«Patriarche d’Occident», un signe de rapprochement avec l’orthodoxie?
Le retour de la mention de «patriarche d’Occident» parmi les titres historiques du pape, dans l’édition 2024 de l’Annuaire pontifical, a surpris de nombreux observateurs. Supprimée par Benoît XVI en 2006, cette mention attribuée au pape est revenue dans la liste des titulatures historiques, en quatrième position.
Devant le titre de «patriarche d’Occident», on trouve les mentions «vicaire de Jésus-Christ», «successeur du prince des Apôtres» et «souverain pontife de l’Église universelle», et derrière, ceux de «primat d’Italie», «archevêque et métropolite de la province romaine», «souverain de l’État de la Cité du Vatican» et «serviteur des serviteurs de Dieu». Contrairement à ses prédécesseurs, le pontife a relégué ces titres historiques sur une page postérieure de l’Annuaire, la page présentant son titre actif se limitant à la seule mention «François, évêque de Rome».
Le Père Patrice Mahieu, moine de l’abbaye de Solesmes, est un spécialiste de l’œcuménisme, thème de plusieurs de ses ouvrages: Paul VI et les Orthodoxes (Éditions du Cerf, 2012), Se préparer au don de l’unité. La commission internationale catholique-orthodoxe 1975-2000 (Éditions du Cerf, Collection Patrimoines, 2016), et En quête d’unité. Dialogue d’amitié entre un catholique et un orthodoxe, avec le P. Alexandre Galaka (Éditions Salvator, 2021). Il confie à I.MEDIA son regard sur le rétablissement de ce titre historique.
Comment interpréter le retour de la mention de «patriarche d’Occident» dans ces titres historiques de la papauté?
En réalité, il faudrait le demander directement au Saint-Père! Cela peut sembler en effet déconcertant à première vue, mais si le pape François a choisi de mentionner à nouveau ce titre dans l’Annuaire pontifical, il ne faut pas forcément y voir une prise de position dogmatique ou théologique. N’oublions pas que l’Annuaire pontifical n’a pas de valeur théologique.
Ce qui est intéressant, en revanche, c’est le signal envoyé à l’orthodoxie. Le Saint-Père souhaite approfondir la synodalité à tous les niveaux de l’Église, et donc il veut promouvoir une forme de synodalité entre les patriarcats. Dans la tradition du christianisme antique, les cinq patriarcats prenaient leur décision dans une logique de synodalité patriarcale. Donc en ce sens, restaurer le titre de patriarche d’Occident met l’évêque de Rome dans un rang égal aux autres patriarcats, et il conserve sa première place que lui a toujours reconnue la tradition.
Cela permet d’introduire une synodalité patriarcale, c’est l’élément le plus important pour nos frères orthodoxes. Cette mention peut donc se lire dans la perspective du 1700e anniversaire du Ier Concile de Nicée, qui sera célébré en 2025. En 325, ces cinq patriarcats historiques étaient représentés.
Mais pourquoi le prédécesseur de François avait-il supprimé cette mention?
La décision de Benoît XVI en 2006 avait été bien expliquée par l’alors Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens: le problème essentiel, c’était l’obsolescence du concept d’Occident latin, puisque l’Occident inclut désormais des territoires éloignés de l’Europe comme l’Amérique du Nord et du Sud, ou encore l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
À l’époque, certains de nos amis orthodoxes avaient craint de voir dans l’abandon de ce titre le signe d’une prétention du Siège romain à ›couvrir’ toute la planète, en retirant par ricochet la reconnaissance du territoire canonique des Sièges orientaux. Mais je crois que ce n’était absolument pas l’intention de Benoît XVI. Au IIIe ou au IVe siècle, il y avait un Occident bien délimité, tout comme l’Orient grec ou l’Orient syriaque, mais Benoît XVI considérait désormais que cette structuration était désuète.
Comment cette notion est-elle née?
Elle est née dans le contexte de la pentarchie, c’est-à-dire des cinq sièges traditionnels qui créent cette sorte de ›symphonie’. Un texte intéressant issu du IIe Concile de Nicée, en 787, le dernier Concile tenu avant les éloignements et la rupture ecclésiastique, dit que les décisions conciliaires doivent être reçues par toutes les Églises locales et que leur autorité repose sur le consensus des cinq patriarcats œcuméniques: Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem.
Ce même canon indique que le Concile est valide si les cinq patriarcats œcuméniques sont présents ou représentés et que «l’évêque de Rome» y collabore: c’est bien ce titre «évêque de Rome» qui apparaît. Ce titre est donc aussi important que celui de patriarche d’Occident.
La reprise de la mention de «patriarche d’Occident» n’est-elle pas contre-intuitive par rapport aux orientations du pape François, qui semble vouloir détacher l’Église catholique de sa matrice occidentale?
Je dirais plutôt que le pape assume un détachement par rapport à l’européo-centrisme mais pas forcément par rapport à l’Occident en tant que tel. Géographiquement, l’Amérique latine appartient à l’Occident, et non pas à l’Orient. Donc cette notion n’est pas incompatible avec ses orientations.
Le pape François adresse-t-il de cette façon une forme d’appui au patriarche de Constantinople, dans le contexte des tensions avec le patriarcat de Moscou?
Je ne le pense pas, car Rome ne veut pas privilégier un patriarcat par rapport à un autre. Le dialogue œcuménique international se fait, en principe, avec tous les patriarcats orthodoxes. À partir des cinq patriarcats des débuts du christianisme, l’histoire de l’Église a mené à la création d’autres patriarcats, par exemple, Belgrade, Bucarest, ou encore, bien sûr, Moscou. Et puis il y a la question très sensible de la reconnaissance du patriarcat de Kiev qui a provoqué un schisme dans l’Église orthodoxe et joue un rôle dans la guerre actuelle entre l’Ukraine et la Russie.
Mais à vrai dire, l’orthodoxie traverse une grave crise, et je le relève avec toute la tristesse et l’affection que j’ai pour mes frères et amis orthodoxes. Il n’y a plus de notion de territoire canonique, puisque le patriarcat de Moscou a créé des entités en Afrique, qui est le territoire canonique du patriarcat d’Alexandrie. C’est une façon de combattre Constantinople car le patriarcat d’Alexandrie a reconnu le nouveau patriarcat de Kiev.
Est-ce que cette évolution risque de provoquer des difficultés pour les Églises orientales rattachées à Rome?
Je ne le pense pas. Par exemple, la grande Église gréco-catholique ukrainienne se trouve pour sa part à une croisée historique avec sa place à jouer dans son pays. Dans plusieurs endroits, on voit que la situation évolue dans les relations entre juridictions catholiques et orthodoxes. Par exemple, le patriarche melkite catholique d’Antioche Joseph Absi a fait savoir qu’il laisserait sa place au patriarche grec orthodoxe en cas d’union entre l’Église melkite catholique et l’Église grecque-orthodoxe du patriarcat d’Antioche. (cath.ch/imedia/cv/bh)