Proches-aidants: le formidable goût de la vie
Aidants, aidés, destins croisés. Sous ce titre, l’auteure Nicole Von Kaenel et la photographe Sarah Carp ont réuni huit récits de vie de proches-aidants dans un livre et une exposition présentés le 29 octobre 2018, à Sion. En 220 pages, elles racontent ces destins brisés, mais surtout le formidable goût de la vie.
Le grand hall d’entrée de la clinique de réhabilitation de la SUVA, à Sion, s’amine des grandes photos lumineuses de Sarah Carp. Sous les néons, Julien et sa famille, Loli et Manu, Simone et Johny, Sara et son père, Diana et Paulette… se racontent pour les centaines de patients et leurs proches aidants qui passeront chaque jour devant les panneaux. Le choix du lieu d’exposition ne doit évidemment rien au hasard. «Chez les personnes concernées, je crois que l’émotion est grande de voir que le projet a abouti que l’exposition existe. C’est une reconnaissance importante», commente Nicole Von Kaenel.
Tout commence par une chute dans la baignoire
«Le 21 septembre 2013, je fais une chute dans ma baignoire. Je me réveille au CHUV avec cinq vertèbres lombaires et trois cervicale fissurées. Je suis à moitié paralysée. Mon compagnon et mon fils alors âgé de 15 ans deviennent mes proches-aidants, explique Nicole Von Kaenel. Je mettrai deux ans à remarcher.» De là à vouloir explorer le lien entre les personnes handicapées, malades, âgées et leurs proches, le pas s’est fait naturellement. Un premier contact fourni par un rhumatologue et les choses se sont enchaînées, l’aventure a démarré en 2016. Des onze familles rencontrées, toujours par l’intermédiaire de professionnels, huit ont suivi la démarche jusqu’au bout en acceptant de se raconter et de se confier à l’objectif de la photographe.
Sarah Carp, la photographe, a vécu l’expérience de l’autre bord, celui de personne aidante: «J’ai eu un frère né avec une grave malformation cardiaque. Il a toujours eu besoin d’attention et de soins particuliers jusqu’à sa mort à l’âge de 18 ans, dans un café. J’ai toujours eu un peu peur de le photographier. J’ai réussi à le faire qu’un an avant sa mort. Pour lui, cela ne lui posait pas de problème. Il était même plutôt heureux que je prenne le temps de m’intéresser à lui à travers la photo. A sa mort, j’ai fait mon travail de deuil, par la photo. Ce vécu m’a beaucoup aidé dans cette démarche.»
Mais l’histoire de Sarah ne s’arrête pas là. Plus tard, un autre frère est atteint d’une leucémie. Elle lui donne des cellules-souches et décide de l’accompagner par la photo dans sa maladie. Elle en a fait un livre et une exposition Donneuse apparentée. «Quand on m’a proposé ce projet, j’ai été emballée. Je pense que par mon histoire, j’ai pu entrer dans la vie de ces gens avec empathie. En voyant Julien, je me revoyais avec mon petit frère malade et mes parents.»
Complices mais indépendantes
«Nous avons travaillé ensemble dans une vraie complicité, mais de manière indépendante, Sarah n’a pas lu mes textes et je ne suis pas intervenue dans son travail de photographe. En fin de compte les deux choses correspondaient très bien. Nous avons uniquement fait un travail d’édition pour affiner les ajustements», explique Nicole. Confrontées à l’histoire vécue par ces familles, les deux femmes ont laissé parler leur émotion, souvent dans le rire et la gaieté, parfois dans les larmes. Les familles rencontrées sont très vite devenues des proches.
«J’ai écrit les textes au fur et à mesure des rencontres, avec de nombreux aller-retour. Tous mes récits ont été validés par les personnes concernées. Il en a été de même pour les photos. On m’a dit que mes textes étaient un peu philosophiques, mais je n’ai jamais cherché à changer la situation, ni à la cacher sous la beauté du texte», relève Nicole.
