Pour Mgr Chevtchouk, en Ukraine, il s'agit d'une «guerre pour l'humanité»
«La guerre en Ukraine a déjà causé la plus grande crise humanitaire sur le continent européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant, c’est une guerre silencieuse et oubliée», affirme Sviatoslav Chevtchouk, primat de l’Eglise grecque-catholique ukrainienne (EGCU). Et de marteler que «ce n’est pas seulement notre guerre – c’est une guerre pour l’humanité», «un combat pour la sécurité internationale».
«Je pense que le devoir des chrétiens dans le monde d’aujourd’hui est d’être témoins de la vérité», déplore l’archevêque majeur de Kiev et de Galicie, expliquant ce silence sur le conflit ukrainien parce qu’il pourrait s’agir, comme certains l’on caractérisé, d’un ‘conflit gelé’ ou d’une ‘guerre hybride’.
Mais pour le chef de l’Eglise grecque-catholique ukrainienne, il s’agit bel et bien d’une vraie guerre. «Chaque jour, quelqu’un est tué sur la ligne de front. Le conflit en Ukraine n’est pas gelé, il est chaud en ce moment.»
L’archevêque majeur de Kiev et de Galicie dénonce «l’agression russe»
Sur le site officiel de l’Eglise grecque-catholique ukrainienne, Sviatoslav Chevtchouk affirme que le Conseil des Eglises et des organisations religieuses essaie de rester en dehors de la politique, ce qui «nous aide à ne pas être affectés par la propagande d’un côté ou de l’autre».
S’adressant à la 136ème «convention suprême» des Chevaliers de Colomb tenue à Baltimore (Etats-Unis) du 7 au 9 août 2018, et dans une interview avec le site Aleteia, Mgr Sviatoslav Chevtchouk a demandé le soutien des Etats-Unis à sa nation «contre l’agression russe». La situation exige une «réponse internationale et la solidarité».
Dans son discours aux Chevaliers de Colomb, le chef de l’EGCU a déclaré que «les dommages environnementaux causés par le conflit en Ukraine rivaliseront avec les effets de l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986».
Poutine veut «la restauration de l’Union soviétique»
Mgr Chevtchouk a présenté l’actuelle guerre en Ukraine comme un conflit entre deux visions différentes de l’avenir, entre deux projets nationaux différents pour le développement de nos sociétés. «Le projet de l’Ukraine, qui a commencé il y a 26 ans, est un projet pour avancer vers des normes européennes de démocratie, pour être une société ouverte, où chaque citoyen peut réaliser ses propres dons personnels afin de coopérer pour le bien commun de son pays. Le deuxième projet, qui est lancé depuis la Russie, est la restauration de l’Union soviétique», a-t-il souligné.
«Le président [Vladimir] Poutine a indiqué à plusieurs reprises qu’il s’agissait là d’un objectif final de sa présidence, à savoir restaurer la fierté soviétique. Pour nous, en pratique, cela signifie choisir entre aller de l’avant ou revenir en arrière, développer notre société vers les normes démocratiques internationales ou nier notre liberté».
Mgr Chevtchouk rappelle que, fondé dans le sillage de l’indépendance ukrainienne, le Conseil des Eglises et des organisations religieuses d’Ukraine est favorable au choix pro-européen. Ce Conseil comprend des orthodoxes, des catholiques, des protestants, des musulmans et des juifs.
«Nous estimons que c’est la seule condition pour avoir la liberté religieuse en Ukraine. [Accepter] le projet russe signifierait pour nous de retourner dans les catacombes», en référence au statut illégal de l’Eglise grecque-catholique (dite uniate) à l’époque soviétique. Forte de près de quatre millions de fidèles, elle fut dissoute sur ordre de Staline et intégrée de force dans l’Eglise orthodoxe russe en 1946. Nombre de ses fidèles vécurent dans les catacombes ou subirent la déportation dans les camps du goulag.
Les grecs-catholiques face à Moscou
Comme le rappelle le site orthodoxe.com, le président ukrainien Petro Porochenko, le parlement de Kiev (Verkhovna Rada) et certains hiérarques orthodoxes ukrainiens ont demandé au patriarche œcuménique Bartholomée d’accorder l’indépendance (autocéphalie) à l’Eglise orthodoxe d’Ukraine. Les orthodoxes ukrainiens sont actuellement divisés en trois communautés, essentiellement pour des raisons politiques et historiques.
