Plaintes du Congo RDC contre Apple autour des 'minerais du sang'
Le gouvernement de Kinshasa a déposé, à mi-décembre 2024, une plainte contre Apple en France et en Belgique, accusant l’entreprise américaine d’utiliser des minerais extraits illégalement en République Démocratique du Congo (RDC) pour la fabrication de ses produits. Il pourrait s’agir d’une étape décisive dans la lutte contre le trafic des ‘minerais du sang’.
La République démocratique du Congo a déposé plusieurs plaintes pénales en France et en Belgique contre des filiales d’Apple, accusant le géant de la technologie d’utiliser des minerais prélevés dans des zones de conflit du pays africain, puis blanchis dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. En se fournissant dans les zones de guerre de la RDC, Apple se rendrait complice des crimes perpétrés par les groupes armés qui contrôlent certaines mines de l’est du pays.
Ces plaintes pourraient être la première salve d’une longue série visant les entreprises technologiques s’approvisionnant en minerais des conflits.
Plaintes en France et en Belgique
Les plaintes ont été préparées par une équipe d’avocats internationaux pour le compte du ministre de la justice de la RDC, et les autorités françaises et belges examineront s’il existe des preuves suffisantes pour poursuivre l’enquête et éventuellement engager des poursuites pénales.
«Ces activités ont alimenté un cycle de violence et de conflit en finançant des milices et des groupes terroristes et ont contribué au travail forcé des enfants et à la dévastation de l’environnement», peut-on lire dans la déclaration commune des trois cabinets d’avocats des États-Unis, de France et de Belgique.
Apple a immédiatement rejeté cette accusation. La multinationale américaine a déclaré dans un communiqué, «contester fermement les allégations de la République démocratique du Congo. Chez Apple, nous sommes profondément engagés en faveur d’un approvisionnement responsable et nous exigeons de nos fournisseurs qu’ils respectent les normes industrielles les plus strictes.»
Les ‘trois T’ au cœur du litige
Au cœur du litige se trouvent les ‘3T’: le tantale, le tungstène et l’étain (‘tin’ en anglais), des minerais qui servent à produire des composants utilisés dans des objets quotidiens tels que les smartphones, les tablettes et les ordinateurs, ou à fabriquer des systèmes de haute technologie, y compris des systèmes d’armement.
La firme américaine explique qu’elle a informé ses fournisseurs «plus tôt dans l’année», que leurs fonderies et raffineries devaient suspendre l’approvisionnement au Rwanda et en RDC mais sans donner davantage de détails.
Pour William Bourdon, un des avocats de la RDC, «c’est sans précédent qu’une entreprise aussi puissante qu’Apple s’oblige à prendre l’engagement publiquement de ‘faire le ménage’ dans les conditions d’approvisionnement en minerais. Maintenant, il faut rester extrêmement prudent, parfois les entreprises prennent des engagements qui emballent tout le monde. C’est pour ça qu’on en appelle à ce qu’Apple s’oblige à se conformer à tout un processus de vérification et de transparence», précise-t-il, à RFI.
William Bourdon atteste que les arsenaux judiciaires français et belge sur le blanchiment d’argent sont des plus modernes. «La jurisprudence de ces deux pays a admis un panel d’infractions sources de plus en plus larges comme le blanchiment de faux. La conscience judiciaire s’est réveillée en France et en Belgique face à certaines grandes entreprises qui, alors qu’elles commettent les pires dommages, s’échinent à rester irresponsables juridiquement tout en prétendant être irréprochables éthiquement.»
Le Rwanda derrière les trafics?
La plainte déposée par les autorités de Kinshasa contre la multinationale met également dans le collimateur le Rwanda, accusé par la RDC de piller illégalement les ressources minières de l’est du pays, en favorisant l’exportation de minerais extraits dans des mines artisanales, souvent contrôlées par les groupes armés qui y opèrent. Selon Kinshasa, sans la ligne logistique passant par le Rwanda, les minerais extraits illégalement en RDC auraient plus de difficultés à atteindre les marchés internationaux.
Le Rwanda, qui dispose lui-même de ressources minérales limitées, a été courtisé par l’Union européenne, avec laquelle il a signé en février 2024 un protocole d’accord sur la durabilité et la traçabilité des minéraux stratégiques, vivement critiqué par les associations pacifistes du Congo.
Intérêts économiques prioritaires
Comme l’a imagé le militant congolais des droits de l’homme Pierre Kabeza pour l’agence vaticane Fides, l’exploitation des ressources congolaises «peut être décrite comme un arbre dont les racines sont les grandes puissances du monde, avec leurs multinationales. Le tronc de l’arbre, ce sont les pays voisins de la RDC (Rwanda et Ouganda) qui reçoivent l’aide des grandes puissances, et enfin les branches, ce sont les différents groupes de guérilla qui opèrent sur le territoire congolais. La sève qui nourrit l’arbre, ce sont les intérêts économiques.»
Même si aucune action judiciaire n’a pu être ouverte aux États-Unis, le département d’État américain avait déjà exprimé au début juillet 2024 «ses préoccupations quant à l’exploitation illicite de certains minerais dans la région des Grands Lacs».
Violence et terreur
L’est de la RDC, l’une des régions les plus riches en minerais au monde, connaît une catastrophe humanitaire de plus en plus grave, avec plus de 100 groupes rebelles armés qui se battent pour le contrôle des mines. Selon les Nations Unies et les groupes de défense des droits de l’Homme, des millions de personnes dans la région ont été déracinées et touchées par la spirale de la violence, qui va des viols aux massacres.
Dès 2015, des rapports d’ONG relataient que les sites de minerais apparaissent souvent contrôlés par des groupes armés qui contraignent, par la violence et la terreur, des civils dont des enfants à y travailler et à transporter ces minerais.
Parmi eux, le groupe M23, soutenu par le Rwanda, contrôle la zone minière du Rubaya depuis avril dernier, qui fournit 15% du tantale mondial. Selon des estimations, le trafic de minerais lui rapporterait 300’000 dollars par mois.
Le Rwanda rejette les accusations
Le Rwanda avait déjà rejeté cette année ces accusations, les qualifiant de «répétition d’allégations sans fondement et de conjectures, visant à susciter l’intérêt des médias au sujet de l’une des plus grandes entreprises du monde». «Ce n’est que le dernier coup en date du gouvernement de la RDC qui cherche constamment à détourner l’attention vers le Rwanda avec de fausses accusations», avait affirmé une porte-parole du gouvernement rwandais.
En attendant de nouveaux développements, cette démarche de la RDC soulève des questions de fond sur la gouvernance des ressources naturelles, la responsabilité des grandes entreprises de la Tech dans les chaînes d’approvisionnement mondiales en minerais stratégiques. (cath.ch/ag/mp)