Père Kornelius Politzky: en prison, l'œcuménisme est tout naturel

Fribourg, 9 février 2015 (Apic) «En prison, je rencontre un islam plutôt pacifique, pas les fondamentalistes de tendance wahhabite ou salafiste… Je n’ai jamais rencontré d’intégristes, et s’il y en a, ils ne viennent pas me voir!». Aumônier de prison depuis 15 ans, le Père Kornelius Politzky, bien que retraité, est toujours actif dans la prison régionale de Thoune.

Le religieux salvatorien bénéficie d’une riche expérience: il a travaillé comme aumônier dans les établissements de Thorberg, Moutier, Witzwil, Burgdorf, ainsi que dans la division cellulaire de l’Hôpital de l’Ile, à Berne. Il écoutait la confession dans ces différents établissements, à la demande de prisonniers souvent à la recherche d’une écoute qui ne juge pas.

Dans son activité, il rencontre des détenus en provenance de tous les continents: dans ses rencontres, il peut pratiquement faire le tour du monde et découvrir toute la panoplie des crimes et des délits: des «mules» acheminant vers la Suisse la cocaïne de Colombie aux Asiatiques transportant des pilules de méthamphétamines, les fameuses «pilules thaï», en passant par le proxénétisme, les crimes de sang, les violences conjugales, les vols, les braquages ou les escroqueries…

«Tous ne sont pas des enfants de choeur»

Les aumôniers, tenus au secret professionnel, respectent l’anonymat et ne font pas de rapports à la direction. Les gens viennent se confier, en toute confiance. Certains se plaignent d’être victimes d’erreurs judiciaires. «On écoute d’abord, puis on donne des conseils», explique l’aumônier. Dans son bureau, il n’y a ni caméra ni enregistreur, mais un système d’alarme s’il y avait un danger, ce qui ne lui est encore jamais arrivé. Et pourtant, tous ne sont pas des enfants de chœur: «J’ai parfois en face de moi des personnes qui ont tué, et ce n’est jamais agréable quand ils racontent comment ils ont fait. Si tu as peur, tu ne peux pas travailler dans ce domaine! Il faut une certaine stabilité psychique, car le choc peut être rude!», confie-t-il.

«A la prison de Thoune, je suis aumônier pour toutes les religions et confessions, une aide pour la direction en ce qui concerne les problèmes spirituels des prisonniers, qu’ils soient catholiques, orthodoxes, protestants, anglicans, évangéliques, musulmans (environ 30%), bouddhistes ou autres. Je discute avec le chef de cuisine pour les questions de nourriture, par exemple lors du ramadan ou de la Noël orthodoxe. De toute façon, on ne sert du porc dans aucune prison suisse…»

Une personne «pour parler»

«Le directeur me laisse les mains libres, ainsi qu’à ma collègue protestante. Des détenus de toute confession ou religion font une demande afin de pouvoir venir me voir dans mon bureau. Ils ne viennent pas voir en particulier ‘le catholique’, mais ‘quelqu’un de l’Eglise’, ‘une personne pour parler’. Tous me considèrent comme un ‘servant de Dieu’. Il est difficile de supporter d’être enfermé dans sa cellule durant 23 heures par jour! Comme il n’y a pas d’imam à Thoune, même des musulmans viennent se confesser, car pour eux, c’est un grave péché s’ils ont menti devant le juge. Ils demandent qu’on prie pour leur famille… Ils me promettent le paradis».

Les catholiques lui demandent la Bible, ils veulent se confesser, communier. Les protestants veulent obtenir une Bible. Souvent les Africains souhaitent recevoir une bénédiction. Les musulmans demandent qu’on leur apporte un ‘misbaha’, un chapelet souvent fait de perles de bois, utilisé pour réciter le ‘dhikr’, qui mentionne les 99 noms d’Allah.

Ils veulent également des tapis de prière, qu’on leur apporte notamment de Turquie. Le Coran et les commentaires du Coran – en arabe, en turc, en albanais, en anglais ou en français – leur sont offerts par les mosquées ou les magasins d’alimentation musulmane.

«Je leur fournis également les heures de prière, en les trouvant sur internet. En prison, l’œcuménisme devient tout naturel, car les personnes se sentent ‘livrées’, impuissantes, et sont plus réceptives. Juifs, chrétiens et musulmans, professant l’une des trois religions monothéistes, ont la ‘foi fondamentale’: ils croient qu’existe un seul Dieu, que ce Dieu est miséricordieux, qu’il est Providence. Quand nous prions ensemble le ‘Notre Père’, les prisonniers s’entraident. Si nécessaire, l’un d’entre eux fait la traduction. Il n’y a pas tellement de racisme en prison, plutôt de la solidarité, car ils savent qu’ils sont tous sur le même bateau. Serbes et Kosovars, par exemple, sont bien conscients qu’ils partagent le même sort».

