Paul VI à Mgr Lefebvre en 1976: «Prenez ma place pour diriger l'Eglise !»
«Vous avez jugé le pape comme infidèle à la foi… Prenez ma place pour diriger l’Eglise!» Le ton de la conversation entre le pape Paul VI et l’évêque intégriste Mgr Marcel Lefebvre, le 11 septembre 1976 est ferme et préfigure déjà le schisme qui surviendra douze ans plus tard en 1988.
Le livre La barca di Paola (La Barque de Paul), écrit par le régent de la Maison pontificale, Mgr Leonardo Sapienza et publié en Italie le 16 mai 2018, contient de nombreux éléments inédits sur la vie du pape Montini et sur les années de l’après-Concile Vatican II.
Le récit de la rencontre entre Paul VI et Mgr Marcel Lefebvre, fondateur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), le 11 septembre 1976 à Castel Gandolfo, offre un éclairage intéressant sur les deux personnalités. Cette conversation d’une demi-heure semble très tendue, voire houleuse, très loin en tout cas de la déférence et de la majesté entourant le pape. Les deux hommes s’accordent sur l’existence d’abus après le concile Vatican II, mais le pape reproche à Mgr Lefebvre son manque d’obéissance.
En 1970, à la demande de plusieurs séminaristes français, Mgr Lefebvre avait fondé à Fribourg, en Suisse la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) dont le séminaire s’était ensuite installé à Ecône, en Valais. En 1974, il publie un manifeste où il réaffirme les positions anti-libérales et anti-modernistes qu’il avait développées au Concile Vatican II. Le 6 mai 1975, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Mgr Mamie, retire son autorisation à la FSSPX. Malgré cela, Mgr Lefebvre décide de continuer son action de formation de prêtres, et, en juin 1976, il ordonne treize prêtres sans autorisation. Le 22 juillet 1976, Paul VI frappe Marcel Lefebvre d’une suspense a divinis. La rencontre des deux hommes, à Castel Gandolfo, a lieu moins de trois mois plus tard.
Obéissance au pape
Pour Paul VI, le problème est avant tout une question d’obéissance au souverain pontife. «La position que vous avez prise est celle d’un antipape. (…) Vous avez jugé le pape comme infidèle à la foi, dont il est le garant suprême. (…) S’il en était ainsi, je devrais démissionner et vous inviter à prendre mon poste pour diriger l’Eglise», assène le pape à l’évêque français, lui demandant s’il réalise «le scandale et le mal qu’il a fait à l’Eglise».
De son côté, Mgr Lefebvre reconnaît que ses paroles et ses écrits ont pu être «inappropriés», mais affirme qu’il ne peut aller à l’encontre de sa conscience. Notamment car certains documents conciliaires ne s’accordent pas, selon lui, avec la tradition de l’Eglise. Ce qu’il veut, explique-t-il, c’est avant tout «former des prêtres selon la foi et dans la foi». Dans certains autres séminaires, dénonce-t-il, se déroulent des «situations inimaginables».
Prier comme avant le Concile
«Tout serait résolu», soutient l’évêque, si le pape demandait aux évêques d’autoriser des chapelles où les fidèles pourraient «prier comme avant le Concile». Une demande rejetée par le successeur de Pierre: «Nous sommes une communauté, nous ne pouvons permettre une autonomie de comportement aux différentes parties».
Une Eglise en crise
«L’Eglise est en crise», affirme par ailleurs Mgr Lefebvre. Un constat rejoint par Paul VI, qui affirme en souffrir profondément. Et le pape de reconnaître qu’il existe des abus très nombreux: «nous n’approuvons pas ces comportements», insiste-il, soulignant lutter contre ceux-ci avec «beaucoup d’efforts et ténacité». «Nous sommes le premier à déplorer les excès».
Cependant, malgré ces abus, poursuit Paul VI, le bien apporté par le Concile est plus grand encore. «Il y a des signes des temps, grâce au Concile, d’une vigoureuse reprise spirituelle parmi les jeunes, une hausse du sens des responsabilités», assure-t-il. Et le comportement de Mgr Lefebvre contribue et aggrave la crise à cause des «désobéissances solennelles, avec son défi ouvert contre le pape».
Après cette rencontre avec l’évêque français, le pape a débuté un jeûne, raconte Mgr John Magee, second secrétaire de Paul VI. «Il disait qu’il devait faire pénitence lui-même, afin d’offrir au Seigneur – au nom de l’Eglise – la juste réparation pour tout ce qui se passait». (cath.ch/imedia/mp)