Pourquoi faire vivre ce supplice à Alep? Le cri du Père Jacques Mourad
«Pourquoi tout cela, pourquoi devons-nous endurer cette souffrance?» Archevêque syriaque catholique de Homs, une ville qui accueille des réfugiés venus en grand nombre d’Alep depuis la prise de la ville par les djihadistes, le moine Jacques Mourad a confié à l’agence Fides l’extrême lassitude des Syriens.
«Pourquoi le peuple syrien doit-il encore payer, après 14 ans de souffrance, de misère, de mort? Pourquoi sommes-nous si abandonnés dans ce monde, dans cette injustice insupportable?» Ces interrogations terribles n’empêchent par le Père Jacques Mourad et la communauté de Homs d’aider au mieux les habitants d’Alep qui affluent chez eux depuis la prise de leur ville, le 29 novembre 2024, par les djihadistes du Mouvement de libération de Damas.
La résilience a ses limites
Né à Alep en 1968, proche du Père jésuite Paolo Dall’Oglio (le fondateur de la Communauté de Deir Mar Musa disparu le 29 juillet 2013 à Raqqa) le Père Jacques Mourad a été otage de Daech en 2015.
Ce moine syriaque avait réussi à s’enfuir après cinq mois de captivité, vécu d’abord en isolement puis avec plus de 150 chrétiens de Quaryatayn. Il avait alors confié que la prière du chapelet, ainsi que celle de saint Charles de Foucauld, qui «a passé sa vie à prier pour le dialogue avec l’islam», l’avaient aidé à tenir. Et en 2022, il annonçait vouloir faire renaître ancien monastère de Mar Elian, près de la ville syrienne d’Al-Qaryatayn, dévasté et profané par des miliciens djihadistes en 2016.
C’est dire si le Père Mourad, archevêque de Homs depuis 2023, n’est pas homme à se laisse abattre. Alors, quand il dit son extrême fatigue, celle des chrétiens de Syrie et de tous les Syriens, c’est d’autant plus alarmant. «Les Syriens sont choqués par ce qui a été fait. (…) Nous ne pouvons plus supporter toute cette souffrance des personnes qui arrivent ici détruites, après 25 heures de route, assoiffées, affamées, frigorifiées, sans plus rien», a-t-il confié à l’agence Fides.
Une entraide active, avec les moyens du bord
Il explique aussi comment Homs a été surpris par ce nouvel afflux de réfugiés. «Nous n’étions pas prêts à tout cela, alors nous avons immédiatement organisé une réunion avec les évêques et mis en place deux points d’accueil avec l’aide des jésuites» et le soutien de l’Œuvre d’Orient et de l’Aide à l’Église en Détresse.(AED). Nourriture, matelas, couvertures et gasoil… tout manque.
L’archevêque syriaque catholique de Homs pointe du doigt les «jeux politiques que tout le monde joue dans cette région» et la responsabilité directe des puissances étrangères – l’Amérique, la Russie, l’Europe… – et pas seulement celle du régime syrien ou des groupes armés rebelles.
«Comment et qui a décidé de cette action des groupes armés? Nous savons depuis des années ce qui se passe quand un groupe armé entre dans un territoire. La réaction du gouvernement et des Russes est immédiatement de bombarder les villes et les villages occupés… Pourquoi font-ils vivre ce supplice à Alep? Veulent-ils détruire cette ville historique?» Ce crime met en danger toute la région, avertit-il.
La fin annoncée des chrétiens d’Alep
Le Père Jacques, qui dans son diocèse travaillait à relancer les cours de catéchisme pour les enfants et les jeunes comme un véritable point de départ pour les communautés chrétiennes après les années de douleur de la guerre, ne se fait plus d’illusion. «Après l’action de ces groupes armés, les chrétiens seront convaincus qu’ils ne peuvent pas rester à Alep. Que c’est fini pour eux. Qu’ils n’ont plus de raison de rester. Ce que l’on est en train de faire à Alep, c’est de mettre fin à l’histoire riche, grande et particulière des chrétiens d’Alep.»
Cette situation dramatique et ce désespoir de la population ont aussi été relayés par le cardinal Mario Zenari, nonce apostolique à Damas depuis 16 ans, à Vatican news: «En Syrie, l’espoir est mort et les gens n’ont qu’un seul désir: «fuir». Ils sont enfermés dans leurs maisons et ceux qui le pouvaient sont partis. Il est certain que le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays va augmenter. (…) Certaines guerres auraient pu être évitées, maintenant nous ramassons les morceaux.» (cath.ch/fides/vn/lb)