Quand le mariage n’en est finalement pas un
Un mariage peut, dans des circonstances particulières, être reconnu comme ‘nul’ par l’Église. Quand? Pourquoi? Comment? Ces questions ont fait l’objet d’une soirée d’information proposée par la pastorale des couples et familles du canton de Vaud.
«Cela a été une guérison intérieure», confie Sandra à propos de la démarche de reconnaissance de nullité de son premier mariage. La femme d’une quarantaine d’années témoigne avec émotion de son expérience lors de la soirée de formation sur cette procédure canonique.
En ce 11 septembre 2024, à Lausanne, une vingtaine de personnes sont au rendez-vous pour en savoir plus sur la reconnaissance de nullité d’un mariage religieux. Le principal intervenant de la soirée est l’abbé Jacques Papaux, l’official du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF).
«J’ai eu l’impression que quelque chose qui traînait avait enfin été réglé» – Sandra
«Il s’agit d’informer les personnes intéressées sur cette procédure encore quelque peu méconnue, précise l’agente pastorale Monique Dorsaz en introduction. Nous avons été encouragées en ceci par des demandes régulières à ce sujet. Ainsi que pas des témoignages de personnes ayant franchi le pas, qui souhaitaient aider d’autres se trouvant dans une situation similaire. L’idée est aussi de rappeler que la sévérité et la dureté de l’Église dans le domaine du mariage n’est plus de mise aujourd’hui. Il y a eu un vrai changement.»
«Comme quand on range sa cave»
Pour Sandra, comme pour bien d’autres, l’obtention de la reconnaissance de nullité a signifié le début d’une nouvelle vie. «C’est comme ranger sa cave. Quand cette pièce est en désordre, ça ne se voit pas de l’extérieur, mais ça ne nous laisse pas tranquille. Lorsque la procédure a abouti, j’ai eu l’impression que quelque chose qui traînait avait enfin été réglé.» Surtout, cette reconnaissance a permis à Sandra d’épouser à l’église Carlos, celui à qui elle était déjà unie civilement et qui lui avait donné deux filles. Ce qui aurait été impossible si elle avait été encore officiellement mariée.
L’officialité a reconnu plusieurs causes justifiant la déclaration de nullité. Elle a pu démontrer que, lors de son premier mariage au Chili, elle était sous l’emprise de médicaments ayant altéré son discernement. Son ex-mari souffrait en outre de troubles psychiatriques ayant également pu brouiller son raisonnement. Le couple s’était séparé deux ans après leur union, ayant constaté l’impossibilité de vivre ensemble.
Pouvoir communier à nouveau
Par la suite, elle a rencontré Carlos. Présent aux côtés de son épouse lors de la soirée, ce dernier a aussi bénéficié d’une reconnaissance de nullité de son premier mariage. La cause retenue a été celle du «défaut de liberté interne». L’union avait été réalisée dans l’urgence, les époux devant partir à l’étranger pour effectuer des études.
Suite à l’aboutissement des deux procédures, Sandra et Carlos se sont mariés devant le prêtre en 2019. Un apaisement également pour le mari, qui, voulant respecter les règles de l’Église, s’était abstenu de communier pendant 15 ans. Un brise-cœur pour cet homme très croyant et qui communiait jusqu’alors quotidiennement. «Je n’ai même pas pu communier aux funérailles de ma mère. Je me sentais rejeté», témoigne-t-il avec émotion. La reconnaissance de nullité de son premier mariage l’a donc libéré, lui permettant de renouer avec le sacrement.
«Le tribunal ecclésiastique ne dissout pas un mariage qui a existé»
«Depuis les synodes sur la famille et l’exhortation Amoris laetitia (2016), la porte des sacrements comme l’Eucharistie ou la réconciliation n’est pas fermée aux personnes qui ont connu un échec dans leur mariage et sont en nouvelle union, relève Monique Dorsaz. L’Église propose de les accompagner dans leur discernement. Elle reconnaît leur désir et valorise aussi leur conscience.»
Quand Dieu n’a rien uni
En ce qui concerne la déclaration de nullité d’un mariage, «la question du discernement est la plus courante en Occident», note Jacques Papaux. Appelé aussi ‘vicaire judiciaire’, il exerce en tant que juge ecclésiastique depuis 2018. Il présente, lors de la soirée d’information, les principaux éléments juridiques de la question.
