Pierre Canisius, l'infatigable
A l’occasion du 500e anniversaire de sa naissance, Fribourg se remémore la haute figure de saint Pierre Canisius. Hérault de la Contre-Réforme, fondateur du collège St-Michel, le jésuite a eu une influence importante dans la cité des Zaehringen où il a passé les 17 dernières années de sa vie.
L’anniversaire sera marqué par deux événements majeurs. Le premier est la translation des reliques du saint de l’église du Collège St-Michel vers la cathédrale Saint-Nicolas où les fidèles pourront venir les vénérer aux côtés de celles de saint Nicolas de Myre et de saint Nicolas de Flüe. Le deuxième est la création de la nouvelle province jésuite d’Europe centrale placée sous le patronage de Canisius.
Auteur en 2020 d’une biographie de Pierre Canisius, le Père Pierre Emonet revient avec cath.ch sur la personnalité et l’influence de ce saint proclamé docteur de l’Eglise par le pape Pie XI en 1925 et pourtant aujourd’hui méconnu.
Le qualificatif que vous attribuez à Pierre Canisius est celui d’infatigable
J’avais choisi comme sous-titre de mon livre le seul mot infatigable. L’éditeur a ajouté réformateur de l’Eglise d’Allemagne. Mais c’est bien ce caractère infatigable qui me paraît le mieux qualifier sa personnalité. Pierre Canisius est un jésuite ordinaire pour ainsi dire. Ce n’est pas un grand théologien, ce n’est pas un grand missionnaire dans les pays lointains, c’est un homme qui se rend disponible pour tout ce qu’on lui demande.
Son rayonnement n’en est pas moins extraordinaire. Il va toujours de l’avant. Il enseigne, il écrit, il prêche, il est responsable de communauté, provincial, fondateur, conseiller des puissants et même des papes. A un moment donné après la mort de l’archevêque de Vienne, on veut le faire archevêque. Il refuse, mais devient tout de même administrateur apostolique qu’il restera pendant un an.
«Pensant n’avoir jamais assez bien fait, Canisius est sévère pour lui-même. Il a peur d’être condamné.»
On découvre un homme assidu, persévérant, avec une capacité de travail hors du commun, ne rechignant jamais à la tâche.
Il a circulé à pied ou à cheval dans toute l’Europe, Allemagne, Italie, Autriche, Bohème, Suisse… On estime qu’il a ainsi parcouru pas moins de 100’000 kilomètres au cours de sa vie.
Comme provincial sa tâche est loin d’être facile. Il fonde des communautés avec des gens qui sont de drôles de types, parfois carrément psychopathes ou totalement inadaptés. Il doit faire face à des situations impossibles. Il ne se démonte pas et avance de manière assez têtue. Mais il se montre toujours très miséricordieux. Dur pour lui-même, prompt au jeûne et à l’ascèse, il est doux pour ses confrères. Lorsqu’il s’agit de créer une nouvelle fondation, il s’inquiète toujours du climat et de la qualité des lieux ou du fait de savoir si on peut y trouver une bonne bière.
Vous décrivez aussi une personnalité plutôt angoissée.
Il est assez porté au scrupule. Pensant n’avoir jamais assez bien fait, il est sévère pour lui-même. Il a peur d’être condamné et revient assez souvent sur sa jeunesse un peu dissolue de gosse de riches. Travailleur inlassable, il connaît aussi des phases de fatigue et d’épuisement physique. Quand il arrive à Fribourg à 60 ans, il est déjà vieux et usé.
Rigoureux et assidu, Canisius n’aime pas perdre son temps, il ne s’amuse pas.
Il fonde 18 collèges dans plusieurs pays pour lesquels il doit chercher et obtenir des financements. Les princes promettent volontiers leur soutien, mais bien souvent l’argent est d’abord destinée à la guerre où à la défense. Le XVIe siècle dans lequel il vit est marqué par des conflits incessants entre les princes allemands ou entre l’empereur Charles Quint et le roi de France François Ier.
C’est une période de crise profonde de l’Eglise. Le clergé est totalement corrompu, souvent concubin. Les évêques ne cherchent qu’à accumuler des bénéfices. Il s’y oppose avec fermeté, mais n’est jamais un fou furieux qui se laisse aller à l’insulte.
«A une époque où les invectives entre luthériens et catholiques sont la règle, Canisius refuse d’en dire du mal ou de les insulter»
On le surnomme pourtant le ‘marteau des hérétiques’.
