Les "pensionnats indiens" ont aussi existé aux Etats-Unis  | © www.trc.ca
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Pensionnats indiens au Canada: les Eglises épinglées

Dans le système des pensionnats indiens au Canada, principalement administrés par les Eglises chrétiennes, «les sévices sexuels étaient endémiques», peut-on lire dans l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées (ENFFADA), dont les résultats ont été rendus publics le 3 juin 2019 à Ottawa.

Ce système, peut-on lire dans ce rapport final de 1’200 pages, fruit de deux ans de recherches, «a été un outil dévastateur et brutal qui avait pour objet d’assimiler les personnes les plus vulnérables des nations autochtones». «Les violations persistantes et délibérées des droits de la personne et des droits des Autochtones, et les abus qui en découlent, sont à l’origine des taux effarants de violence envers les femmes et les filles autochtones» auxquels on assiste encore actuellement, estime l’ENFFADA.

Le terme «génocide» contesté par les politiques

Les commissaires qui ont mené l’enquête n’hésitent pas à employer l’expression «génocide canadien» pour qualifier les violences vécues par les Autochtones. La commissaire Marion Buller a expliqué à la presse canadienne que «le type de génocide dont nous parlons dans notre rapport englobe des générations de sous-financement, des générations de marginalisation, des générations de communautés déplacées vers de nouveaux endroits sans consentement, des générations de personnes enlevant des enfants sans consentement».

Justin Trudeau et Perry Bellegarde, Chef national de l’Assemblée des Premières Nations au Québec, en 2015 | www.afn.ca

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, tout comme le chef de l’opposition conservatrice, Andrew Scheer, refusent le fait que le Canada se soit rendu coupable d’un «génocide» envers les Premières Nations. Trudeau estime «un peu plus approprié de parler de génocide culturel». Andrew Scheer juge quant à lui que la tragédie vécue par les Autochtones du pays ne constitue pas un génocide.

Le «génocide colonial», un processus lent

Mais la journaliste Anne Panasuk, de Radio Canada, relève que le «génocide colonial» – terme utilisé par le rapport de l’ENFFADA – est un processus lent. «L’histoire coloniale du Canada fournit de nombreuses preuves de l’existence d’une politique de génocide – une série manifeste de comportements analogues – qui reflète une intention de détruire les peuples autochtones», écrivent les commissaires. «La Gendarmerie royale du Canada (GRC) allait chercher les enfants dans les réserves pour les amener au pensionnat, où, dans certains cas, les conditions de vie étaient telles que le taux de mortalité oscillait entre 30% et 60%».

Anne Panasuk rappelle des faits, révélés par le rapport de l’ENFFADA, qui font froid dans le dos: «Il faut se rappeler la guerre biologique qui a eu lieu au Canada, lorsque des couvertures distribuées aux Autochtones avaient été intentionnellement contaminées par la variole, ce qui a décimé la moitié de la population de certains groupes. (…)  N’oublions pas non plus le refus des troupes coloniales, en 1870 en Alberta, de fournir des vivres dans le but ‘d’effectuer un nettoyage ethnique’ au fur et à mesure que le chemin de fer du Canada pacifique se développait. Plus près de nous, au Québec, à la fin des années 1960, on sait que l’Etat a délibérément affamé des Innus de la Basse-Côte-Nord qui cherchaient à retourner sur leurs terres après un déplacement forcé. Et que dire des primes de chasse offertes en échange de scalps de Mi’kmaq, en Nouvelle-Ecosse, et de Béothuks, un peuple maintenant disparu, à Terre-Neuve? N’oublions pas, non plus, que des femmes autochtones ont été soumises à une stérilisation forcée».

Faire disparaître les Autochtones comme groupe social

L’intention génocidaire réside aussi dans le fait de vouloir détruire l’unité sociale d’un groupe, écrit-elle. Or, la Loi sur les Indiens avait l’intention de faire disparaître les Autochtones comme groupe social.

Bien que le rapport déplore que les femmes autochtones aient été les victimes d’une violence perpétrée «par des institutions, comme l’armée, l’Eglise, le système d’éducation, le système de santé, les services de police et les premiers intervenants, ainsi que par le système judiciaire», aucune recommandation ne vise spécifiquement les dirigeants des différentes Eglises chrétiennes du Canada.

L’Eglise et ses rapports conflictuels avec les peuples autochtones

Les commissaires responsables de cette Enquête nationale ont aussi rédigé un rapport spécifique de 180 pages sur le Québec «afin d’accorder une attention particulière au problème de la violence envers les femmes et les filles autochtones dans cette province».

Rapport sur la violence envers les femmes et les filles autochtones au Québec

C’est dans ce rapport que l’on compte le plus grand nombre de mentions de l’Eglise catholique et de ses liens avec les peuples autochtones. Les  autorités religieuses étaient très présentes au sein des communautés des Premières Nations et des Inuit et y exerçaient une très grande influence. Le rapport pointe notamment les agissements du Père Alexis Joveneau, qui a vécu à La Romaine (Unamen Shipu), en Basse-Côte-Nord, de 1953 jusqu’à son décès en 1992. Le rapport québécois de l’Enquête nationale reproche au missionnaire oblat originaire de Belgique d’avoir organisé la déportation de plusieurs familles innues de Pakuashipi à Unamen Shipu et limité l’accès aux ressources et aux vivres à celles qui ont osé lui désobéir.

Agressions sexuelles

Lors des audiences de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, des dizaines de femmes ont raconté les agressions sexuelles dont elles ont été victimes de la part du prêtre lorsqu’elles étaient mineures. La communauté d’Unamen Shipu est toujours affectée par les agissements du prêtre. La dépouille du père Joveneau y est toujours enterrée et les gens, particulièrement les présumées victimes, voudraient que ses restes soient déplacés.

Les commissaires déplorent que la dénonciation des gestes posés par ce missionnaire ait longtemps été considérée «comme un péché, sinon comme une honte par les parents qui, souvent, refusaient de croire leurs enfants ou d’admettre que de tels comportements soient possibles». Le rapport québécois de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées compte 21 demandes, faites principalement au gouvernement du Québec.  Aucune toutefois ne vise l’Eglise catholique ou les Missionnaires oblats de Marie-Immaculée, la communauté du Père Alexis Joveneau. (cath.ch/com/be)

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12 juin 2019 | 12:36
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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