Pauline Bèbe: «L'exclusion des femmes dans le judaïsme n'est pas le choix de Dieu»
Pauline Bèbe a été la première femme rabbin de France. Pour elle, la mise à l’écart des femmes qui a cours dans le judaïsme traditionnel, est un choix humain et n’a pas de justification divine.
cath.ch a rencontré Pauline Bèbe dans le cadre de son invitation au festival de cinéma «IL EST UNE FOI», organisé du 8 au 12 mai 2019 par l’Eglise catholique romaine de Genève.
«IL EST UNE FOI» rend hommage aux femmes dans la religion, sous le titre SpirituELLES. Vous-mêmes, comment concevez-vous la spiritualité au féminin?
Il est difficile de concevoir que la spiritualité peut être différente chez une femme et chez un homme, du moment que je ne peux pas me mettre à la place d’un homme. Je crois que nous avons toujours des filtres sociologiques à travers lesquels nous appréhendons la spiritualité. On nous a inculqué une image du féminin et du masculin. Ces filtres sont à mon avis très marqués par la mentalité patriarcale. Je ne vois pas pourquoi nos différences corporelles influenceraient notre manière d’être ou de voir les choses. Ce qui diffère entre les hommes et les femmes, c’est plutôt l’accès à la spiritualité ou l’accès à son expression.
La société patriarcale est pour vous l’élément majeur qui a fait que les religions ont relégué les femmes à l’arrière-plan…
C’est évident. Ce que je vois dans le judaïsme, c’est que des maîtres de l’enseignement religieux, de diverses époques et milieux, ont eu des opinions opposées sur les femmes, par exemple sur leur accès à la connaissance. Le contexte peut fortement influencer les conceptions. Ce n’est qu’à partir de ces constatations que l’on peut avancer. Ces positions ne relèvent pas d’un choix divin, mais bien d’une contingence humaine.
Tous les livres sacrés sont donc constitués de ce mélange d’inspiration divine et d’influence culturelle?
Bien sûr. Mais il n’est pas facile de distinguer ce qui appartient à telle ou telle catégorie. Il faut aussi avoir à l’esprit que nous le faisons avec notre propre filtre. Et en la matière, il s’agit d’être honnête, il ne faut pas tordre le texte pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas. On ne peut pas non plus attendre d’un texte ancien qu’il soit égalitaire dans le sens où nous le concevons aujourd’hui.
Vous avez donc une vision évolutive de la religion…
Je pense que les religions se sont toujours adaptées. C’est ce qui leur a permis de se perpétuer. Cela a été le cas avec le judaïsme, qui s’est transformé à l’époque talmudique. Suite à la destruction du Temple de Jérusalem, les sacrifices ne pouvaient par exemple plus se faire. A d’autres époques, il y a eu des changements, des adaptations, pas seulement à la réalité du monde, mais à une autre conscience de l’éthique.
Le problème est toujours de savoir ce qu’il faut conserver et ce qu’il faut changer. Chaque génération doit choisir, déterminer quelles valeurs sont de l’ordre d’une loi éternelle et quelles autres sont de l’ordre de la contingence. Les discussions entre théologiens ont toujours existé et sont indispensables. Il s’agit ainsi de déterminer en particulier à laquelle de ces deux catégories appartient le phénomène d’exclusion des femmes. Pour moi, c’est de l’ordre de la contingence.
«Ce discours progressiste touche beaucoup de personnes parmi les juifs de France»
Est-ce vrai que les juifs pratiquants répètent chaque matin la phrase: «Merci mon Dieu de ne pas m’avoir fait femme»?
C’est vrai. C’est une phrase qui date de l’époque du Talmud, entre 200 ans avant notre ère et 500 ans après. Elle a probablement été influencée par le monde grec, dans lequel on avait l’habitude de remercier de ne pas être né esclave, barbare, et également femme, du moment que ces catégories de la population étaient défavorisées. Pour moi c’est clairement une phrase sexiste qu’il faudrait supprimer des livres de prière. Une riche femme du Moyen Age avait d’ailleurs réussi à faire éditer un livre de prière où cette phrase était changée en ce que la personne remerciait Dieu de l’avoir faite femme. Je pense que la liturgie doit refléter nos consciences.
Avez-vous connu beaucoup de difficultés pour devenir rabbin?
Comme pour toutes les femmes qui veulent se frayer un chemin dans un monde d’homme. Les premières années furent assez difficiles. Mais en 1995, j’ai pu créer ma propre communauté, la Communauté juive libérale d’Île-de-France (CJL). Et les choses se sont améliorées. Notre communauté est très créative et dynamique. Nous avons commencé avec quatre familles et nous en avons maintenant 450. Ce discours progressiste touche beaucoup de personnes parmi les juifs de France.
Qu’est-ce que les femmes peuvent apporter à une religion?
Ce sont déjà des voix supplémentaires d’interprétation. Si l’on considère qu’il n’y a que la moitié de la population qui peut d’habitude s’exprimer sur les textes, cela limite la sagesse globale. Le regard des femmes donne une diversité, une extériorité, la possibilité d’une remise en question enrichissante.
Y a-t-il une solidarité féminine «trans-religieuse»? Pouvez-vous vous sentir spécialement proche d’une femme pasteure ou d’une religieuse catholique?
Bien sûr. Même si les relations que j’entretiens avec les gens ne sont pas liées à l’identité sexuelle. Dans le combat que les femmes peuvent mener pour l’égalité au sein de leurs institutions religieuses respectives, il y a beaucoup de parallèles et l’on peut s’entraider. J’ai participé à de nombreuses rencontres interreligieuses et les arguments sont toujours les mêmes pour empêcher l’accès des femmes à des fonctions plus élevées.
Que pensez-vous de l’action du pape François par rapport aux femmes dans la religion catholique?
Je m’interdis en général de commenter ce qui se passe en dehors de ma religion. Je peux juste dire que le pape François me semble être un homme d’ouverture.
Mais d’éventuelles avancées «spectaculaires» du rôle des femmes dans l’Eglise auraient-elles une influence sur la situation dans le judaïsme?
Peut-être que c’est l’inverse qui se passe déjà. En fait, il y a déjà depuis un certain temps des femmes rabbins. Mais je crois que la société laïque a plus d’influence sur les religions que les religions entre elles. C’est à ce niveau qu’a débuté l’émancipation des femmes.
Il est inévitable que les femmes prennent plus de place dans l’Eglise catholique, notamment à cause de la pénurie de prêtres. Un phénomène qui existe aussi dans les communautés juives. (cath.ch/rz)