Paris: Témoignage de Mgr Casmoussa, ancien archevêque syro-catholique de Mossoul

Plaidoyer pour un partenariat avec les musulmans modérés

Paris, 5 juin 2012 (Apic) Mgr Basile Georges Casmoussa, qui fut de 1999 à 2011 archevêque syro-catholique de Mossoul, au nord de l’Irak, est de passage en France pour la présentation de son dernier livre sur les chrétiens d’Irak. Paru aux Editions «Nouvelle Cité», l’ouvrage est intitulé «Jusqu’au bout». En partenariat avec l’Œuvre d’Orient à Paris, cet évêque de 73 ans, originaire de Karakosh, dans la Plaine de Ninive, donne une série de conférences de Paris à Nantes, en passant par Strasbourg, Grenoble et Marseille.

Mgr Casmoussa animait mardi 5 juin à Notre-Dame d’Auteuil, à Paris, une conférence-débat sur le thème «Un vivre ensemble islamo-chrétien est-il possible ?» Archevêque, auxiliaire patriarcal, penseur, écrivain, journaliste, directeur d’un journal, parfaitement polyglotte, Mgr Casmoussa a traversé des coups d’Etats, des guerres, vécu une occupation et frôlé la mort lors de son enlèvement en janvier 2005 en Irak, rappelle l’»Œuvre d’Orient».

«Pas une semaine sans qu’un chrétien ne soit menacé, enlevé ou assassiné»

Interviewé sur le sort des chrétiens d’Irak par «l’Œuvre d’Orient», une association française entièrement consacrée à l’aide aux chrétiens d’Orient, Mgr Casmoussa souligne que depuis 2005, date des premiers grands attentats contre la communauté chrétienne du pays, «il ne se passe pas une semaine sans qu’un chrétien ne soit menacé, enlevé ou assassiné, sans qu’une église soit attaquée, saccagée, incendiée».

L’archevêque syro-catholique a dû quitter Mossoul et chercher refuge à Karakosh, un gros bourg chrétien de la Plaine de Ninive. «L’arrivée des Américains en Irak a généré un courant islamiste qui s’est intensifié depuis. Cependant, si ce courant se réclamait, ou se réclame encore de l’islam, je suis convaincu que l’islam n’est souvent qu’un alibi pour ces groupes avant tout opportunistes et maffieux», lance-t-il.

Pire que sous Saddam Hussein

S’il ne regrette aucunement le temps de la dictature de Saddam Hussein, Mgr Casmoussa dit seulement avoir la nostalgie de la sécurité relative qui régnait dans les années où il était au pouvoir. «L’Occident nous a débarrassés d’un dictateur pour le remplacer par des dizaines d’autres qui agissent comme lui, sinon de façon pire, qui ne défendent que leurs intérêts personnels ou tribaux. L’invasion occidentalo-américaine a mis notre pays en coupe réglée. Il y avait pourtant bien d’autres moyens pour faire tomber la dictature que de nous envoyer des chars et des avions de combat. Les conservateurs et les affairistes américains ainsi que les extrémistes israéliens ont en fait le projet de morceler le Proche et le Moyen-Orient, de démembrer les pays en de multiples petits royaumes, faibles et manipulables, afin de mieux dominer».

S’il dit aimer l’Occident, l’archevêque syro-catholique reconnaît qu’en tant qu’Oriental, il se sent plus proche de son frère arabe ou kurde musulman, que de son frère chrétien occidental. «J’aime l’Occident et son sens poussé de la démocratie. Je ne nie même pas que ma culture est semi-occidentale, la structure de ma pensée discursive est plutôt occidentale. De l’Occident, j’apprécie son libre arbitre et son respect de l’individu. Mais ces valeurs que l’Occident professe, il ne les exporte pas vraiment chez nous. J’ai même déjà entendu, lors de voyages en Europe ou sur le continent américain, que la démocratie n’était pas applicable au monde arabe…»

