les mœurs. (cath.ch/jds)

(1) Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, 1970, Gallimard, p.87
(2) Fernando Martín Pérez, 1473 – Le concile d’Aranda, in Espagnes Médiévales, mis en ligne le 4/10/2019. Permalien : http://espagnesmed.hypotheses.org/?p=260
(3) Louis Ellies Dupin, Histoire des controverses et des matières ecclésiastiques, Pralard, 1701, p.433
(4) J.-L, Olive, Le rire rituel, usage résiduel ou invariant spirituel?, in Alastair B Duncan, Anne Chamayou, Le rire européen, Presses universitaires de Perpignan, 2010, pp.35-61.
(5) Maria Caterina Jacobelli, Il risus paschalis e il fondamento teologico del piacere sessuale, Brescia, Queriniana, 1991.

L'ange au sourire, statue présente sur la Cathédrale de Reims | © Eric Santos/Wikipedia Commons/CC BY 3.0
12 avril 2022 | 17:20
par Jessica Da Silva
Temps de lecture : env. 4  min.
humour (12), Paganisme (4), Pâques (195), Résurrection (46), rire pascal (1), sexualité (26)
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