Pourquoi le pape François est demandé comme médiateur en Biélorussie
Le pape François a accepté la démission de l’archevêque biélorusse Tadeusz Kondrusiewicz, qui a condamné les violences du régime d’Alexandre Loukachenko envers les manifestants. Selon Angelika Schmähling, responsable de la Biélorussie pour l’organisation humanitaire allemande Renovabis, accepter cette démission était une concession faite au régime.
Raphael Rauch, kath.ch/ traduction et adaptation: Carole Pirker
Experte au sein de l’œuvre d’entraide catholique Renovabis, qui vient en aide aux pays d’Europe de l’Est, Angelika Schmähling est responsable de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, du Kazakhstan et de la Biélorussie. Elle nous livre son analyse sur l’exil de l’archevêque biélorusse Tadeusz Kondrusiewicz et sa démission.
Pourquoi le pape, qui laisse les évêques en fonction un peu plus de 75 ans, a-t-il accepté sa démission?
Angelika Schmähling: à la fin août 2020, l’archevêque Kondrusiewicz s’était vu refuser l’entrée en Biélorussie, son pays d’origine, après un voyage à l’étranger. Il a vécu presque quatre mois en exil en Pologne. Puis, avant Noël, un envoyé spécial du pape s’est rendu en Biélorussie et a réussi à ramener Kondrusiewicz dans son pays, juste à temps pour les fêtes de fin d’année. Accepter la démission était probablement une concession faite au régime. Il ne faut cependant pas y accorder une importance excessive. L’archevêque a eu une vie bien remplie, il souffre d’un problème de dos, il mérite donc de prendre sa retraite. Bien sûr, j’espère qu’il restera visible, car c’est une personnalité remarquable.
«Accepter sa démission était probablement une concession faite au régime».
Les jeunes évêques, qui ont beaucoup à perdre, se sont exprimés tout aussi courageusement que l’archevêque ces derniers mois. En fait, jusqu’à l’été dernier, les évêques catholiques de Biélorussie étaient très réticents à faire des déclarations politiques et se limitaient aux questions éthiques et morales. Nous ne devons pas oublier qu’un climat de peur et de menace s’est installé depuis des années en Biélorussie, ce qui a également affecté l’Eglise. Mais immédiatement après l’élection présidentielle du 9 août, les services de sécurité ont fait preuve d’une telle violence – les rapports sur les mauvais traitements et la torture dans les établissements de détention préventive sont difficiles à supporter – que l’Eglise ne pouvait et ne voulait pas garder le silence.
«L’Eglise ne pouvait et ne voulait pas garder le silence.»
L’Eglise catholique est-elle homogène dans sa critique de Loukachenko?
En novembre, la conférence des évêques a publié une déclaration commune condamnant la violence, l’anarchie, les injustices et appelant à une résolution pacifique des conflits sociaux par le dialogue. Elle évite par ailleurs de critiquer directement le dirigeant Loukachenko. La position des fidèles est susceptible d’être aussi hétérogène que le reste de la société, il y a des partisans et des opposants au régime.
Dans quelle mesure le dictateur restreint-il la liberté religieuse?
La liberté religieuse est garantie, mais l’activité de l’Eglise est partiellement restreinte. Par exemple, seuls quelques prêtres et religieux étrangers sont autorisés à entrer dans le pays. Et l’Eglise peut être entravée dans ses activités à tout moment par des obstacles administratifs.
Pourquoi les Biélorusses font-ils confiance au pape François plutôt qu’au patriarche?
Je ne sais pas si l’on peut parler des Biélorusses en général, compte tenu de l’hétérogénéité de la société. Le fait est que l’Eglise catholique est, de par son nom même, une Eglise mondiale, alors que les Eglises orthodoxes sont plus étroitement liées aux nations respectives. Ceux qui comptent sur le pape François dans le conflit biélorusse espèrent sans doute un point de vue impartial. Mais très récemment, le patriarche de Moscou Cyril, auquel est subordonnée l’Eglise orthodoxe de Biélorussie, a également appelé sur place à un dialogue impliquant l’ensemble de la société, auquel les communautés religieuses devraient également participer. Le mouvement de protestation devrait aussi y voir un encouragement.
