Pologne: l’Eglise prend ses distances avec le pouvoir
Si l’Eglise polonaise est restée longtemps silencieuse alors que les manifestations de rue se multipliaient et que de violents débats avaient lieu au parlement, elle prend aujourd’hui, timidement, ses distances avec le pouvoir en place.
Depuis des mois, la Pologne fait face à un climat extrêmement tendu, suite à la victoire, fin octobre 2015, du parti Droit et Justice (PiS) aux élections législatives. Dès son accession au pouvoir, le gouvernement souverainiste, majoritairement composé de membres du PiS, met tout en œuvre pour appliquer son programme, avec pour conséquence une succession de manifestations et de mises en garde de la Commission européenne contre le pouvoir exécutif de la Pologne.
Dans ce contexte, certains ont reproché à l’Eglise polonaise d’être restée silencieuse alors que des milliers de Polonais descendaient dans les rues pour dénoncer les projets de loi du parti au pouvoir, notamment en matière de nomination au Conseil de la justice et de la liberté de la presse entre autres. Elle n’a pas non plus réagi au moment où la Commission européenne a pris des mesures à l’égard de la Pologne pour ce qui lui apparaît comme des atteintes à l’esprit de l’Union européenne et à ses valeurs fondamentales.
La démocratie en danger?
En fait, la crise tourne essentiellement autour de la réforme du Tribunal constitutionnel souhaitée par le gouvernement. La Commission de Bruxelles avait donné deux mois supplémentaires au gouvernement de la Première ministre Beata Szydlo pour qu’il rende son indépendance au tribunal constitutionnel, placé sous sa coupe après une série de nominations et de réformes controversées. Mais, pour Varsovie, les textes sont conformes aux normes européennes et l’affaire est close.
En réalité, avec cette réforme il n’existe plus en Pologne d’institution indépendante pour juger si une loi respecte ou non la Constitution. Plusieurs autres textes menaçant l’indépendance de la justice et celle des médias ont été votés depuis l’arrivée au pouvoir des ultraconservateurs du parti Droit et Justice en 2015. Ce qui a entraîné des manifestations répétées et les protestations de juristes et d’ONG.
La crise politique embarrasse l’Eglise
«L’Eglise aurait dû s’exprimer beaucoup plus tôt et beaucoup plus fort «, regrette ainsi Mgr Tadeusz Pieronek. ancien secrétaire général de l’épiscopat polonais. De fait, alors que les manifestations durent depuis l’an dernier, rassemblant à chaque fois des milliers de citoyens, ce n’est que le 24 juillet dernier que la conférence épiscopale polonaise a pris publiquement la parole. Mgr Stanislaw Gadecki, archevêque de Poznan et président de la Conférence épiscopale polonaise, a rappelé les mots de saint Jean Paul II sur l’importance de la séparation des pouvoirs, en précisant que «la vraie démocratie n’est possible que dans l’Etat de droit». Dans cette lettre adressée au président polonais, Andrzej Duda, l’archevêque de Poznan le remercie d’avoir posé son veto à deux lois controversées de la réforme globale. Nombre d’observateurs pensent d’ailleurs que l’Eglise catholique polonaise a œuvré dans l’ombre pour faire émerger la décision d’Andrzej Duda qui, la veille de son veto s’était rendu au sanctuaire marial de Jasna Gora, à Czestochowa.
Pour les observateurs, dans un pays comme la Pologne, où 92 % de la population est catholique, la voix de l’Eglise catholique compte dans le débat public. «Lorsque des enjeux de démocratie sont remis en cause, la parole de l’Eglise est souhaitable et nécessaire. Nous devons montrer que nous sommes du côté de la démocratie» , affirme Mgr Pieronek, qui rappelle le rôle crucial qu’a joué l’Eglise dans la chute du communisme en 1989 et qui maintient que la lettre du président de la conférence des évêques du pays est «arrivée bien tardivement».
Désaccord sur les réfugiés
La crise politique due aux réformes judiciaires et les divergences de points de vue depuis deux ans sur l’accueil des réfugiés ont fragilisé les liens entre le parti conservateur et l’Eglise. «Même les évêques bienveillants à l’égard du parti conservateur émettent des doutes. Ils ne sont pas habitués à être traités avec autant d’indifférence sur la question des réfugiés notamment, où il n’y a aucun dialogue possible avec le gouvernement», analyse Ignacy Dudkiewicz, journaliste du portail catholique Wiara.
D’abord sur la même ligne que le gouvernement, les évêques polonais, plutôt réservés sur l’accueil de réfugiés, envisagent désormais l’ouverture de «couloirs humanitaires» pour en accueillir certains. On peut y voir l’influence du pape François lui-même. Il y a un an, en effet, lors d’une conversation à huis clos pendant les JMJ de Cracovie, le pape avait longuement évoqué avec les évêques polonais la question des réfugiés. Il avait reconnu que «tous les pays n’ont pas les mêmes possibilités» d’accueil mais affirmé qu’ils avaient tous «la possibilité d’être généreux». (cath.ch/cathobel/jjd/rz)