La pseudo apparition de la Vierge à un Dominicain de Berne en 1507 / Domaine public
Vatican

Apparitions et phénomènes surnaturels: Rome remet de l'ordre

Près de cinquante ans après la promulgation de normes pour étudier les phénomènes surnaturels dans l’Église catholique – apparitions, révélations, etc. -, le Vatican publie le 17 mai 2024 de nouvelles règles pour éviter d’éventuels scandales et toute forme de confusion parmi les fidèles. Les évêques restent les juges dans leur diocèse mais leur avis devra être validé par Rome.

Les Normes procédurales pour le discernement de phénomènes surnaturels présumés qui comptent une quinzaine de pages sont signées du préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi, le cardinal Victor Manuel Fernandez. Publiées en huit langues, Eeles donnent aux évêques du monde entier une procédure stricte pour discerner sur les phénomènes mystiques qui se produiraient dans leur diocèse. Les évêques sont tenus de faire remonter à Rome leur avis que le Vatican devra valider après examen. Sauf intervention du pape, l’Église catholique ne reconnaîtra jamais la surnaturalité d’un phénomène mais pourra simplement accorder un Nihil obstat.

Pourquoi l’Église fait-elle évoluer ses normes ?

Les dernières Normes procédurales pour le discernement des apparitions ou révélations présumées, rappelle le cardinal Fernandez dans son introduction, datent de 1978 – approuvées par Paul VI – et n’ont été rendues publiques qu’en 2011. Cette ancienne procédure, qui ne donnait lieu à aucune déclaration publique du Saint-Siège, laissait souvent les fidèles dans la confusion et les évêques sans orientation claire, explique-t-il.

Le préfet argentin pointe aussi du doigt la lenteur problématique des procédures, estimant que souvent « le discernement ecclésial arrivait trop tard ». Il donne pour preuve de ce phénomène que seuls six cas ont été officiellement résolus depuis 1950.

La diffusion d’informations sur ces phénomènes, note encore le cardinal Fernandez, est aujourd’hui amplifiée par l’avènement des moyens modernes de communication, ce qui nécessite une attention supplémentaire pour prévenir les dangers qui peuvent en découler. Il note en conséquence le besoin de procédures capables d’impliquer plusieurs diocèses, notant que ces phénomènes ont tendance à franchir les frontières.

Pas d’obligation de croire

Ces changements, souhaite le cardinal, doivent permettre de mieux lutter contre certains «problèmes très graves» qui sont survenus. Il cible en particulier les cas où des ‘apparitions’ ou ‘révélations’ ont pu être utilisées pour obtenir «profit, pouvoir, célébrité, notoriété sociale, intérêt personnel». Il cite encore les cas où des phénomènes sont un «moyen ou prétexte pour exercer une domination sur des personnes ou pour commettre des abus».

Le cardinal argentin met aussi en garde contre des ‘révélations’ comportant des erreurs doctrinales ou la diffusion d’un esprit sectaire. Il évoque enfin des phénomènes qui se sont avérés être le fruit de la falsification ou de la mythomanie de quelqu’un.

«Les fidèles ne sont pas obligés d’accepter l’authenticité de ces événements», insiste tout particulièrement le cardinal, regrettant que la procédure existante ait pu parfois laisser entendre le contraire. Il explique que la Révélation – soit la vérité révélée par Jésus et transmise dans les Évangiles – est définitive et n’a donc pas besoin d’être complétée par des révélations.

La procédure détaillée à suivre 

Le Saint-Siège donne aux évêques une procédure détaillée à suivre. Il revient en effet à l’évêque de chaque diocèse d’examiner les cas de phénomènes surnaturels présumés survenus sur son territoire. Il lui est demandé de «ne pas alimenter un climat de sensationnalisme», d’éviter «des manifestations de dévotion incontrôlées ou douteuses» et de s’abstenir de toute déclaration publique.

Si le phénomène reste circoncis, l’évêque doit observer une vigilance. Si une forme de dévotion se développe, l’évêque ouvre une enquête canonique, instituant une commission d’enquête constituée au moins d’un théologien, d’un canoniste et d’un expert. Rome insiste sur leur impartialité et sur la confidentialité de l’investigation. 

Outre l’interrogatoire des témoins de ces phénomènes, les éventuels objets concernés – lacrimations d’images sacrées, sueurs, saignements, transformation d’hosties consacrées, etc.– doivent être soumis à des tests de laboratoire. 

Analyse des points positifs et négatifs

Le Saint-Siège donne des critères de discernement positifs et négatifs pour évaluer les phénomènes. Les quatre points positifs à considérer sont la crédibilité et la bonne réputation des personnes concernées, l’orthodoxie doctrinale du message diffusé, l’imprévisibilité du phénomène et ses fruits de vie chrétienne. 

Les six points négatifs sont une erreur manifeste sur le fait, des erreurs doctrinales, le constat d’un esprit sectaire, ou d’une recherche de profit, de pouvoir, de célébrité, de notoriété sociale, d’intérêt personnel étroitement liée aux faits, des actes gravement immoraux accomplis au moment ou à l’occasion des faits et enfin des altérations psychiques ou des tendances psychopathiques chez le sujet, […] ou une psychose, une hystérie collective ou d’autres éléments relevant d’un horizon pathologique.