La religion peut-elle aider à construire des ponts ou fait-elle partie du problème?
Loukachenko cherche à se rapprocher de la religion, en particulier de l’Eglise orthodoxe, lorsque cela est nécessaire. Son idée est que les prêtres devraient rester en dehors de la politique et que les Eglises devraient être là exclusivement pour la prière. Selon cette idée, la religion serait le fameux opium du peuple et un pilier du régime. Mais les représentants des différentes confessions ont montré qu’ils ne veulent pas jouer ce rôle. Je vois la tâche des églises sur le long terme: beaucoup de personnes se sont rendues coupables de ce système, que ce soit en tant que policier qui se battent ou en tant qu’informateur des services secrets. Les Eglises ont des paroles, des images et des rites de repentance et de réconciliation, dont le pays aura encore désespérément besoin.
Les Eglises ont des paroles, des images et des rites de repentance et de réconciliation, dont le pays aura encore désespérément besoin.
Dans quelle mesure les Biélorusses sont-ils catholiques?
L’Eglise catholique est la deuxième plus grande communauté religieuse du pays et correspond à environ 10% de la population. Le cœur catholique est l’ouest du pays, dans la région qui était polonaise jusqu’en 1945. À l’Est, les catholiques sont une petite minorité et toutes les communautés religieuses y ont du mal, car c’est là que l’Union soviétique a le plus développé l’athéisme.
Quelles sont les formes d’inculturation?
Les différentes confessions se côtoient et ont chacune leurs propres traditions. L’Eglise catholique est influencée par l’aire culturelle polono-lituanienne dans son architecture et sa vénération des saints, mais elle soutient fortement l’utilisation de la langue biélorusse. Cela ne va pas de soi, car dans la vie de tous les jours, la majorité de la population parle russe. Pour Noël, il y a simplement deux fêtes, le 25 décembre pour les catholiques et les protestants et le 7 janvier pour les orthodoxes.
« L’idée est d’investir dans les gens et non dans les pierres. »
Quelles actions mène sur place l’organisation humanitaire Renovabis?
En tant qu’œuvre d’entraide de l’Eglise catholique allemande, Renovabis soutient des projets très différents en Biélorussie. L’idée est d’investir dans les personnes et non dans les pierres. Nous aidons donc à la formation des catéchistes ou à la formation continue des religieux. Bien sûr, nous fournissons toujours une aide à la construction. Dans le domaine social, nous soutenons principalement les projets de Caritas. Actuellement, nous cofinançons un projet de Caritas Biéloriussie dans le domaine de l’élevage, qui offre aux personnes dans le besoin la possibilité de créer une petite entreprise agricole. L’aide aux personnes handicapées joue également un rôle majeur au sein de Caritas.
Avez-vous des partenaires en Suisse?
Non, contrairement aux autres œuvres d’entraide, Renovabis n’a de bureaux qu’en Allemagne. Dans divers projets, nous collaborons avec d’autres œuvres d’entraide à l’étranger, et cela pourrait être aussi un jour Caritas Suisse. (cath.ch/kath.ch/rr/cp)
Les raisons d’une démission
Lundi 31 août 2020, les autorités ont bloqué Mgr Tadeusz Kondrusiewicz, archevêque de Minsk, en Biélorussie, à la frontière. Son exil hors de Biélorussie s’inscrivait dans le cadre des vives tensions qui secouent le pays depuis la réélection très contestée d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994. S’il n’a pas pris ouvertement position entre le gouvernement et l’opposition, l’archevêque de Minsk a fréquemment appelé au respect des manifestations pacifiques et condamné les violences à leur égard. Son retour à Minsk est intervenu le 24 décembre, à quelques heures de la célébration de Noël, après la visite dans la ville de Mgr Claudio Gugerotti en tant qu’envoyé spécial du pape. Actuellement nonce apostolique en Grande-Bretagne, le diplomate connaît bien la Biélorussie pour y avoir servi entre 2011 et 2015. (cath.ch/cp /agences)