Professeur Nile Green: pour une alternative au pèlerinage à La Mecque

Los Angeles/Beyrouth, 19.10.2015 (cath.ch-apic) Existe-t-il, pour les musulmans, une alternative au «Hajj», le grand pèlerinage à La Mecque, qui fait partie des cinq piliers de l’islam? Il pourrait y avoir des destinations de remplacement qui échapperaient à l’idéologie wahhabite qui y règne, estime le professeur Nile Green, de l’Université de Californie (UCLA).

Selon la tradition théologique musulmane, c’est une obligation pour tout musulman de faire le pèlerinage à La Mecque une fois au cours de sa vie, pour celui qui en est physiquement et financièrement capable. Cela n’a pas toujours été le cas, affirme Nile Green.

Pour ce professeur d’histoire et spécialiste des communautés musulmanes au Département d’histoire de l’UCLA à Los Angeles, dans la pratique, ce n’est qu’à une époque récente que le pèlerinage à La Mecque a pris une telle dimension dans la foi islamique.

La grande majorité des musulmans ne se rendait pas à La Mecque

En fait, relève-t-il, pendant la plus grande partie de l’histoire de l’islam, la grande majorité des musulmans ne se rendait pas à La Mecque. Ils effectuaient plutôt des pèlerinages localement dans les nombreux lieux saints qui existent aujourd’hui encore dans les pays musulmans, écrit-il dans le quotidien libanais «L’Orient-Le Jour» du 19 octobre 2015.

«Certains sanctuaires sont consacrés à des prophètes du Coran plus anciens que Mahomet, d’autres à des imams chiites ou des saints soufis; d’autres encore sont dédiés à des femmes musulmanes sanctifiées. Le nom d’un lieu saint, la nécropole de Makli (qui signifie ‘petite Mecque’) au Pakistan, révèle son ambition de devenir une destination de remplacement pour les pèlerins, souligne le professeur américain.

Le tourisme religieux a joué un rôle de premier plan dans l’économie de la région au XIXe siècle, jusqu’à l’arrivée des entreprises pétrolières américaine dans les années 1930. La Mecque dépendait auparavant presque entièrement des recettes liées aux pèlerins. «Mais après que la famille royale saoudienne ait pris le contrôle de la ville en 1924, le nombre de visiteurs a augmenté en flèche», poursuit-il.

Propagation de l’islam wahhabite

Dès lors que le gouvernement saoudien a pris le contrôle de La Mecque, il a utilisé ce lieu et le pèlerinage qui lui est lié comme pièces maîtresse de sa stratégie visant à placer le royaume au centre du monde musulman et à propager l’islam wahhabite. «A peine en possession de la ville, la famille royale saoudienne avait donné l’ordre de détruire les sanctuaires chiites et soufis qui aurait pu faire de l’ombre à son monopole revendiqué sur les rituels du pèlerinage».

Pour maintenir leur influence, les Saoudiens cherchent chaque année à maximiser les flux de pèlerins. Il semble que cette stratégie porte ses fruits. En effet, note le chercheur américain, il arrive souvent que des pèlerins indiens ou indonésiens, par exemple, adoptent des principes religieux stricts et conservateurs à leur retour de La Mecque.

Une vision ultraconservatrice

Même si les autorités saoudiennes elles-mêmes avouent que la ville accueille plus de pèlerins qu’elle ne peut en gérer – la catastrophe de septembre dernier a fait près de 1’800 morts! – elles vont continuer sur leur lancée.

«Il est peu probable que l’élite saoudienne modifie son approche, même confrontée à des bilans catastrophiques de victimes. Il revient au reste du monde musulman de proposer des alternatives à l’idée récente, défendue par les Saoudiens wahhabites et d’autres ultraconservateurs, que La Mecque est le centre inévitable et incontournable du monde musulman».

Endiguer la mainmise des wahhabites sur la foi islamique

Mais pour le professeur Nile Green, «rien n’empêche des gouvernements musulmans de prendre exemple sur les Saoudiens et de promouvoir des sanctuaires négligés dans leur propre pays. Cela permettrait non seulement de réduire le nombre de visiteurs se rendant à La Mecque, rendant le pèlerinage plus sûr, mais obligerait également l’Arabie saoudite à partager les profits faramineux engendrés par le tourisme religieux. Et de manière plus importante, se départir du concept moderne du ‘hajj’ en faveur d’une version plus pluraliste du pèlerinage pourrait endiguer la mainmise des wahhabites sur la foi islamique». (apic/orj/be)

 

 

Nile Green, professeur d'histoire à l'Université de Californie UCLA
19 octobre 2015 | 13:48
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 3  min.
Partagez!