Père José Amaro: «Mon tort, ne pas me taire face aux injustices»
Défenseur des droits des paysans sans terres, le Père José Amaro, de la prélature d’Altamira, au nord du Brésil, a été arrêté le 27 mars 2018. Accusé «d’invasions illégales de terres publiques et privées avec armes à feu» et «d’extorsion de fonds auprès de propriétaires terriens», il a passé 92 jours en prison avant d’obtenir une remise en liberté provisoire. «Mon tort, c’est de ne pas me taire face aux injustices», a-t-il expliqué au correspondant de cath.ch.
Lors d’une première audience en septembre, les avocats du religieux ont démontré que bon nombre des accusations étaient infondées. En attendant la prochaine audience, programmée en mars 2019, le prêtre, qui réside désormais à la prélature d’Altamira, a accordé un entretien exclusif au correspondant de cath.ch.
Vous êtes accusé d’être à la tête d’une organisation criminelle. Que répondez-vous à cette accusation?
Il faut rappeler que, peu après la mort de Sœur Dorothy Stang, le 12 février 2005, nous avons créé un Comité de défense d’Anapu (CDA). L’objectif était de continuer la lutte pour la défense des droits des petits agriculteurs de la région. C’est notamment l’existence de cette structure et les victoires que nous avons pu obtenir depuis treize ans, qui m’ont valu l’accusation d’être à la tête d’une organisation criminelle. Donc les questions que je pose sont: pourquoi Sœur Dorothy a-t-elle été assassinée? Pourquoi seize travailleurs ruraux ont-ils été tués en seize ans? Pourquoi j’ai passé 92 jours en prison? Pourquoi existe t il une volonté de vengeance à l’égard des personnes qui travaillent au sein de la Commission Pastorale de la Terre (CPT)? La réponse est simple: parce que nous ne nous taisons pas face aux injustices.
Vous êtes également accusé d’avoir envahi des terres?
Je n’ai jamais incité personne à envahir une terre. Et personne ne m’a jamais vu non plus à la tête d’un groupe occuper une terre, qu’elle soit publique ou privée. Je fais partie de la CPT, qui est une organisation de l’Église catholique. Dans ce cadre, je me suis toujours strictement cantonné à accueillir des petits paysans en quête d’un lopin de terre, et leur donner des informations sur les organismes chargés de faire respecter leurs droits. Alors si j’ai fait quelque chose de mal, c’est d’avoir aidé les gens à faire respecter leurs droits et lutter pour que les paysans puissent disposer d’une terre.
Selon l’accusation, vous auriez également reçu des virements sur le compte de votre sœur et vous auriez fait chanter vos adversaires?
Les sommes évoquées proviennent d’argent déposé sur le compte bancaire de ma sœur lorsque j’ai fêté mes 50 ans, dans mon État d’origine, le Maranhão. J’ai invité plusieurs personnes et certaines d’entre elles ont souhaité participer au coût de cette fête. C’est tout! Je n’ai jamais rien demandé à personne et encore moins fait de chantage! Et s’il faut parler d’argent, il faut mentionner que depuis longtemps je reverse à la paroisse Santa Luzia, qui est pauvre, la plus grande partie de mon salaire de prêtre pour son fonctionnement, et même pour payer le carburant du véhicule qui me permet de visiter les communautés.
«Mgr Kraütler ne voulait pas de prêtres avec les ‘pieds dans les nuages’»
Vous avez été en outre accusé de harcèlement sexuel. Une vidéo a même été diffusée.
J’ai 51 ans. Si j’avais voulu faire quelque chose de sexuel, je ne l’aurais pas filmé. Cette accusation a été difficile à supporter, mais pour qui me connaît, y compris l’évêque d’Altamira, il a été clair immédiatement qu’il s’agissait d’une machination. Il est très vite apparu que la vidéo était un montage grossier. D’ailleurs, la procureure a retiré cette accusation du dossier. Quand tout cela sera terminé, je vais porter plainte pour tort moral.
On a entendu de nombreuses critiques disant que vous avez outrepassé votre rôle de prêtre, aux côtés des travailleurs ruraux. Comment définissez-vous votre rôle?
Quand j’ai étudié puis été ordonné prêtre à Anapu, l’évêque d’Altamira (ndlr Mgr Erwin Kräutler) disait qu’il ne voulait pas de prêtre avec «les pieds dans les nuages». J’aurais pu me contenter d’aller dans les communautés, célébrer la messe, parler de Dieu, de justice, de paix, de partage. Moi avec le ventre plein, alors que les gens avaient faim. Le 31 janvier 2019, cela fera 21 ans que j’ai été ordonné. Je n’ai rien fait de plus que ce dit l’Évangile. Je ne fais que rappeler que chaque personne a droit à un toit. Il doit pouvoir manger à sa faim et être libre d’aller et venir. Bref, chacun a le droit d’avoir une vie digne.
Revenons à votre incarcération. Quelles ont été les conditions de détention, notamment avec la présence d’un des commanditaires de l’assassinat de Sœur Dorothy Stang?
Le 27 mars au petit matin, plusieurs voitures de police sont venues m’interpeller comme si j’étais un bandit. Et j’ai dû rester à genoux pendant les 80 km qui séparent Anapu et Altamira. Lorsque je suis arrivé au centre pénitentiaire d’Altamira, je savais bien sûr que Regivaldo Pereira Galvão, l’un des commanditaires de l’assassinat de Sœur Dorothy, y était emprisonné. J’ai d’abord été mis dans une cellule individuelle. Il a trouvé un moyen pour se retrouver dans la cellule voisine. C’est d’ailleurs lui qui m’a souhaité «Joyeuses Pâques» le premier. Il m’a dit : «Tu es innocent. Je suis innocent. Tout cela est un complot qui a été monté contre chacun de nous.» Quand il a été libéré, (ndlr remis en liberté provisoire en mai 2018), il est passé devant ma cellule pour me dire au revoir en me disant: «Père, les choses s’arrangent pour moi. Elles vont s’arranger pour vous aussi».
