Depuis 2021, le conflit civil au Myanmar ravage aussi les communautés chrétiennes | photo: funérailles collectives après une attaque aérienne contre un camp de réfugiés, le 10 octobre 2023, à Laiza, au nord du Myanmar © KEYSTONE/AFP/STR
Dossier

Pays aux multiples fractures, le Myanmar menace de s’écrouler

9

Le conflit civil qui ravage le Myanmar (ex-Birmanie) depuis 2021 n’est ni religieux, ni politique, ni ethnique, il est tout cela à la fois. La multiplicité de ses divisions complique un éventuel retour de la paix et de la stabilité.

Le 14 février 2025, des villageois de la paroisse de Notre-Dame de Lourdes, dans l’archidiocèse de Mandalay, au centre du Myanmar, ont retrouvé le corps sans vie de leur curé. Le Père Donald Martin Ye Naing Win a été poignardé à plusieurs reprises.

Une victime de plus dans la guerre civile qui aurait fait, selon certaines sources, plus de 75’000 morts et déplacé plus de trois millions de personnes depuis plus de quatre ans. Un conflit largement ignoré par les médias, alors qu’il a été qualifié en février 2025 par Volker Türk de «l’une des pires crises des droits de l’homme au monde». Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a décrit les conditions qui prévalent au Myanmar comme «une litanie de souffrances humaines».

Un pays mosaïque

On pourrait croire que le conflit birman oppose simplement un régime militaire putschiste à des forces pro-démocratie. Mais le tableau est beaucoup plus complexe, explique à cath.ch l’organisation Aide à l’Église en détresse (ACN/AED), qui consacre au Myanmar une section de son Rapport annuel sur la liberté religieuse.

«Dans l’imbroglio birman, la religion n’est qu’une ligne de fractures parmi d’autres»

Le meurtre du Père Win illustre bien les nombreuses intrications de la situation. L’armée régulière a tout d’abord été pointée du doigt. Les forces du régime sont en effet connues pour cibler les églises et communautés chrétiennes. Mais il apparaît maintenant que le prêtre a plutôt été victime de membres d’un groupe de résistance local.

En fait, le Myanmar a été aux prises depuis des décennies avec des conflits larvés ou ouverts entre une douzaine de groupes. Une situation liée à l’extrême diversité de sa population. L’ancienne Birmanie abrite 54 millions d’habitants, divisés en au moins 135 groupes ethniques, parlant des langues très différentes et appartenant à des religions et traditions culturelles très diverses.

Nationalisme ethnico-religieux

L’ethnie Bamar est majoritaire dans le pays, représentant environ 70% de la population. Aucun autre groupe ethnique n’atteint plus de 6%, un grand nombre comptant pour moins de 1%. Les groupes minoritaires se plaignent que le régime birman manifeste une forme de nationalisme bamar qui les opprime et font d’eux des citoyens de deuxième classe.

Des Rohingyas fuient les persécutions en Birmanie | © European Commission DG ECHO/Flickr/CC BY-ND 2.0

Dans cet imbroglio, la religion n’est qu’une ligne de fractures parmi d’autres. Les Birmans sont dans leur grande majorité bouddhistes. Mais, alors que le bouddhisme est connu pour être une religion pacifique, un mouvement bouddhiste ultranationaliste et violent a gagné du terrain ces dernières années, sous la houlette d’un moine radical appelé Wirathu. Or, le régime militaire a embrassé ce mouvement et son message. Il a placé le bouddhisme au centre de sa rhétorique nationaliste, l’associant à l’identité birmane. Dans le même temps cependant, les bouddhistes, dont également des moines, sont aussi nombreux dans les rangs de l’opposition.

Les Rohingyas musulmans font depuis des années les frais de cette politique nationaliste bamar-bouddhiste, même si des massacres ont aussi été perpétrés par cette ethnie également très présente au Bangladesh voisin. À noter que la répression contre ce groupe musulman s’était également déroulée sous le gouvernement d’Aung San Suu Kyi.

Les catholiques également pris pour cible

Les chrétiens ne sont qu’une petite minorité au Myanmar. Ils composent environ 8% de la population. Deux tiers d’entre eux sont protestants. Les catholiques sont en petit nombre, bien que leurs communautés soient plus anciennes.

«Des soldats auraient piétiné des hosties»

Le christianisme est majoritaire dans certains groupes ethniques. Suite à une activité missionnaire ciblée, les Kachins, qui étaient avant surtout bouddhistes et animistes sont aux deux-tiers baptistes. Cette ethnie indépendantiste entretient l’une des guérillas les plus intenses contre le régime. Elle se considère comme discriminée religieusement par le pouvoir à cause de son attachement au christianisme.

Les Bayingyi constituent une ethnie majoritairement catholique. Bien qu’historiquement, les régimes successifs ne les aient jamais considérés comme une menace, depuis 2021, plusieurs de leurs villages ont été attaqués par l’armée birmane. Une évolution qui démontre l’agressivité croissante du pouvoir nationaliste.

