Plongée cinématographique «au cœur de la Beauté»: les 10 ans d’Il est une foi
«La Beauté sauvera le monde» disait Dostoïevski. Elle est espace d’émerveillement, invitation à l’élévation, rappelle pour sa part la 10e édition des ›Rendez-vous cinéma’ Il est une foi. Ce festival à vocation spirituelle se déroule du 30 avril au 4 mai 2025. Interview de Geoffroy de Clavière, un de ses concepteurs, membre de son comité cinéma.
Au cœur du projet des ‘Rendez-vous cinéma Il est une foi’, il y a la notion de «rencontres». Vous êtes en charge des relations avec les mécènes de l’Église catholique romaine (ECR) du canton de Genève. Mais aussi l’initiateur de ce festival. Comment l’idée vous est-elle venue?
Geoffroy de Clavière: Nous avons choisi de nommer ce festival ›Les rendez-vous cinéma’ car le terme de ›rencontres’ était déjà utilisé par les Cinémas du Grütli, notre partenaire qui nous accueille depuis 10 ans. L’idée était de réunir les gens – les catholiques bien sûr mais pas seulement – autour d’un thème spirituel traité par le cinéma, et d’amener le public à participer à un temps d’échange à l’issue des projections.
Nous avons monté le projet avec le critique de cinéma Édouard Waintro, alors directeur du cinéma du Grütli (et directeur artistique du Festival international de films de Fribourg notamment, ndlr). Au départ, nous voulions resserrer les liens entre l’Église catholique romaine de Genève (ECR) et les catholiques genevois. Puis l’espace de la rencontre s’est élargi à la Cité, à ses écoliers notamment mais aussi à ceux qui vivent à ses marges.

J’avais organisé en 2014 une soirée de soutien en faveur de l’ECR, avec diffusion d’un film, suivit d’un débat puis d’un dîner, qui avait beaucoup plu aux participants. L’année suivante, nous élargissions déjà le concept, pour en faire quelque chose de plus structuré et cohérent. Nous avons lancé la première édition d’Il est une foi. La trame est restée: un diner de soutien en ouverture, plusieurs jours de projections de films autour d’un thème et nos fameuses soirées ›Un film, un débat’, avec des invités très variés.
Vous avez évoqué la rencontre avec «les marges». Comment se concrétise-t-elle?
Le comité cinéma a tout de suite décidé de suivre le pape François, qui nous invitait à aller à la rencontre des périphéries. En dehors des ›Rendez-vous cinéma’ au Grütli, Il est une foi organise durant l’année des projections suivies de petites discussions dans des lieux plus fermés. Nous avons projeté le film documentaire Human (2015), de Yann Arthus-Bertrand, à Curabilis, un établissement pénitentiaire genevois où vivent des personnes condamnées et souffrant de troubles psychiatriques graves. Nous nous sommes aussi rendus plusieurs fois dans des établissement médico-sociaux (EMS) ou dans des centres d’accueils pour requérants d’asile. Ces publics ne peuvent pas venir à nous, alors nous tentons d’aller à leur rencontre.
La semaine des rendez-vous cinéma de l’ECR a toujours eu lieu au Grütli, un cinéma apprécié des amoureux du 7e art, et votre programmation fait la part belle au cinéma d’auteurs, avec des films assez exigeants. Ne vous adressez-vous pas finalement à un public plutôt intellectuel?
Pas vraiment: la colonne vertébrale de notre projet, sa ligne artistique en tout cas, c’est la dimension spirituelle et poétique. Nous essayons toujours de sélectionner des films qui ont cet ADN. Le cinéma en est un vecteur exceptionnel, qui touche tout un chacun.
En plus, on s’en écarte de temps en temps pour laisser place à d’autres rencontres plus grand public. En 2022, pour le thème Création, recréation, où on traitait à la fois de nature et d’intelligence artificielle, on a projeté Terminator (1984), de James Cameron, qui met en scène Arnold Schwarzenegger…
Ce festival proposé par l’ECR déborde largement du cadre catholique. Peut-on dire que les rencontres que vous initiez sont d’ordre interreligieux? Je pense notamment à l’édition Origines de 2017, où le comité cinéma a proposé un voyage autour de textes fondateurs des croyances du monde.
Certainement. La composition même de notre comité cinéma reflète ce choix. On y trouve des catholiques, des protestants, des agnostiques. Jusqu’à l’année dernière, il y avait parmi nous un jeune musulman, qui est parti depuis au Japon.
Néanmoins, je dirais que ce ne sont pas les religions qui sont mises en avant, mais la spiritualité. On est dans un cinéma spirituel et le cinéma spirituel est sans frontières. Nos films viennent de tous les continents et de toutes les sensibilités religieuses ou philosophiques. Nous proposons cette année par exemple de voir ou revoir Yeelen (La Lumière) du réalisateur malien Souleymane Cissé, décédé le 19 février dernier. Ce récit d’une quête initiatique avait reçu à sa sortie en 1987 le Prix du jury au Festival de Cannes.