Vous avez passé finalement plus de trois mois en prison.
Après la cellule individuelle, j’ai été placé dans une cellule avec trois autres détenus. Je connaissais un peu cet univers pour y avoir déjà travaillé ponctuellement avec la pastorale carcérale. J’avais noté que quand un prêtre ou un pasteur était emprisonné, il perdait généralement son titre. Mais cela n’a pas été mon cas. Tout le monde, y compris le directeur de la prison, m’appelait «Père». Et de très nombreux détenus, me disaient qu’ils croyaient en mon innocence, que c’était un coup monté et qu’ils étaient avec moi.
Je pensais qu’on allait tenter de me tuer, en profitant d’une rébellion. Pendant cette période, il y a en effet eu des émeutes dans toutes les autres prisons de l’État du Para, sauf à Altamira. Il y en avait eu avant mon incarcération et il y en a eu plusieurs autres après ma sortie. Dont une a fait sept morts, parmi lesquels un détenu avec lequel je partageais ma cellule. Dieu m’a protégé.
«Cette période m’a permis de rénover ma foi»
Comment, en tant que prêtre, avez-vous vécu cette incarcération?
Quelques jours après la Semaine Sainte, j’ai reçu le matériel pour la messe et je l’ai célébrée dans ma cellule, avec mes trois compagnons. Malheureusement, je n’ai pas pu le faire pour tout le monde, dans le patio de la prison, pour des raisons de sécurité. Mais, quand je célébrais dans ma cellule, les détenus des cellules voisines participaient. Ces messes resteront particulières pour moi. C’était vraiment célébrer Jésus, mort et ressuscité, qui est auprès de tous ceux qui sont emprisonnés, en particulier ceux qui sont privés des droits élémentaires.
Cette période m’a permis de rénover ma foi. Il ne fait aucun doute que je suis né pour être prêtre. C’est une chose de prier pour les gens en prison. C’en est une autre de prier en étant avec eux, dans la prison.
Avez-vous reçu un appui de l’Église?
J’ai reçu un appui inconditionnel de l’Église régionale. Dès le premier jour, j’ai reçu la visite de l’évêque avec les avocats, les religieuses d’Anapu et les membres de la pastorale carcérale. Je me souviens également de la visite de Mgr Erwin Kräutler. Il m’a donné l’accolade comme un père la donne à son fils et m’a dit: «Tu n’es pas seul. J’ai confiance en toi».
J’ai été également très agréablement surpris par le fait que beaucoup d’autres Eglises et de représentants de religions différentes m’ont témoigné une grande solidarité et amitié. Jusqu’à lors, timidement, j’avais toujours tenté d’avoir une démarche oecuménique. Mais après cet épisode d’emprisonnement, je le suis encore d’avantage. En étant enfermé en prison, j’ai ouvert davantage mes horizons.
Avec l’élection de Jair Bolsonaro, de nombreux défenseurs des droits humains et de l’environnement sont inquiets, notamment par sa volonté d’adopter une loi pour criminaliser les mouvements sociaux.
Le Brésil est déjà passé par des moments terribles, notamment avec la dictature. Ce que nous vivons est un retour en arrière. C’est évidemment préoccupant de savoir que le 1er janvier, le nouveau président élu va être intronisé. Mais il n’est pas Dieu. Il n’est pas le maître de la vérité. Face au risque de voir les droits des travailleurs et des défenseurs des droits humains être rognés, tous les mouvements, les associations, les Eglises, etc. doivent être unies.
La prochaine audience du tribunal aura lieu en mars 2019. Avez-vous l’intention de retourner travailler à Anapu?
Je ne pense pas y retourner pour travailler. De toute façon, cela faisait plus de 20 ans que j’y étais et il y a désormais un nouveau prêtre à Anapu. Pour l’instant, je n’ai pas de paroisse attribuée. En revanche, je fais partie de la CPT et je vais me consacrer pleinement à cette organisation de l’Église dans la région d’Altamira et d’Anapu. Je veux essayer d’avoir une mission plus transversale et appuyer les petits paysans de toute la région. Et il y a beaucoup de travail!
«Je suis sorti de tout cela plus fort et plus déterminé que jamais»
Avez-vous le sentiment qu’on a voulu vous assassiner moralement?
On m’a calomnié avec l’idée de diffuser tout ça sur les réseaux sociaux et faire en sorte de m’isoler et que je sois abandonné par les fidèles. Mais c’est le contraire qui est arrivé! Car, outre l’accueil et le soutien de mon Église, j’ai aussi reçu le soutien de très nombreuses personnes parfois très éloignées de l’Église catholique. Ceux qui ont cherché à me faire perdre toute crédibilité ont en fait donné encore plus de visibilité au travail que nous accomplissons.
Avez-vous peur pour votre vie?
Non ! Après tout ce qu’il s’est passé en vingt ans à Anapu et après ces 92 jours passés en prison, je suis convaincu, plus que jamais, que je suis né pour oeuvrer à la défense des droits des travailleurs pour une terre. Évidemment, je ne tiens pas à mourir. Mais je ne vais pas dire que j’ai peur. Je suis sorti de tout cela plus fort et plus déterminé que jamais. (cath.ch/jcg/mp)