Pierre-Yves Fux: «Des mots pour voyager au Vatican»
Pierre-Yves Fux, diplomate de carrière, publie Parlez-vous le Vatican? – Petit dictionnaire des mots du Saint-Siège. L’ouvrage qui explique une centaine de mots et expressions, actuels ou désuets, employés au Vatican est le fruit de quatre ans passés (2014 à 2018) en tant qu’ambassadeur de Suisse près le Saint-Siège.
Pierre-Yves Fux, actuellement en poste à Chypre, avoue qu’il n’a pas encore reçu le livre au moment de l’interview et qu’il dispose seulement du dernier manuscrit. Ce passionné d’histoire, latiniste de formation, décrypte les mots et expressions typiques du Vatican et raconte l’histoire à laquelle ils renvoient. Il souhaite permettre à ses lecteurs de voyager dans le plus petit Etat du monde et de découvrir à travers la langue un «microcosme absolument fascinant, mais ouvert».
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce dictionnaire?
Pierre-Yves Fux: Ce livre est né au fil d’une série de visites et de rencontres faites au Vatican et durant les presque cinq ans de mon mandat. Il me fallait comprendre cet univers. La curiosité aidant, j’ai essayé d’assimiler les institutions et leur histoire. Ce qui était au début un lexique utilitaire pour connaître le pays et les autorités auprès desquelles j’ai travaillé, est devenu un projet plus riche.
Mais la genèse de ce livre est antérieure. Vingt-cinq ans avant que je ne représente mon pays au Vatican, j’ai été étudiant aux archives secrètes. Mon intérêt pour l’histoire de ces manuscrits se retrouve dans ce livre. Le but était aussi, avec ces mots, de faire voyager les lecteurs au Vatican, un microcosme absolument fascinant, mais ouvert.
Selon quels critères avez-vous choisi ces mots et ces expressions?
J’ai essayé de prendre en considération les expressions ou mots qui m’ont semblé les plus caractéristiques. Telles que la «fumée blanche». J’ai retenu les termes qui ont l’histoire la plus intéressante ou la plus évocatrice comme la «gifle d’Anagni» ou «aller à Canossa».
Quel est votre mot ou expression préféré?
Pour la sonorité, j’aime beaucoup «Faldistoire». Pour la force du mot: «Non abbiate paura!» – N’ayez pas peur! Je pense aussi à la chambre des larmes, pas tant pour le mot, mais cette petite pièce située derrière la chapelle Sixtine où se retire celui dont la vie bascule alors qu’il vient d’être élu pape. J’ai eu l’honneur d’y amener plusieurs conseillers fédéraux. Ils ont vécu là un moment d’émotion. C’est un lieu du destin, discret et simple mais impressionnant.
Des mots ou expressions peut-être moins connues que le tailleur Gammarelli, le «Panzerkardinal», «Sheperd one» ou encore les pantoufles papales. Une grande diversité dans la signification de ces mots ou expressions. Pourquoi ces choix?
Dans ce lexique, il y a à la fois des choses sérieuses, techniques, et je l’espère, pas rébarbatives, mais aussi des expressions qui relèvent du divertissement. Dans certains cas, cela renvoie à la littérature, à la mémoire. Par exemple quand on parle de «Cape et d’épée», on pense aux trois mousquetaires. C’est’ en fait un terme qui était officiellement utilisé dans la titulature jusqu’en 1968.
Vous évoquez un «parler Vatican», pourtant le plus petit Etat du monde n’a pas de langue officielle, c’est paradoxal.
Effectivement, il n’y a pas de langue officielle à proprement parler et, plus paradoxal encore: ses langues sont parlées en Suisse. La correspondance officielle et diplomatique du Vatican s’effectue en français, les gardes suisses parlent en allemand, la langue militaire du Vatican, même si l’officier est francophone ou italophone. Et l’italien est la langue dans laquelle on converse et j’ajoute la quatrième langue qui est le latin, la langue des textes législatifs, de la liturgie. On a deux Etats polyglottes et qui curieusement ont les mêmes références.
On y parle l’italien, le suisse allemand, le français. Cela ne vous fait-il pas plutôt penser à la tour de Babel?
Il y a un peu de cela, mais je pense que les personnes qui travaillent au Vatican préfèreront la référence à la Pentecôte, quand les apôtres, à la sortie du Cénacle, sont capables de comprendre toutes les langues. Les prédécesseurs du pape François en font une démonstration assez extraordinaire avec les vœux urbi et orbi de Pâques et de Noël. Je pense notamment à Jean Paul II exprimant ses vœux dans un grand nombre de langues. Le multilinguisme est bien réel. Il y a des bibliothèques polyglottes, des imprimeries qui avaient déjà, à l’époque du plomb, tous les caractères. Nous trouvons cette dimension très internationale, multiculturelle. Ce n’est pas simplement une très forte culture, mais aussi une ouverture tous azimuts.