Par le passé, nous avons mis à l’honneur le cinéma arabe, également musulman, avec Le Message, qui raconte l’histoire du prophète. Ou encore La Particule humaine du réalisateur turc Semih Kaplanoğlu, une quête physique autant que spirituelle, construite comme les sourates du Coran. On avait fait venir à l’issue de la projection Alexandre Ahmadi, un psychiatre spécialiste du soufisme, pour une discussion avec les spectateurs. Notre édition 2025 propose d’ailleurs un autre film de Kaplanoğlu, Miel, ours d’or du meilleur film à la Berlinale 2010.
À l’affiche de votre programmation, il y a souvent des petits bijoux. Mais ce qui attire aussi les gens, ce sont les débats qui s’en suivent.
Dans les festivals de cinéma classiques, le public a l’occasion de rencontrer des metteurs en scène qui viennent présenter leurs films ou éventuellement certains acteurs. Notre particularité est de faire venir non seulement des cinéastes, mais aussi des écrivains, des théologiens.
L’ECR n’a pas la réputation d’être une Église particulièrement riche. Comment avez-vous fait pour assurer 10 ans durant ce festival?
Nous sommes financés par des partenaires privés et institutionnels. L’ECR assure la couverture financière du déficit du festival. Avec 80’000 francs, tout est couvert, hormis nos salaires: communication, location des films, des lieux de projection, défraiements des conférenciers, etc. Cela reste sans doute le festival le moins cher de l’histoire de l’humanité!
Je rappelle toutefois que le but n’est pas de faire du chiffre. Quand on a lancé le projet, Mgr Pierre Farine, alors administrateur du Vicariat épiscopal pour le canton, l’a tout de suite soutenu. Il estimait que c’était un projet pastoral important.
L’édition 2025 s’intitule Au cœur de la Beauté. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, faut-il y voir là un final en beauté alors que vous partez à la retraite à la fin de l’année?
Je n’avais pas réfléchi à ce jeu de mots! Que faut-il en penser? L’année dernière, nous avons traité de l’Au-delà, de la mort. Aurait-ce été plus approprié, si on veut faire de l’humour? Je pars à la retraite, mais notre comité est constitué de personnes très compétentes, tant sur le plan théologique que cinématographique.
Plus sérieusement, on lit sur le site d’Il est une foi que la beauté est vitale et procède d’un besoin de consolation. Qu’entendez-vous par là?
Le thème a été proposé par la pasteure Marie Cénec, membre de notre comité, et nous a tous conquis de suite. La beauté semble manquer dans le monde aujourd’hui. En même temps, elle peut paraître un peu vaine par rapport à d’autres enjeux. Pourtant sa présence contribue grandement à notre soulagement, elle donne le goût de vivre. Comme l’a exprimé l’essayiste Audrey Fella à notre conférence inaugurale du 28 avril, la beauté est porteuse du rayonnement divin et oblige à aller au-delà des apparences.
Votre événement de clôture est consacré au cinéaste russe Andreï Tarkovski. Plusieurs de ses films ont été programmés durant les 10 ans du festival. C’est encore le cas cette année, avec son film Andreï Roublev. Pourquoi cette fascination?
Pour moi, il est l’un des plus grands cinéastes au monde. Son œuvre traverse le temps. Chacune de ses réalisations est un pur chef-d’œuvre de poésie, de beauté, de profondeur et de qualité cinématographique hors du commun. C’est le cas avec ce film Andreï Roublev, sur un moine des 14 et 15e siècles, peintre de l’Icône de la Trinité. Le film pose des questions sur l’essence de l’art et le sens de la foi.
À la fin de la projection, le public pourra discuter avec le fils d’Andreï Tarkovski, qui porte le même nom, Andreï A. Tarkovski. Il est lui-même réalisateur, et nous sommes spécialement heureux de l’accueillir. Nous avions déjà essayé de le faire venir en 2021, juste après la covid, alors qu’il venait de réaliser un documentaire sur son père, Andrey Tarkovsky. A Cinema Prayer (2019), mais cela n’avait pas été possible.
Cette fois, il sera bien là, en tant que directeur artistique de notre soirée de clôture au Conservatoire de musique de Genève. Il s’agit d’une performance multimédia, alternant des lectures par le comédien Samuel Labarthe de Sculpter dans le temps de Tarkovski, des pièces musicales du Duo Gazzana au violon et au piano, le tout sur fond de projection vidéo de films de Tarkovski et de documents inédits issus des archives de sa famille. C’est là pour moi, une magnifique façon de célébrer nos dix ans. (cath.ch/lb)

Il est dix fois Il EST UNE FOI
Les Rendez-vous cinéma propose pour ses 10 ans une plongée Au cœur de la Beauté du 30 avril au 4 mai 2025:
avec 20 films et 10 débats aux Cinémas du Grütli, rue du Général-Dufour 16,
et une soirée musicale en hommage à Tarkovski, au Conservatoire de musique de Genève
Pour en savoir plus : www.ilestunefoi