Le Père Louis-Joseph Lebret (1897-1966) à sa table de travail  (photo Irfed)
Suisse

Le Père Lebret est il un penseur d'hier pour aujourd'hui?

Inspirateur de l’encyclique du pape Paul VI sur le développement des peuples Populorum progressio, le Père Joseph-Louis Lebret jeta les bases de la réflexion de l’Eglise dans ce domaine. 50 ans après sa mort survenue en 1966, quel héritage reste-il aujourd’hui de la pensée et de l’œuvre de ce pionnier? Pour répondre à cette question, l’Action de Carême (AdC) a organisé un colloque, le 1er décembre 2016, à Genève.

«Lebret est-il un penseur d’hier pour aujourd’hui?» telle est l’interrogation lancée par Yves Berthelot, président du Centre international développement et civilisation Lebret-Irfed à Paris. Pour lui, l’actualité du religieux dominicain est qu’il a ouvert dès les années 1950 un «chemin d’économie humaine», à contre-courant de la pensée dominante de l’époque. Dans ces années d’après-guerre en effet, croissance et développement étaient assimilés et le mot durable signifiait capable de générer sa croissance d’une manière auto-entretenue. A cette vision, le Père Lebret oppose celle du développement intégral de «tout homme et de tout l’homme» selon la formule consacrée par l’encyclique du pape Paul VI en 1967.

Pour un développement intégral

L’économie doit répondre à tous les besoins de l’homme: les besoins essentiels nécessaires à la vie, les besoins de confort et d’agrément, mais aussi le besoin de dépassement de soi qui donne un sens à la vie. A l’individu des sciences économiques qui agit seul et pour lui, Lebret oppose la personne comme être de relation qui interagit avec d’autres. Cette base anthropologique reste aujourd’hui encore le fondement de l’action des oeuvres d’entraide, pas seulement catholiques d’ailleurs.

Droit au développement

En 1962, le Père Lebret propose, au nom du Saint-Siège, d’instaurer un droit au développement garanti pour chacun et pour chacune. Ce principe, qui sera fixé dans une déclaration publiée en 1986, verra sa première réalisation avec les Objectifs du millénaire en l’an 2000, suivis des objectifs pour le développement durable en 2015.

Le Père Lebret est encore un précurseur lorsque ‘il considère qu’il n’y a pas de bonne économie sans vraie démocratie, sans juste répartition des fruits de l’activités économique, sans respect de la dignité de toutes les personnes. Il insiste aussi sur le niveau local et sur l’importance des organisations de la société civile.

Pas de réunion d’anciens combattants

Eric Sottas, ancien secrétaire général de l’Organisation mondiale contre la torture OMCT, s’est défendu de participer à une cérémonie d’anciens combattants. Pour lui, le Père Lebret est entré dans un ‘cône d’ombre’, non pas parce qu’il était dépassé, mais parce qu’il était en avance. On peine aujourd’hui à voir la dynamique qu’il a lancée lorsqu’il a dénoncé la confusion entre développement économique et développement en tant que valeur de civilisation. Sa définition du développement comme une série de passages d’une phase moins humaine à une phase plus humaine reste parfaitement actuelle. L’initiative populaire pour des multinationales responsables en discussion en Suisse s’inscrit dans la ligne de cette pensée.

Par video-conférence, Olivier de Schutter, professeur de droit international et membre du Comité des droits économique sociaux et culturels de l’ONU a rappelé qu’une croissance qui ne réduit pas les inégalités entre les personnes et n’assure pas la réduction de la pauvreté ne peut pas permettre un développement durable. Aujourd’hui, les notions de droits des victimes ou de responsabilité extra-territoriale des entreprises ont progressé et ont trouvé une expression dans le droit international, même si l’absence de mécanismes de contrôle rend leur application encore difficile.

Lebret et les marins-pêcheurs

Diverses personnalités suisses ont ensuite évoqué comment la pensée du Père Lebret et de Populorum progressio influence leur engagement quotidien. Dominique Rossier, chargée d’enseignement à l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève insiste sur le processus participatif – Lebret parlait de mobilisation- qui implique l’ensemble des acteurs de la décision à la mise en œuvre d’un projet de développement. Lebret était en outre très attentif aux questions d’aménagement du territoire pour permettre de définir de priorités et de mettre en place des politiques cohérentes de développement des zones défavorisées.

Le sociologue Dominique Froidevaux, directeur de Caritas Genève, a souligné les principes de la recherche-action développés par le Père Lebret qui a commencé son travail avec les marins-pêcheurs de St-Malo dont il était originaire. La recherche n’est jamais neutre, elle se réfère toujours à une anthropologie. Lebret conçoit le développement comme une aventure individuelle en lien avec les autres dans une communauté humaine. En ce sens le bien commun ne peut pas se définir comme la somme des intérêts individuels.

Lebret en Amérique latine

Guillermo Kerber, du Centre catholique international de Genève (CICG), a rappelé l’importance du Père Lebret pour l’Amérique latine. Le Centre latino-américain d’économie humaine, qu’il a fondé en 1957, à Montevideo, a formé des générations de chercheurs et de personnalités politiques. Au développement intégral prôné par Populorum progressio fait écho aujourd’hui l’écologie intégrale de Laudato si du pape François. Avec la même conviction que le changement est possible et qu’il fait sens.

Sonja Kaufmann, membre de la direction de l’Action de carême (AdC) s’est plue à souligner combien Populorum progressio fonde aujourd’hui encore le travail de l’AdC. Le lien entre la transformation personnelle et la transformation sociale est essentiel. L’approche principale de l’AdC, celle de l’empowerment, correspond tout à fait à cette conviction du Père Lebret, tout comme les concepts de religion et culture et de foi et justice développés par l’AdC au cours des dernière années.


Le Père Louis-Joseph Lebret

Louis-Joseph Lebret est né en Bretagne, non loin de Saint-Malo, le 26 juin 1897, dans une famille de forte tradition maritime. Il devient d’abord officier de marine avant d’entrer chez les dominicains en 1923. Après sa formation théologique, il est affecté, en 1929, à St-Malo. Interpellé par le sort des marins pécheurs, il organise une action sociale et syndicale de grande envergure touchant toutes les côtes françaises.

En 1941, il crée, dans la région lyonnaise, l’association Économie et humanisme. Dès 1947, il est invité au Brésil. Il retournera à de nombreuses reprises en Amérique latine pour y présenter ses idées.

En mars 1958, il fonde à Paris l’Institut international de recherche et de formation éducation et développement (Irfed), devenu le Centre international Développement et civilisations – Lebret-Irfed.

Il est appelé, dès octobre 1958, à conseiller le chef du premier gouvernement sénégalais, , pour sa stratégie de développement. Il donne également des consultations dans d’autres pays africains. Dans la même période, il devient conseiller de la présidence et du gouvernement libanais. En 1959-1960, il travaille au Sud-Vietnam.

Parallèlement à ces activités, L.-J. Lebret est appelé par le pape Paul VI à être expert du Concile Vatican II. Il sera par la suite l’inspirateur principal de l’encyclique sur le développement des peuples Populorum progressio, publiée en 1967. Il est aussi appelé à représenter le Saint-Siège à la première session de la Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) tenue à Genève en 1965. Il meurt à Paris le 20 juillet 1966. (cath.ch/mp)

Le Père Louis-Joseph Lebret (1897-1966) à sa table de travail (photo Irfed)
2 décembre 2016 | 11:28
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
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