Célébrer la vie
Au-delà du drame, de la souffrance et des multiples difficultés, le livre célèbre la joie, l’amour, l’espérance et pour certains la foi. «Les parents de Julien, jeune garçon infirme moteur cérébral (IMC), remercient Dieu d’avoir eu cet enfant. Avec 8’500 francs, ils ont construit dans la cave de leur maison, une petite piscine où Julien peut se détendre et s’ébattre. Leur fils leur a permis de grandir. J’ai rencontré de ‘belles âmes’», apprécie Nicole.
«J’ai aussi voulu voir cet aspect-là, enchaîne Sarah. La souffrance est là, mais la vie la surpasse. Diane a eu la tête fracassée dans un accident de la route. Elle a voulu se tenir debout pour la photo pour montrer la force qu’elle met dans son combat. Le papa de Julien s’amuse à faire des acrobaties avec le fauteuil de son fils.»
Sortir du cycle de la perfomance
Anna de son côté se retire, quinze jours par an, seule dans un monastère en silence, pour se ressourcer face à l’épreuve de la sclérose en plaques de son mari. Dans toutes les situations rencontrées, l’épreuve a renforcé le lien. Les deux filles de Manu et Loli se sont retrouvées avec leur papa hospitalisé pour un cancer et leur maman en hôpital psychiatrique pour une dépression profonde. Elles ont su faire face.
Pour Nicole, les proches-aidants rencontrés sortent du système de performance et de compétition de la société contemporaine qui veut tout comptabiliser. Après quelques années, beaucoup jugent que cela a été une chance pour eux. Ils sont unanimes à dire qu’ils ont grandi. Cette expérience vaut aussi pour les aidés. Tel cet homme condamné à la chaise roulante qui a retrouvé le temps de lire, de parler à sa femme, de voir plus souvent ses petits-enfants. Il n’a plus d’urgence.
Une meilleure reconnaissance
Les proches-aidants ont néanmoins aussi besoin d’aide, nuance Nicole. Ils connaissent presque tous des phases difficiles avec un sentiment d’impuissance et de tristesse. Pour certains, c’est même parfois le burn-out. Il ne faut pas le taire. Beaucoup attendent d’être soulagés, pour avoir un peu plus de temps à eux. Lorsque tout est consacré à un seul membre de la famille, le conjoint, les frères et sœurs peuvent finir par en souffrir. Il faut retrouver du temps pour aimer les autres.
Les diverses interventions parlementaires, aux plans cantonaux et fédéral pour une meilleure reconnaissance des proches-aidants vont heureusement dans ce sens.
L’idée de l’exposition est survenue dans un second temps pour élargir la découverte à un public plus large et lui permettre de découvrir les photos de Sarah Carp. Pour Nicole et Sarah, l’engagement des proches-aidants est essentiel et irremplaçable: «Le directeur des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) m’a dit un jour que s’il fallait rémunérer les proches-aidants, il faudrait doubler les dépenses de la santé en Suisse!»
Nicole Von Kaenel
Née en 1962 à Lausanne, Nicole Von Kaenel a passé sa carrière dans les relations publiques notamment comme attaché de presse de l’Opéra de Lausanne. Elle créé ensuite sa propre agence de communication active essentiellement pour le milieu culturel.
Sarah Carp
Sarah Carp est née en 1981 à Zurich. Elle obtient son diplôme à l’Ecole de photographie de Vevey en 2003. Elle est l’auteure de plusieurs livres et expositions pour lesquels elle a reçu divers prix.
Nicole Von Kaenel: Aidants, aidés, destins croisés, 8 récits de vie, Photographies de Sarah Carp, 224 pages, Association Belles Pages, 2018 | www.destinscroises.net
L’exposition Aidants, aidés, destins croisés, 8 récits de vie est visible jusqu’à la fin de l’année:
à la clinique romande de réadaptation de la SUVA, Av. Grand-Champsec 90, à Sion
aux Etablissements hospitaliers du Nord-Vaudois, à Yverdon-les-bains