Fausses apparitions de «la Dame de tous les peuples», aux Pays-Bas
Tout en ne citant pas nommément le cas le document du Dicastère pour la doctrine de la foi revient assez longuement sur l’affaire des apparitions de la «Dame de tous les peuples» à Amsterdam, dans les années 1940-1950, comme un exemple de confusion introduite chez les fidèles par des jugements contradictoires des évêques successifs du diocèse de Haarlem-Amsterdam pour arriver finalement au rejet du caractère surnaturels de ces apparitions par Rome en 2020. «Il aura donc fallu quelque 70 années tourmentées pour arriver à la conclusion de toute cette affaire», note le document. MP

Au terme de l’enquête préliminaire, l’évêque rédige un rapport avec un avis personnel et transmet au dicastère tous les actes et son jugement. Il revient à Rome de donner l’approbation finale, insiste le document qui stipule que le DDF «a la faculté d’intervenir […] en tout temps et en toute situation de discernement concernant les phénomènes surnaturels présumés».

Enfin, l’évêque fait connaître publiquement la réponse du dicastère, précisant par un décret, la nature de l’autorisation et les limites d’un éventuel culte autorisé. Il continue par la suite à veiller au phénomène avec un soin prudent. Et s’il constate une intention délibérée de mystification et de tromperie à des fins autres, l’évêque peut même appliquer des sanctions canoniques.

La grille de Rome pour évaluer les phénomènes surnaturels 

Après l’enquête de l’évêque, ce dernier envoie donc à Rome sa détermination sur le phénomène étudié. Six formules graduées sont proposées à l’évêque, allant du Nihil obstat (rien ne s’oppose) à la déclaration de « non surnaturel ». Au Vatican, le dicastère pour la Doctrine de la foi réexamine l’ensemble du dossier et procède à la confirmation ou au rejet de la détermination proposée par l’évêque. Voici les six conclusions possibles : 

Nihil obstat (rien ne s’oppose) C’est le degré le plus élevé dans l’échelle de discernement des phénomènes surnaturels. Mais le Vatican reste prudent: «aucune certitude n’est exprimée quant à l’authenticité surnaturelle du phénomène», précise-t-il d’emblée. Rome reconnaît «de nombreux signes d’une action de l’Esprit Saint» et «aucun aspect particulièrement critique ou risqué n’a été détecté», poursuit la note qui prend le soin d’ajouter: «du moins jusqu’à présent». Avec le Nihil obstat, l’évêque peut promouvoir la proposition spirituelle en restant attentif. 

Prae oculis habeatur. (A garder sous les yeux) Par cette réponse, Rome reconnaît «des signes positifs importants» dans le phénomène mais note aussi «des éléments de confusion ou des risques possibles». Un «discernement attentif» et un dialogue de l’évêque avec les destinataires de l’expérience spirituelle sont requis. Une «clarification doctrinale» peut être nécessaire s’il y a eu des messages. 

Curatur. (A traiter) Le dicastère a relevé plusieurs éléments critiques ou significatifs «mais en même temps il y a déjà une large diffusion du phénomène» et des «fruits spirituels» vérifiables. «Une interdiction qui pourrait indisposer le Peuple de Dieu est déconseillée», explique la note qui invite l’évêque à ne pas encourager ce phénomène, à rechercher d’autres expressions de dévotion et éventuellement à en réorienter le profil spirituel et pastoral. 

Sub mandato. (Sous mandat) Dans ce cas, Rome ne conteste pas le phénomène lui-même mais «une personne, une famille ou un groupe de personnes qui en font un usage abusif» et en tirent par exemple un avantage financier. Dans ce cas, la direction du lieu est confiée à l’évêque ou une personne déléguée par le Saint-Siège. 

Prohibetur et obstruatur. (A prohiber et empêcher) «Les points critiques et les risques semblent sérieux» et pour éviter toutes confusions ou scandales, «le dicastère demande à l’évêque diocésain de déclarer publiquement que l’adhésion à ce phénomène n’est pas permise», d’en expliquer les raisons aux fidèles touchés et de réorienter leurs préoccupations spirituelles.

Declaratio de non supernaturalitate. (Déclaration de non supernaturalité) Rome autorise l’évêque à déclarer que le phénomène est reconnu comme «non surnaturel». La décision est prise sur la base de preuves. Par exemple, détaille la note, lorsqu’un voyant présumé affirme avoir menti, ou lorsque des témoins crédibles fournissent des éléments de jugement qui permettent de découvrir la falsification du phénomène, l’intention erronée ou la mythomanie.

Désormais, le dicastère pour la Doctrine de la foi peut se saisir de son propre chef pour étudier un cas. Le pape François est la seule personne à pouvoir autoriser, à titre exceptionnel, la déclaration du caractère surnaturel d’un événement. (cath.ch/imedia/mp)

La pseudo apparition de la Vierge à un Dominicain de Berne en 1507 / Domaine public
17 mai 2024 | 14:49
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 7  min.
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