Père B.-D. de La Soujeole: «Avant d'être père, le prêtre est un frère»
Pour qu’un père spirituel ne devienne jamais un «gourou», le Père Benoît-Dominique de La Soujeole, professeur de dogmatique à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, propose quelques réflexions dans son récent ouvrage Paternités et fraternités spirituelles. Interview.
Le Père Benoît-Dominique de La Soujeole n’est pas prêt à abandonner le mot ‘père’ qui qualifie un prêtre dans l’Eglise catholique. Selon le dominicain, ce qualificatif n’est pas facultatif… mais vital, puisque cette paternité du prêtre dans son ministère détermine la transmission de la vie spirituelle du fidèle, tout comme un papa transmet la vie biologique à son enfant. Attention toutefois de bien définir ce terme ‘père’ et de déterminer, dans la relation avec les fidèles, là où la paternité du prêtre s’arrête et laisse place à la fraternité.
Pour en parler, distances sanitaires obligent, le dominicain d’origine française reçoit cath.ch dans le plus grand parloir du couvent de l’Albertium, à Fribourg, où il vit avec plusieurs de ses confrères professeurs de théologie à l’université. «Ah, c’est bien que vous m’ayez apporté le livre, car je ne l’avais pas encore vu», lance le religieux en découvrant son dernier recueil, paru le 14 janvier 2021 aux Editions du Cerf.
En réponse aux abus commis par des prêtres, ne serait-il pas plus simple d’avoir une Eglise sans «pères»? Une assemblée de croyants comme des «frères»?
Benoît-Dominique de La Soujeole: Oui, peut-être. Nous pourrions soutenir cette idée de réserver le nom de «père» à celui qui l’est de manière totale, parfaite et infinie: le Père dans la Trinité. C’est aussi pour cette raison que Jésus dit à ses disciples: «N’appelez personne sur la terre votre père» (Mt 23, 9). Mais, dans les Écritures saintes, il faut cependant tenir ensemble cet énoncé de Jésus avec celui de saint Paul qui se dit «père de ceux qu’il a engendré par le baptême en Jésus-Christ» (1 Co 4, 14-15). De même, saint Paul disant aux Romains (Rm 8) que la paternité du Père céleste est participée.
Comment le prêtre peut-il participer concrètement à cette paternité céleste?
La question est de bien cerner cette participation. Celle du prêtre n’est pas la paternité totale de Dieu. De même pour les pères biologiques qui engendrent des enfants, il s’agit déjà d’une paternité participée. Parce qu’ils engendrent biologiquement. Mais qui donne l’âme? Ce ne sont pas les parents. Cela veut dire qu’à chaque fois qu’une personne concourt à la transmission de la vie, il y a un concours avec la paternité de Dieu. Que l’on soit père selon la chair ou père selon l’esprit. Mais la paternité totale ne peut être que celle de Dieu.
«Que l’on soit père selon la chair ou père selon l’esprit, la paternité totale ne peut être que celle de Dieu»
Que les parents engendrent la vie biologique, que Dieu insuffle l’âme, cela est compréhensible. Mais si l’on ajoute encore le prêtre dans ce schéma de paternité, cela ne devient-il pas trop complexe?
La vie qui est transmise, le fait d’exister, est une réalité complexe. Sur le plan naturel, la vie biologique est le premier aspect, sans lequel il n’y a pas les autres. Mais elle n’est pas le tout: il y a la vie psychologique, la vie culturelle et la vie spirituelle. Même au plan de la vie biologique, les parents ont besoin de coopérateurs. S’ils sont les seuls à transmettre la vie biologique, ils ne sont pas les seuls à transmettre la culture. C’est pour cela que l’école existe, par exemple. De même pour la vie de l’esprit, l’éducation appelle à des coopérations. De même il y a des enseignants, de même il y a des prêtres.
Mais contrairement aux prêtres, l’enseignant, le médecin ou le psy ne se fait pas appeler ‘père’?
