Pie XII s'est personnellement impliqué pour la protection des juifs
Le journaliste allemand Michael Hesemann, spécialiste de l’histoire de l’Eglise, a été l’un des trente premiers chercheurs à pouvoir consulter les archives du pontificat du pape Pie XII. Avant d’en être chassé par le coronavirus, il a déjà fait quelques découvertes intéressantes touchant notamment la rafle des juifs de Rome en octobre 1943. Des documents autographes qui prouvent l’implication personnelle du pape dans le sauvetage des juifs.
Dans un article publié par l’hebdomadaire catholique allemand Tagespost, Michael Hesemann révèle le résultat de ses premières recherches. Dès son arrivée sur place le 2 mars 2020, il s’est concentré sur les documents de la Secrétairerie d’Etat autour du 16 octobre 1943, date de la ‘razzia’ des juifs de Rome par l’occupant nazi
Dès le 25 septembre 1943, le général Rainer Stahel, chef du haut commandement militaire allemand de Rome avait adressé un avis au collège pontifical croate saint Jérôme (Pontificio collegio croato di San Girolamo), le qualifiant de «propriété de l’État du Vatican» et interdisant «strictement» aux soldats allemands d’y entrer.
4’500 juifs protégés dans les couvents romains
Cela a créé un précédent auquel le pape a pu se référer immédiatement après la rafle. En une semaine, il a réussi à obtenir 550 autres attestations de ce type de la part du général Stahel. Ce qui a permis de protéger contre l’entrée des Allemands non seulement des institutions du Vatican mais une grande partie des monastères, couvents et institutions religieuses romaines.
A partir du 25 octobre, 4’465 des quelque 8’000 juifs de Rome ont ainsi pu être cachés dans 235 couvents romains. Les documents conservés aux archives prouvent que ces documents ont été produits dans une imprimerie du Vatican et n’ont été soumis au général Stahel ou à son adjudant von Veltheim que pour signature. Pour Michael Hesemann, il est ainsi clair que l’initiative en a été prise par Pie XII. (Lors de la rafle du 16 octobre, un millier de juifs romains ont néanmoins été déportés en train vers Auschwitz. ndlr)
«Ne pas réveiller le chien qui dort»
Le chercheur avance une deuxième preuve plus inédite. Il a retrouvé une note autographe de Pie XII. Lorsque le service de presse du Vatican a annoncé par la suite que le Saint-Siège ferait tout son possible pour éviter qu’un incident tel que la razzia ne se reproduise, Pie XII a écrit de sa main: «Est-il sage de la part du Bureau de presse de faire cette annonce?» ajoutant qu’il était «conscient du fait qu’il n’est pas utile de réveiller les chiens endormis, spécialement les nazis, et de leur signaler les actions humanitaires émanant du Palais Apostolique».
Nombreuses actions des nonces
Avant de devoir abandonner son travail, pour cause de coronavirus, Michael Hesemann a pu encore mettre la main sur les cartons «hébreux» (juifs) des nonciatures de Berlin, Berne et Rome, ainsi que les délégations apostoliques de Londres et de Bucarest.
Le journaliste dit avoir été impressionné, par le grand nombre d’interventions et d’actions des ambassadeurs du pape, en consultation avec le cardinal secrétaire d’État Maglione, pour répondre aux demandes d’aides, malheureusement, très souvent sans succès. Il en rapporte trois exemples.
Dès l’automne 1941, lorsque des rumeurs sur les massacres liés à la première phase de la Shoah arrivent au Vatican, Pie XII envoie dans les hôpitaux sur le front de l’Est un prêtre de confiance, Don Pirro Scavizzi, aumônier de l’ordre de Malte. Il rentre à Rome en novembre et fait son rapport.
Quelques succès, beaucoup d’échecs
Dans les archives de la nonciature de Berne, figure, à la date du 6 avril 1943, le rapport de témoins oculaires accompagné de trois photos d’une exécution de masse. Pour Hesemann, ce rapport aurait poussé Pie XII à intensifier les mesures de sauvetage lancées par les épiscopats et les diplomates du Vatican avec un certain succès en Roumanie et en Bulgarie, et en partie en Slovaquie et en Hongrie où les déportations ont cessé en juillet 1944, après un télégramme personnel du pape au chef de l’Etat Horthy.
Dans d’autres cas, ce fut un échec. A la fin de 1943, alors que 216 juifs détenteurs de passeports pour l’Amérique latine obtenus auprès du Vatican étaient détenus dans le camp de Vittel, en France, et devaient être déportés à l’Est, le nonce s’est adressé à douze ambassadeurs – qui ont tous refusé. Puis la réponse des Américains est arrivée: «Le gouvernement des États-Unis apprécie les activités humanitaires du Saint-Siège dans cette affaire… mais a donné pour instruction aux États d’Amérique latine de ne pas donner suite à cette demande.» Seul le Brésil a accueilli une famille juive de trois personnes. Les 213 juifs restants furent déportés à Auschwitz le 28 juillet 1944. (cath.ch/tp/mp)