Le pape n’a pas empêché la guerre

De manière générale, les chrétiens au Myanmar subissent depuis quatre ans diverses formes de persécution. Dans plusieurs régions du pays des églises ont été bombardées, incendiées ou rasées par l’armée. Des cas de profanations ont été enregistrés. Dans l’État Chin (nord-ouest), des soldats auraient notamment piétiné des hosties.

Les chrétiens représentent 6,2% de la population birmane | © AsiaNews

Malgré cela, l’Église catholique a toujours été à l’avant-garde des efforts de paix et de réconciliation, souligne l’ACN/AED. Le cardinal de Yangon Charles Maung Bo, lui-même bayingyi, a à maintes reprises appelé à la fin des combats et au rapprochement entre factions. Lors des manifestations pro-démocratie qui ont suivi les coup d’État de février 2021, une religieuse catholique a été photographiée en train de prier à genoux entre les soldats et les manifestants.

Les Etats de Chin, Kahah, | Wikipedia/Aotearoa/CC BY-SA 3.0 Deed

Le pape François était venu en 2017 au Myanmar soutenir les chrétiens locaux et plaider pour la paix. Une démarche qui n’a pas empêché le pire scénario de guerre de se réaliser.

Des élections libres?

Depuis un certain temps, la junte militaire est toutefois en difficulté. En novembre 2023, l’Armée d’Arakan (AA), un groupe de résistance ethnique, a lancé une offensive majeure contre l’armée régulière dans l’État de Rakhine et le sud de l’État Chin, qui a permis à l’AA de prendre le contrôle de plusieurs villes clés.

Ces revers militaires ont sans doute amené le régime de Naypyidaw (depuis 2005 la capitale du Myanmar) à rechercher une nouvelle légitimité. Le gouvernement a ainsi annoncé début mars 2025 que des élections nationales auraient lieu en décembre prochain ou en janvier 2026. Le général Min Aung Hlaing a assuré que le scrutin serait «libre et équitable», rapporte la BBC. Il s’agit du premier scrutin depuis que la junte militaire a pris le pouvoir. Les critiques ont cependant décrit l’annonce comme un simulacre destiné à maintenir le pouvoir de la junte par l’intermédiaire de partis politiques mandataires.

L’ONG Human Rights Watch a déclaré au média britannique: «Avant les élections, elle [la junte, ndlr] doit mettre fin à la violence, libérer toutes les personnes détenues arbitrairement et permettre à tous les partis politiques de s’enregistrer et de participer au lieu de dissoudre les partis d’opposition.»

Le fléau des mines

En attendant, au Myanmar, les combats dans plusieurs régions continuent de tuer et la situation de la population devient de plus en plus précaire. L’ONU a indiqué en janvier 2025 qu’au moins 6’231 civils avaient été tués par l’armée birmane, dont 1’144 femmes et 709 enfants, au cours des quatre dernières années. Les chiffres des pertes humaines varient toutefois selon les sources. D’autres organisations font état d’un nombre beaucoup plus élevé de victimes.

Dans un rapport de février 2025, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) prévient que le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays a atteint un niveau record de plus de 3,5 millions de personnes.

Sœur Ann Nu Thawng, membre des Missionnaires de Saint François Saverio de Myitkyina s’est agenouillée devant la police | Twitter

En plus des conflits généralisés, les civils sont touchés par plusieurs crises simultanées, des catastrophes naturelles, des épidémies, l’insécurité alimentaire, l’inflation, la perte de leurs moyens de subsistance et des perturbations des services publics essentiels. Le Myanmar est en outre le pays comptant le plus grand nombre de victimes de mines terrestres et d’engins explosifs au monde.

La politique américaine aggrave la situation

«En dépit d’un sous-financement grave et d’autres difficultés, les partenaires humanitaires ont pu porter assistance à au moins 4,2 millions de personnes en 2024», note l’OCHA.

En février 2025, la suspension inattendue de l’aide étrangère américaine par le gouvernement Trump a porté un coup dur aux efforts humanitaires et au mouvement pro-démocratie du Myanmar, affirme le journal britannique Times. Cette suspension a entraîné l’arrêt de services essentiels, notamment les soins médicaux dans les camps de réfugiés, la fermeture d’écoles dans les zones rebelles et la cessation de l’assistance aux militants. Les médias indépendants, essentiels pour contrer la propagande du régime, sont également touchés, compromettant davantage la résistance contre la junte. (cath.ch/aed/ag/arch/rz)

Suite
Depuis 2021, le conflit civil au Myanmar ravage aussi les communautés chrétiennes | photo: funérailles collectives après une attaque aérienne contre un camp de réfugiés, le 10 octobre 2023, à Laiza, au nord du Myanmar © KEYSTONE/AFP/STR
16 mars 2025 | 17:00
par Raphaël Zbinden

Alors que la guerre en Ukraine mobilise les regards, de nombreuses autres tragédies se déroulent dans le monde, plus loin de l’attention médiatique. Le pape François a appelé à plusieurs reprises les journalistes à ne pas oublier les conflits qui suscitent moins d’intérêt en Occident. C’est ce à quoi cath.ch veut en partie remédier avec la série «Conflits oubliés», qui relatera des situations dans plusieurs endroits du monde, où l’humanité est en détresse.

Articles