Le fondement radical de la vie humaine, au plan naturel, est la vie biologique. Mais au plan surnaturel, c’est la grâce. Ceux qui transmettent ces fondements radicaux – tant biologiques que la grâce – le font par une paternité. Je maintiens cette paternité sacerdotale, bien que, à la grande différence avec le père de famille, le prêtre ne transmet pas à partir de sa propre vie. Le prêtre engendre des enfants de Dieu, par le baptême, par exemple. Mais il n’engendre pas la vie spirituelle à partir de sa propre vie. Il n’est que l’instrument de la grâce de Dieu.
«Le prêtre n’engendre pas à la vie spirituelle à partir de sa propre vie»
Dans votre livre, vous évoquez également la paternité spirituelle, cela ne concerne pas que les prêtres?
Effectivement, le prêtre, de par son ministère, exerce une paternité ministérielle ou sacerdotale. Elle concerne le don de la grâce, notamment par la prédication et les sacrements. Mais tout prêtre n’a pas forcément le charisme de la paternité spirituelle. L’accompagnement spirituel nourrit l’éducation dans la vie de la grâce. Elle se situe davantage sur le plan d’une relation fraternelle entre le conseiller spirituel et la personne qui cherche conseil. Un peu comme un frère aîné peut assister son jeune frère.
Qui détermine si l’on est ou devient un accompagnateur spirituel?
Il y a un repère: que d’autres s’adressent à vous. Dans mon entourage, je peux dire que tous mes confrères prêtres ne conseillent pas forcément. C’est un charisme que l’Esprit donne à qui il veut. Dans mon livre, j’indique par exemple qu’un père ou une mère de famille pourrait conseiller spirituellement de manière très convenante un autre père ou une autre mère de famille, ne serait-ce que pour mieux cerner des situations conjugales. Ce qui est à la base de ce service, outre le charisme, c’est l’expérience de la vie spirituelle.
«Un père ou une mère de famille pourrait conseiller spirituellement de manière très convenante un autre père ou une autre mère de famille»
N’importe qui peut être accompagnateur spirituel, et pourtant, n’est-ce pas dans cet exercice que divers abus ont été commis?
Je peux parler de ma propre expérience de prêtre et de professeur. En plus de vingt ans d’enseignement à l’université, j’ai systématiquement refusé d’accompagner des étudiants, – à quelques rares exceptions dûment mûries – pour éviter d’avoir à exercer ‘plusieurs paternités’ sur une même personne. Il convient de faire preuve de prudence dans les choix que l’on fait. On peut également demander conseil à son tour. Les drames ou les abus n’arrivent pas d’un coup, ils proviennent d’un processus pervers, qui est favorisé par la solitude, notamment d’un prêtre. La meilleure solution pour la sécurité du processus est la vie commune. Nous sommes tous faibles et faillibles. La question est de savoir quelle est la sécurité dont je dispose pour ne pas chuter. Les prêtres comme les conseillers doivent avoir des référents capables de tout entendre, et pas seulement sous le sceau de la confession. (cath.ch/gr)
Paternités et fraternités spirituelles, de Benoît-Dominique de La Soujeole, 104 p., Ed. du Cerf.
Une réflexion de longue date
Père Benoît-Dominique de La Soujeole est un religieux dominicain. Il est professeur de dogmatique à la Faculté de théologie de Fribourg depuis 1999. L’histoire du livre «Paternités et fraternités spirituelles» remonte une dizaine d’années. En travaillant avec un groupe de prêtres et de laïcs, il avait sorti en 2009 – Année sur le Sacerdoce – le livre Prêtres du Seigneur dans son Eglise, aux éditions Parole et Silence. A la suite de ce livre, il a été invité à une journée de réflexion de prêtres diocésains, pour parler de la paternité sacerdotale. A partir de ces échanges, il a rédigé un petit article dans la revue suisse Nova et Vetera du cardinal Journet (2018). Plusieurs lecteurs, ainsi que les éditions du Cerf, lui ont demandé de compléter et de préciser certains points de cet article. C’est à la faveur du confinement du mois de mars 2020 qu’il a réalisé ce travail. GR