Procès Becciu: un avocat dénonce les intimidations de Gianluigi Torzi
Au cours de la 53e audience du procès de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’, le 29 mars 2023, le tribunal a entendu comme témoin l’avocat Shantanu Sinha, qui a expliqué pourquoi la secrétairerie d’État, pour laquelle il a travaillé, n’avait pas immédiatement entamé des poursuites judiciaires contre Gianluigi Torzi quand ce courtier italien avait pris le contrôle du bien immobilier en 2018. L’avocat britannique a aussi confié s’être senti « menacé » par le courtier, qui est aujourd’hui accusé d’extorsion par la justice vaticane.
En octobre 2018, afin de reprendre le contrôle de l’immeuble de Londres, jusqu’alors confié au banquier Raffaele Mincione, le Saint-Siège décide de recourir aux services du courtier Gianluigi Torzi. Un accord négocié par ce dernier est finalement signé par la secrétairerie d’État lors d’une rencontre organisée dans la capitale britannique entre le 20 et le 23 novembre.
Quelques jours plus tard, la secrétairerie d’État réalise que le contrat qu’elle vient de signer accorde à Gianluigi Torzi toutes les actions bénéficiant d’un droit de vote – 1.000 actions – du fonds Gutt qui gère le bien immobilier. Le Saint-Siège a donc beau posséder les 30.000 actions restantes, c’est bien le courtier qu’elle vient d’engager qui a désormais le plein contrôle de l’immeuble.
C’est à ce moment que le Saint-Siège décide de faire appel au prestigieux cabinet d’avocats londonien Mishcon de Reya. Leur avocat Shantanu Sinha participe alors à deux réunions à Londres les 17 et 18 décembre 2018 en présence de Luciano Capaldo, un architecte anglais spécialisé dans l’évaluation des biens immobiliers qui aide le Saint-Siège, ainsi que de Fabrizio Tirabassi et d’Enrico Crasso, représentants du Saint-Siège aujourd’hui assis sur le banc des accusés.
La solution judiciaire écartée
Shantanu Sinha a confié avoir suggéré dans un premier temps au Saint-Siège de poursuivre Gianluigi Torzi pour fraude, escroquerie et tromperie. La secrétairerie d’État, explique-t-il, a refusé pour trois raisons : tout d’abord le risque en termes de réputation, ensuite la probabilité qu’une telle procédure prenne trop de temps, et enfin l’inquiétude de ce que Gianluigi Torzi pouvait faire de la propriété, en temps que gestionnaire disposant de tous les pouvoirs.
Le Saint-Siège craignait en effet que le courtier vende le bâtiment ou qu’il modifie la structure du fonds Gutt afin d’écarter définitivement la secrétairerie d’État. Le 24 décembre 2018, l’éviction de Fabrizio Tirabassi, représentant de la secrétairerie d’État, du conseil d’administration de la Gutt par Torzi, est perçue comme un premier signal allant dans ce sens.
La voie choisie par le Saint-Siège, qui envisageait tout d’abord qu’il puisse s’agir d’une erreur, est la négociation. Shantanu Sinha explique avoir donc proposé à Gianluigi Torzi de donner le droit de vote à toutes les actions afin que le Saint-Siège puisse reprendre le contrôle effectif de l’immeuble.
Mais le courtier originaire de Molise refuse. « Il est devenu très clair que la situation dans laquelle la Secrétairerie d’État s’était retrouvée, avait été conçue à dessein », souligne l’avocat.
Des emails menaçants
« L’ensemble du processus de négociation a été une démonstration très claire de leur force et de leur pouvoir [de Gianluigi Torzi et son équipe, NDLR] et la Secrétairerie a été effectivement laissée sans défense », a expliqué Shantanu Sinha, affirmant s’être senti « menacé » par Torzi.
Ce dernier, affirme-t-il, aurait laissé entendre qu’il souhaitait vendre le bien pour faire pression sur le Saint-Siège afin qu’il rachète à un prix élevé ses actions. Torzi a demandé 30 millions pour finalement obtenir 15 millions au début du mois de mai 2019. C’est pour cette manœuvre que le courtier est aujourd’hui poursuivi par la justice vaticane.
Pour justifier son impression, l’avocat britannique s’est appuyé sur deux mails envoyés par les représentants de Gianluigi Torzi en avril et mai 2019. Dans ces courriers, ils affirmaient vouloir prendre des « décisions fondamentales » qui impliquaient « un changement de propriétaire », pressant le Saint-Siège de signer la transaction dans un délai maximum de deux ou trois jours. Les emails ont été ajoutés aux actes du procès.
Un autre procès contre Mincione au Royaume-Uni
Lors de l’audience, Shantanu Sinha a expliqué qu’il ne travaillait désormais plus pour Mishcon de Reya. Cependant, au sein d’un autre cabinet, il défend toujours la secrétairerie d’État dans le cadre d’un autre procès au Royaume-Uni qui l’oppose actuellement à Raffaele Mincione, un des dix accusés du procès du Vatican.
Le juge demande encore à deux proches du cardinal Becciu de venir témoigner
À la fin de l’audience, le président du Tribunal du Vatican, Giuseppe Pignatone, a lu une ordonnance relative au « refus » de témoigner déjà soulevé le 8 mars dernier de Don Mario Curzu, directeur de la Caritas d’Ozieri en Sardaigne, et d’Antonino Becciu, frère du cardinal Angelo Becciu (accusé). Ces derniers, qui font l’objet d’une enquête du parquet italien de la ville de Sassari concernant leur rôle dans la gestion de la coopérative Spes et de la Caritas du diocèse sarde, avaient déclaré ne pas vouloir prendre le risque que leur témoignage soit utilisé contre eux.
Dans son ordonnance, Giuseppe Pignatone a réaffirmé que « toutes les garanties d’un procès équitable sont réunies » et a demandé aux deux témoins de se présenter devant le tribunal le 19 avril. (cath.ch/imedia/ici/cd/mp)