Car le droit canon encadre précisément la procédure. Une démarche qui n’a rien à voir avec un divorce, souligne l’official. On ne parle ainsi pas ‘d’annulation du mariage’, mais de reconnaissance de nullité (ou déclaration de nullité). Relevant la parole de l’Évangile enjoignant l’homme à ne pas «séparer ce que Dieu a uni», Jacques Papaux rappelle que le tribunal ecclésiastique ne dissout pas un mariage qui a existé. Il constate qu’il n’y a pas eu de mariage, car celui-là était invalide dès le début.
Les causes de cette invalidité sont nombreuses, ainsi que les cas particuliers. Mais, principalement, un mariage peut être reconnu nul s’il n’y a pas eu de consentement véritable, si la forme canonique n’a pas été observée, ou s’il existait un empêchement canonique au mariage. Les trois grandes catégories retenues étant: le défaut de connaissance, le défaut de volonté et le défaut de capacité à consentir.
Des requérants présupposés sincères
Un autre témoignage est celui d’Ana, une agente pastorale vaudoise d’une soixantaine d’années originaire d’Espagne. Mariée pendant sept ans dans ce pays, puis séparée. Le mariage avait eu lieu dans un contexte culturel très traditionnel, où il était inconcevable qu’une jeune fille ne se marie pas à l’église. A l’époque de son premier mariage religieux, ni Ana, ni son ex-mari n’étaient pratiquants. Quelques années après son divorce, Ana a fait une redécouverte de la foi. Elle a depuis communié en accord avec sa conscience et son désir profond. Elle a ensuite rencontré un homme qu’elle a épousé civilement en 2002. Souhaitant s’unir sacramentellement à lui, elle a entrepris la procédure de demande de nullité qui a abouti. Ils se sont mariés à l’église 16 ans après leur mariage civil.
Les témoignages ont battu en brèche l’idée d’une procédure longue et complexe avec peu de chances de réussite et une suspicion généralisée de l’Église. L’officialité part en effet du principe que les personnes requérantes sont sincères. «Ces gens viennent pour être apaisés au fond de leur cœur, ce n’est pas le genre de choses que l’on obtient en étant dans le mensonge», relève Jacques Papaux.
«Lorsque la vie à deux n’est réellement plus possible, le droit canon admet le principe de la ‘séparation de corps’»- Abbé Jacques Papaux
Pour autant, la démarche n’est jamais prise à la légère. Et la procédure toujours appliquée avec une rigueur qui reflète l’attachement de l’Église catholique à l’institution du mariage. Une cause n’est généralement déclenchée que lorsqu’un divorce civil a été prononcé. La procédure ordinaire implique notamment des entretiens, des auditions des époux, ainsi que des témoins, et si besoin, des consultations d’experts, par exemple des psychiatres. A noter que la participation du conjoint de la personne requérante n’est pas obligatoire. Même si cela peut faciliter le processus.
Pas une solution pour les difficultés de couple
Dans le diocèse de LGF, une trentaine de demandes sont traitées chaque année, avec un taux «relativement élevé» d’obtention, indique Jacques Papaux. Un nouvel intérêt pour la reconnaissance de nullité s’est développé à l’occasion de sa simplification par le pape François, en 2015. Tout en sauvegardant le principe d’indissolubilité matrimoniale, la lettre pontificale a accéléré les procédures en passant par un seul jugement au lieu de deux précédemment, et en établissant un «procès plus bref» pour les cas de nullité les plus «évidents».
La gratuité est en principe de mise pour la procédure, mais la Conférence des évêques suisses (CES) a prévu un tarif de 400 francs.
Face à plusieurs cas présentés lors de la séance de questions, l’official insiste sur le fait que des conditions spécifiques au moment du mariage sont requises pour une reconnaissance de nullité. «La lassitude, l’infidélité ou le refus de relations sexuelles ne sont pas des motifs forcément suffisants», souligne l’abbé. Il conseille aux personnes traversant des difficultés de couple d’aller d’abord trouver un prêtre ou un conseiller conjugal. Il remarque que, lorsque la vie à deux n’est réellement plus possible pour des questions par exemple de violence, le droit canon admet le principe de la «séparation de corps». (cath.ch/rz)