Pourtant, estime Mgr Casmoussa, la démocratie est une valeur universelle. «Elle n’est ni occidentale, ni orientale. La démocratie ce n’est pas seulement une majorité électorale, 50+1, mais la possibilité pour chacun de faire entendre sa voix dans les décisions qui engagent son pays. Egaux en droits et en devoirs, tous les citoyens, même issus d’une communauté minoritaire mais possesseurs de la nationalité du pays où ils vivent, devraient avoir le droit de voter et de s’exprimer librement, de pouvoir aussi choisir leur religion ou d’en changer, selon leur désir, sans subir de persécution», insiste-t-il.

Il dit cependant croire à l’émergence d’un islam modéré acceptant de partager des responsabilités d’Etat avec des non musulmans, notamment avec des chrétiens. «Au fil de l’histoire, je constate que les dictatures n’ont jamais le dernier mot ! Sur les réseaux sociaux, on voit grossir un courant d’intellectuels musulmans, des citoyens lettrés qui défendent une citoyenneté commune, un vivre ensemble, un partage des pouvoirs, une égalité de chances entre les communautés et les sexes. Il faut encourager et mettre en avant ces visionnaires. L’Occident devrait s’attacher à défendre ces réformateurs musulmans, les aider à diffuser leurs idées».

C’est un pari risqué que de croire à un véritable partenariat islamo-chrétien

Lors du synode des évêques catholiques d’Orient à Rome en octobre 2010, Mgr Casmoussa avait insisté pour que l’on appuie ce courant ouvert sur la citoyenneté civile, à l’écoute des autres religions et prônant le développement d’un véritable partenariat islamo-chrétien. Certes, très peu de chrétiens d’Orient croient à ce partenariat avec les musulmans. L’archevêque le reconnaît, et cette méfiance a ses raisons: «Les chrétiens ont tellement été échaudés. Ils ont subi tant de massacres. C’est un pari risqué que de croire à ce partenariat. Mais un pari qui vaut la peine d’être tenté. Ou alors il faut tirer un trait définitif sur notre présence en Orient. Minoritaires, nous n’avons pas les moyens de résister autrement que par nos idées et idéaux».

Le prélat irakien estime que les chrétiens ont encore un rôle à jouer en Orient. «Notre présence est capitale pour le développement des pays arabes. Nos écoles, nos institutions universitaires, nos penseurs, nos jeunes, éduqués et formé, continuent de rayonner en Orient. La bourgeoisie musulmane envoie toujours du reste leurs enfants dans nos établissements. Nous avons les moyens d’apporter notre contribution à développer une pédagogie du dialogue, d’engendrer des espaces de rencontres, afin de construire de véritables démocraties».

S’il est passé par des moments de désespérance et qu’il a traversé des périodes noires, connu des moments où il s’est coupé des autres, où il a dû s’isoler pour ne pas transmettre son désespoir, il a à chaque fois trouvé les ressources et la force de sortir de l’impasse.

«J’ai vécu des moments où je demandais au Christ de me faire sentir que j’étais encore aimé…Et puis je surmontais, je dépassais. La Croix fait partie de l’existence humaine. Il faut la supporter, et continuer coûte que coûte à croire à la supériorité de la vie. Croire que malgré tout ce qui se passe de dramatique, chrétiens et musulmans vivront encore ensemble, demain, sur cette terre d’Irak. Nous sommes là depuis 2000 ans. Si au nom de notre antériorité, les musulmans doivent nous accepter, de notre côté, nous devons tenir compte de leur 1’400 ans de présence en Irak pour persister à croire que le partenariat est possible». Mais aujourd’hui, sur près d’un million de chrétiens vivant en Irak avant l’invasion américaine de 2003, moins de la moitié sont restés en Mésopotamie, la majorité, fuyant les violences sectaires, cherchant leur salut dans l’exil. (apic/oeuvreorient/be)

5 juin 2012 | 18:01
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
Paris (92)
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