Contrairement à l’Eglise orthodoxe ukrainienne rattachée au Patriarcat de Moscou (EOU-PM), deux de ces groupes, l’Eglise orthodoxe ukrainienne-Patriarcat de Kiev (EOU-PK), et l’Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne (EOAU), ne sont pas officiellement reconnus par la communauté orthodoxe. Ils sont qualifiés de non canoniques et de schismatiques. Les autorités de l’Etat affirment que le fait d’avoir une Eglise orthodoxe indépendante reconnue par le patriarche Bartholomée de Constantinople aidera à mettre fin au schisme puisque l’EOU-PK et l’EOAU pourraient fusionner et ainsi rejoindre le monde orthodoxe.
Attirer les orthodoxes dans le giron catholique ?
Dans tous ses récents discours, Sviatoslav Chevtchouk a rappelé que son Eglise ne se mêle pas de ce qui se passe entre factions orthodoxes. Cependant, en mentionnant le principe œcuménique de l’EGCU, l’archevêque majeur grec-catholique a clairement soutenu la création d’une l’Eglise unie ukrainienne comme une étape importante vers la «réunification des Eglises issues du baptême de Vladimir [Volodymyr] le Grand».
La seconde étape serait l’unité entre chrétiens catholiques et orthodoxes dans le monde. «Le discours du Primat de l’EGCU à l’occasion du 125e anniversaire de naissance de l’évêque Syméon Lukach [canonisé par l’Eglise gréco-catholique ukrainienne comme hiéromartyr pour ne pas avoir trahi son Eglise lors de la répression communiste de la fin des années 1940 au début des années 1960] nous montre à quel genre d’unité il pense: celle qui sera inévitablement dirigée par le pape» de Rome, écrit le site orthodoxie.com. Qui relève que l’EGCU est encore minoritaire en Ukraine: «son troupeau n’est localisé que dans les trois régions occidentales : Lviv, Ternopil et Ivano-Frankivsk. Et les tentatives de propagation de l’uniatisme dans les régions troublées de l’Est se sont avérées infructueuses».
Porochenko veut établir une Eglise nationale
Pour sa part, le Patriarcat de Moscou perçoit la déclaration du président ukrainien Petro Porochenko sur la fin de «l’Eglise russe» en Ukraine comme une tentative désespérée de conserver le pouvoir. Porochenko a déclaré à plusieurs reprises qu’il était nécessaire de mettre fin à l’existence dans le pays de l’Eglise orthodoxe canonique, qu’il accuse de «bénir» la «guerre hybride» menée par la Russie contre l’Ukraine.
«Que Constantinople, Moscou et le Vatican nous entendent aujourd’hui – nous sommes fermement engagés à couper le dernier nœud par lequel l’empire essaie désespérément de nous lier à lui-même. Nous sommes déterminés à mettre fin à la dépendance contre nature et non canonique de la majorité de notre communauté orthodoxe vis-à-vis de l’Eglise russe», a déclaré Porochenko lors d’un défilé militaire à Kiev à l’occasion du 27e anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine le 24 août 2018.
L’Eglise, un instrument politique ?
«La christianisation nous est venue de l’Eglise mère de Constantinople, et c’est de Kiev qu’elle s’est répandue dans les grands espaces de l’Europe de l’Est. Le christianisme ukrainien a plus de mille ans d’histoire, ses propres traditions théologiques, liturgiques et ecclésiastiques», a-t-il martelé.
La question d’un tomos (décret solennel et irrévocable) accordant l’autocéphalie à l’Eglise orthodoxe ukrainienne n’est pas seulement une question de religion, a affirmé Porochenko. «Il s’inscrit dans le même ensemble de questions que le renforcement de l’armée, la protection de la langue, la lutte pour l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN. Il s’agit d’un autre jalon stratégique sur notre chemin historique, un élément important de notre indépendance».
L’archiprêtre Nikolaï Balachov, vice-président du Département des relations ecclésiastiques extérieures (DREE) du Patriarcat de Moscou, cité par l’agence russe Interfax, estime «étrange d’entendre un politicien arrogant qui n’est même pas soutenu par un dixième de la nation, qui essaie d’inventer une Eglise pour elle […] et de lui dire ce qui est naturel pour elle et ce qui ne l’est pas, dans une tentative désespérée de s’accrocher à un pouvoir qui est en train de lui échapper». (cath.ch/interfax/orthodoxie/ugcc/be)