Présidentielles: le silence contesté de la Conférence des évêques de France
Après le premier tour des présidentielles, la Conférence des évêques de France (CEF) a refusé de donner une consigne de vote. En n’appelant pas à voter contre Marine Le Pen, elle s’est attiré les foudres de nombre de catholique engagés qui appellent à faire barrage contre le Front national.
«Evêques, sortez le loup frontiste de la bergerie catholique!» Dans Le Monde du 28 avril, le journaliste Jean-François Bouthors apostrophe les évêques français. «Vous ne pouvez, Messeigneurs les évêques, vous laver les mains de la banalisation d’un projet qui piétine toutes les valeurs évangéliques, alors même que le pape François ne cesse de rappeler ces valeurs et son inquiétude face à la montée de l’extrême droite et de la xénophobie en Europe».
De son côté, Henri Tincq, ancien du Monde, dit sa «honte d’être catholique» sur son blog (slate.fr): «On dirait que les évêques de France ont déserté l’espace du débat public. On les sait paralysés par le scandale de la pédophilie des prêtres (…), soumis aux attaques d’une laïcité plus agressive devant l’avancée des intégrismes, exposés aux divisions dans leurs propres rangs… Mais en ces jours décisifs, leur silence étonne ou choque».
Le sens du politique
Pourtant les évêques ne sont pas restés silencieux. En octobre dernier, ils avaient publié un texte sur le sens du politique. Ce document rappelait les priorités chrétiennes: accueil de l’étranger, respect du début et de la fin de la vie, foi en l’Europe.
«On est dans un risque d’effondrement de notre pays et de l’Europe!»
Mais au soir du premier tour des présidentielles, la CEF indiquait qu’elle n’appelait «pas à voter pour l’un ou l’autre candidat». C’est ce que lui reprochent aujourd’hui nombre de catholiques engagés, notamment la Conférence catholique des baptisé(e)s francophones. Et des figures fortes, telles que le jésuite Gaël Giraud ou la théologienne dominicaine Véronique Margron.
Le candidat de l’exclusion et de la haine
Pourtant certains évêques ont appelé clairement à ne pas voter pour le Front national. «Affaiblir l’Europe et diviser les Français ? Non à Mme Le Pen», a tweeté Mgr Denis Moutel, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier (Bretagne). Idem pour l’archevêque de Poitiers, Mgr Pascal Wintzer, dans La Croix du 28 avril: «Je ne voterai pas Mme Le Pen», écrit-il, relevant que «vouloir fermer les portes d’un pays est totalement illusoire, ce serait à l’évidence contre-productif».
Ces positions personnelles contrastent avec celle de la CEF. Un fossé d’autant plus étonnant qu’en avril 2002, avant le second tour entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, les évêques avaient clairement indiqué que «le projet de société qu’il [le candidat FN] propose n’a rien à voir avec le message d’amour et d’espérance du Christ».
Le non protestant à Mme Le Pen
Aujourd’hui, le prêtre lyonnais Christian Delorme appelle les évêques à se déterminer contre Mme Le Pen. Car leur non-choix «montre que la CEF est extrêmement divisée en son sein et qu’elle est perdue en face de la réalité… Qui aurait imaginé cette situation il y a 20 ans? Qu’un parti d’extrême droite arriverait aux portes du pouvoir en France?».
La situation est d’autant plus embarrassante que l’Eglise protestante unie de France (EPUF) a, dès le 30 mars, condamné le «discours nationaliste et xénophobe de l’extrême-droite». Alors pourquoi ces hésitations? Les positions d’Emmanuel Macron, favorable à la procréation médicalement assistée (PMA), lui ont enlevé certaines voix catholiques. Et La Manif pour tous, opposée au mariage pour tous défendu par François Hollande, a appelé à ne pas voter pour le candidat d’En Marche. De surcroît, le ralliement de Christine Boutin, présidente du Parti démocrate-chrétien, à Marine Le Pen entre les deux tours de la présidentielle ajoute au trouble ambiant.
«L’Eglise ne peut pas se taire»
Le «tout sauf Macron» gagne du terrain auprès de la droite catholique conservatrice, fissurant le barrage anti-FN. Et d’aucuns de rappeler la réception d’élus frontistes par des prélats: Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, a reçu Marion Maréchal-Le Pen lors de son université d’été en 2015.
Mais pour autant, est-ce à l’Eglise de donner une consigne de vote? «On a souffert pendant des siècles de ce que l’Eglise nous disait ce qu’il fallait penser, reconnaît Christian Delorme. Mais là, on est dans un risque d’effondrement de notre pays et de l’Europe!» Donc «l’Eglise doit parler! Sinon on le lui reprochera, comme on lui a reproché d’autres silences après la guerre».
Le quotidien La Croix, sous la plume du rédacteur en chef Guillaume Goubert, s’interrogeait dans son éditorial du 27 avril. A la question «Tous sauf Macron?», il répondait: «Mieux vaut combattre certaines idées d’Emmanuel Macron que de subir l’idéologie frontiste». (cath.ch/bl)