Oui. Il est même représenté dans des gravures, un marteau à la main. Mais si l’on étudie un peu ses écrits, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une caricature. Par sa culture, ses écrits, il a certes une action assez forte contre la Réforme. Mais lui-même est toujours un modéré.
Il ne fait pas partie de ces théologiens allemands qui veulent «casser» du luthérien. C’est un homme de dialogue, qui négocie, parle, argumente. A Rome, il insiste très régulièrement pour qu’on ménage les Allemands. Pour lui, il ne sert à rien de les excommunier. «Vous pouvez excommunier de bons catholiques comme les Espagnols, mais avec les Allemands, cela ne marche pas», explique-t-il.
Il préfère éviter les sujets les plus polémiques, comme la dévotion aux saints ou l’eucharistie. A une époque où les invectives entre luthériens et catholiques sont la règle, il refuse d’en dire du mal ou de les insulter… avec quelques rares exceptions. Lorsqu’on lui soumettait des travaux, il biffait tous les termes méchants ou trop agressifs contre les hérétiques.
Ainsi, il reproche à Charles Borromée, l’archevêque de Milan, sa rigueur. Lorsque Borromée est nommé par le pape visiteur de l’Eglise en Suisse, il exprime le vœu de pouvoir y rencontrer Pierre Canisius qui réside alors à Fribourg. Canisius répond qu’il préfère»se tenir à distance de lui parce qu’il est un médecin beaucoup trop rigoureux pour les Suisses susceptibles».
Canisius écrit beaucoup: lettres, prédications, livres, vies de saints, ouvrages de piété, catéchismes…
L’écriture est chez lui déjà une aptitude personnelle antérieure à sa vocation. Il est le premier jésuite à avoir son nom imprimé sur la couverture d’un livre. Il soutient le ‘ministère’ de l’écriture comme propre à la Compagnie de Jésus.
«Canisius est un adversaire irréconciliable de l’Index romain. Pour lui, l’interdiction de livres est une honte pour l’Eglise,»
Il est aussi un adversaire irréconciliable de l’Index romain. Pour lui, l’interdiction de livres est une honte pour l’Eglise. «Si nous devons appliquer l’Index, nous n’avons plus qu’à fermer nos collèges», s’emporte-t-il. «Comment pourrions-nous enseigner sans connaître les écrits des autres?». Il intervient à Rome pour obtenir, pour les jésuites au moins, le droit de lire des livres interdits.
Partout où il passe, il achète des livres et s’inquiète toujours de leur transport dans de grands sacs de cuir. Dans chaque collège, il monte des bibliothèques. Les catalogues montrent des ouvrages très divers, bien au-delà des livres de piété ou de théologie. Les auteurs classiques grecs et latins y sont très présents. Il estime que dans un collège une bibliothèque est plus importante qu’une église.
Il faut dire un mot aussi de son œuvre majeure, le catéchisme.
Les catéchismes de Canisius ont été utilisés dans le monde germanique jusqu’au XXe siècle, au point que le terme ‘canisius’ est devenu un nom commun pour désigner le catéchisme. Il écrit un catéchisme en latin pour les clercs et les gens formés, et deux en allemand, un pour les adultes et un pour les enfants. Ces catéchismes sont réédités et traduits dans plusieurs langues, déjà de son vivant. Mais il faut dire que cette idée de faire un catéchisme lui est venue de celui de Luther. Comme les catholiques n’avaient rien de semblable, il s’y est mis.
«Canisius développe une dévotion affective très christocentrique»
Canisius, pour qui l’écrit est un apostolat, est à l’origine de l’installation de la première imprimerie à Fribourg.
Il pousse en effet les autorités fribourgeoises à fonder une imprimerie. Abraham Gemperlin est le premier imprimeur à Fribourg. Ce qui est étonnant pour l’époque, car pour imprimer un livre de théologie, il faut une autorisation de Rome. Canisius se charge de les obtenir. Gemperlin imprime ainsi plusieurs de ses livres en allemand ou en latin.
Une activité aussi intense ne va pas sans une spiritualité profonde
Canisius développe une vie spirituelle intense proche du courant de la devotio moderna qu’il a reçue des chartreux de Cologne, lors de sa formation. C’est une dévotion très christocentrique affective. C’est un grand dévot du Sacré-Cœur alors qu’Ignace de Loyola n’en parle jamais. La vie spirituelle est la source de sa force et de sa persévérance. (cath.ch/mp)
Pierre Emonet: Pierre Canisius, l’infatigable réformateur de l’Eglise d’Allemagne (1521-1597), Bruxelles, Paris, 2020, 180p.