Les trois religions monothéistes sont des «religions du désert»

Les trois religions monothéistes sont des «religions du désert», et dans le désert, dans un contexte de solitude, la solidarité comme l’eau, sont vitales. «La prison, c’est comme un désert: on est seul, enfermé. Alors, l’écoute est importante. A la fin du ramadan, j’apporte des fruits, du chocolat. A Noël, on célèbre une fête œcuménique, avec une crèche chrétienne, et une crèche musulmane. Les prisonniers musulmans sont reconnaissants que l’on fête Noël avec eux. Ils chantent ‘Douce nuit’ avec nous, et puis l’on mange ensemble. Il n’y a pas de préjugés! Ainsi, un pape comme Jean Paul II est très apprécié: il a condamné la guerre américaine en Irak, il a embrassé la terre du Prophète. Ils ont pour lui une grande estime». JB


Encadré

Le rôle des aumôniers de prison vu par la Confédération

Le Programme national de recherche «Collectivités religieuses, Etat et société» (PNR 58), estime dans son «Cahier thématique II» qui traite de la religion dans la prison (avril 2011), que le personnel de détention doit être mieux formé en ce qui concerne l’islam. Les chercheurs ont identifié de grands potentiels d’amélioration s’agissant de l’offre spirituelle en prison, prônant notamment une meilleure information sur l’islam de la part du personnel de détention. Il devrait recevoir une meilleure information sur les différents aspects culturels et religieux de l’islam «pour pouvoir les différencier et éviter de percevoir le domaine religieux et culturel comme un tout connoté négativement».

Cette étude du programme de recherche du Fonds national suisse de la recherche scientifique relève que les aumôniers ont pour mission d’aider les détenus à mieux supporter leur expérience carcérale et à essayer d’en tirer des enseignements constructifs pour l’avenir. Ils consacrent ainsi l’essentiel de leur temps et de leur énergie à écouter les détenus. Le groupe de recherche du PNR 58 a pu montrer que les intervenants spirituels apportent beaucoup aux détenus. Ils leur permettent de retrouver un lien social et identitaire durant leur séjour dans l’institution totale que représente la prison.

Les prisons suisses s’efforcent de garantir la liberté religieuse à leurs détenus

Le groupe de recherche dirigé par Irene Becci, spécialiste reconnue de la sociologie de la religion en prison, a étudié durant trois ans la place de la religion et le rôle des aumôniers et d’autres intervenants spirituels ou religieux. Il ressort de ce projet de recherche inédit en Suisse des données scientifiques importantes pour la collectivité publique comme pour les autorités responsables. Ainsi, il s’avère que les prisons suisses s’efforcent de garantir la liberté religieuse, un droit fondamental, à leurs détenus. Les réglementations diffèrent beaucoup d’un établissement à l’autre, mais, dans la pratique, des arrangements sont toujours trouvés. C’est ce que montre la situation des musulmans, le plus grand groupe non chrétien dans les prisons suisses.

La religion, source importante de liberté intérieure pour les détenus

Les chercheurs du PNR 58 montrent aussi à quel point le métier d’aumônier a évolué durant les vingt ou trente dernières années. Les aumôniers de prison se concentrent aujourd’hui sur l’accompagnement spirituel des détenus, tandis qu’autrefois ils étaient en quelque sorte le bras droit du directeur. Ils passent maintenant la plupart de leur temps à écouter les détenus, indépendamment de leur confession et de leur religion. Le groupe de recherche explique en outre que la religion peut représenter une source importante de liberté intérieure pour les détenus. Toutefois, les personnes non croyantes ne le deviennent pas en entrant en prison.

Enfin, le projet montre que les prisons, comme d’autres institutions publiques, ne se sont pas encore totalement adaptées à la diversité religieuse de la Suisse. Contrairement aux aumôniers réformés et catholiques, les intervenants non chrétiens, au premier rang desquels figurent les imams, ne bénéficient pas d’un statut clair. Leurs attributions sont floues comme est flou le cadre dans lequel les intervenants évangéliques agissent. «Les prisons considèrent certains acteurs religieux de la même manière que des membres de la famille, simplement comme des visiteurs du pays d’origine des détenus. Une réflexion mérite d’être lancée par les prisons dans chacun de ces domaines», note le professeur Christoph Bochinger, président du comité de direction du PNR 58. L’Université de Berne propose depuis plus de dix ans une formation postgrade en aumônerie pour les aumôniers de prison chrétiens. De plus, il existe à la Haute école spécialisée de Zurich (ZHAW) une formation pour l’accompagnement religieux dans un contexte interculturel. JB

 


Encadré

Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS – statistiques de l’exécution des peines), il y a en Suisse 114 établissements de privation de liberté, avec 7’235 places de détention. Au 25 novembre 2014, les établissements pénitentiaires de Suisse hébergeaient 6’923 détenus, dont 1’892 en détention préventive. Les femmes représentaient 4,7 % de détenus et les étrangers 73 %.

 


Encadré

Le Père Kornelius Politzky, aumônier de prison depuis 15 ans

Le Père Kornelius Politzky, originaire d’une localité polonaise proche de Mikołów, en Silésie, est membre de la congrégation religieuse des Salvatoriens, la Société du Divin Sauveur (SDS). Citoyen suisse depuis 1992, il vit dans le pays depuis 1978. Après un doctorat en théologie à l’Université de Wrocław (anciennement Breslau), en Basse-Silésie, il a obtenu une licence en philosophie à l’Université de Fribourg. Il a suivi la formation postgrade pour aumôniers de prison chrétiens à l’Université de Berne. Le religieux fait également partie de l’équipe pastorale de la paroisse de Belp Heiliggeist, près de Berne, et est membre du comité de la section suisse de l’oeuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse». Il a écrit la préface de l’ouvrage «Manuel de sagesse du monde ordinaire», du Père Józef Maria Bocheński (1902-1995), paru aux Editions de l’Aire en 2002. (apic/be)

9 février 2015 | 08:34
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 7  min.
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