«Plus qu’une influence linguistique, les papes ont laissé une marque dans leur pontificat avec certaines expressions qu’ils ont lancé ou réactivé.»
Vous évoquez aussi le latin, habituellement considéré comme une langue morte, mais à vous lire, il semble très actuel au Vatican. Comment l’expliquez-vous?
Le latin est enseigné à peu près dans le monde entier. On le retrouve dans toute une série de domaines, de la botanique jusqu’à la musique sacrée en passant par certaines formules juridiques. Et c’est, avec le français, la langue officielle du Saint-Siège. Regardez les comptes Twitter du pape François et vous verrez qu’il y a davantage d’abonnés sur le compte latin que sur le Twitter allemand. Cela démontre que cette langue n’est pas aussi morte qu’on l’imagine. C’est une langue qui continue d’avoir une vie, notamment comme langue de référence, parfois même comme langue de communication.
Les papes ont-ils influencé les langues parlées au Vatican? On pense à Jean Paul II pour le polonais ou Benoît XVI pour l’allemand.
Cela a été le cas par contre-coup: un pape polonais, signifie beaucoup de visiteurs polonais. Il en allait de même durant le pontificat de Benoît XVI. Donc, dans la communication, on a été davantage poussé à utiliser ces langues. Avec François, on n’a pas observé une hispanisation du Vatican, lui-même étant italophone. En revanche, il est intéressant de noter que, plus qu’une influence linguistique, les papes ont laissé une marque dans leur pontificat avec certaines expressions qu’ils ont lancé ou réactivé. Les «périphéries» de François, est un terme typique de son pontificat. L’«aggiornamento» est même plus qu’un mot dans le pontificat de Jean XXIII. Je pense aussi au fameux «N’ayez pas peur!» de Jean Paul II. On ne le voit pas d’emblée, mais les papes s’occupent des mots.
La croissance continue de l’Eglise dans l’hémisphère sud va-t-elle pousser le Vatican à adopter d’autres langues parlées, notamment en Afrique ou en Asie?
En effet, il y a les aspects quasi utilitaires: comment atteindre le plus grand nombre de personnes possible? Cela a eu des répercussions linguistiques, mais aussi des répercussions techniques. Le passage à l’internet a été freiné lorsqu’on s’est rendu compte que Radio-Vatican, je parle ici du canal radio, continuait d’être beaucoup écouté sur le continent africain. Ce qui est valable pour le monde occidental sur le plan technique, ne l’est pas de la même manière dans les pays dits «de mission», ou dans des pays du Sud. Parfois l’usage de certaines langues a eu une connotation politique. Le fait d’entendre l’arabe durant les audiences générales était un geste en direction des chrétiens d’Orient.
De manière plus inattendue, vous évoquez aussi les pantoufles papales
Le protocole du Vatican correspond en grande partie à celui de l’empire romain. Le geste d’embrasser la chaussure d’un dignitaire auquel on rendait hommage remonte à l’antiquité. Le protocole a été repris au Vatican, mais cela ne plaisait pas aux pontifes qui le considéraient comme de l’idolâtrie. Ils ont donc fait broder une croix sur le dessus de la chaussure afin que l’on honore Dieu plutôt que le pape.
Des mots semblaient avoir disparu de l’usage et sont réapparus grâce à certains papes.
Oui, comme «l’Agnus Dei», ce médaillon ovale, moulé avec de la cire du grand cierge pascal de la basilique Saint-Pierre, distribué par les papes. C’est un sacramental qui est béni par le pape après avoir été plongé dans une eau mêlée de saint-chrême. Le pape François en a repris l’usage que Jean Paul II avait réintroduit lors du jubilé de l’an 2000 et qui, abandonné par Paul VI en 1971, avait failli tomber en désuétude. On a aussi beaucoup entendu l’expression biblique «Les signes des temps» dans les années 1960, lors du Concile Vatican II. Elle a disparu jusqu’à ce qu’on la retrouve dans certains discours du pape François. Rien ne disparaît complètement au Vatican. (cath.ch/bh)
Pierre-Yves Fux: Parlez-vous le Vatican? – Petit dictionnaire des mots du Saint-Siège, Ed. du Cerf, 344 p.