La venue de Canisius à Fribourg
L’arrivée de Pierre Canisius à Fribourg, à la fin de 1580, marque la dernière étape de sa vie. Il mourra dans la cité des bords de la Sarine, le 21 décembre 1597. Pierre Emonet revient sur les circonstances de sa venue.
Pierre Canisius occupe la charge de provincial des jésuites d’Allemagne pendant quatorze ans. Son territoire s’étend sur une large partie du monde germanique y compris la Bohème, l’Autriche et la Suisse. Il en est déchargé pour se consacrer à l’écriture d’une réponse au manifeste protestant des Centuries de Maggdebourg. Il est remplacé par un certain Paul Höffer, un homme avec lequel il ne s’entend pas du tout en raison de son caractère, mais aussi pour des divergences d’ordre théologique par exemple sur la question du prêt à intérêts que Canisius refuse. Cassant et autoritaire, Höffer s’oppose à Canisius, nettement plus conciliant.
En outre, comme Rome ne cesse de consulter Canisius, Höffer en prend ombrage. Cela finit par un chantage au général des jésuites Aquaviva en lui disant: «Soit vous écartez Canisius, soit je m’en vais». Le général, plutôt favorable à Canisius, refuse. Mais se présente alors une bonne occasion. Les autorités de Fribourg veulent fonder un collège et s’adressent à la province des jésuites d’Allemagne qui ne sont pas chauds. Mais le pape Grégoire XIII et le nonce Bonomini soutiennent fermement ce projet. Qui mieux que Canisius peut accomplir cette tâche? Höffer en profite pour l’envoyer à Fribourg. C’est en fait un exil, mais lui, comme à son habitude, accepte ce nouveau service qu’on lui demande.
Canisius arrive en compagnie du nonce Bonomini. Ils passent par Berne dont ils se font chasser à coups de boule de neige et de navets par les protestants. L’accueil à Fribourg, où sa réputation l’a précédé, est heureusement beaucoup plus chaleureux.
Afin de financer l’installation du collège, le pape attribue aux jésuites l’abbaye des prémontrés d’Humilimont, en Gruyère, qui connaît une phase de décadence. Mais le cadeau est un peu empoisonné, car avec l’abbaye reviennent ses dettes et l’administration de la région. Les jésuites s’en débarrassent pour s’établir à Fribourg. Canisius trouve un terrain sur la colline du Belzé pour y faire construire le collège St-Michel qui sera financé par les autorités fribourgeoises. Faute de moyens, le chantier s’étalera sur 15 ans.
Pendant la construction, les premières classes s’installent en 1582 dans deux maisons de l’actuelle rue de Lausanne. Canisius œuvre aussi comme prédicateur régulier à la collégiale Saint Nicolas. 320 de ses sermons ont été conservés. Il se déplace aussi dans les paroisses de la région pour des missions populaires ou des prédications. Les autorités et la population l’apprécient beaucoup. A sa mort, il est enterré au pied du maître-autel de la collégiale. Ce n’est que quelques décennies plus tard que les jésuites obtiendront de déplacer sa dépouille à St-Michel, dont l’église a été construite entre-temps. MP
Ne pas se presser trop de juger ou de condamner
Le 18 décembre 1580, Pierre Canisius, arrivé quelques jours plus tôt à Fribourg, monte en chaire pour la première fois dans la collégiale Saint-Nicolas. Il s’adresse à ses auditeurs en ces termes: «Dans les cas où quelques-uns comprendraient mal mes discours et seraient tentés de les critiquer ou même de s’en offenser, je les prierais amicalement de ne pas se presser trop de juger ou de condamner mais plutôt de vouloir bien, en toute charité, m’avertir ou me faire avertir par d’autres, ou encore de venir conférer avec moi.» MP
Pierre Canisius
A l'occasion du 500e anniversaire de sa naissance, Fribourg se remémore la haute figure de saint Pierre Canisius. Hérault de la Contre-Réforme, fondateur du collège St-Michel, le jésuite a eu une influence importante dans la cité des Zaehringen où il a passé les 17 dernières années de sa vie.