Les commuautés africaines animent les paroisses romandes (photo Bernard Litzler)
Suisse

Paroisses urbaines: l’apport des fidèles africains

Dans les paroisses urbaines romandes, le tissu paroissial catholique se renouvelle notamment par l’intégration de fidèles africains. Clés pour comprendre cette dynamique, à partir de l’exemple de Lausanne.

Messes du dimanche à la basilique Notre-Dame de Lausanne. Une évidence s’impose, au fil des années: les fidèles africains sont de plus en plus nombreux. Boubous colorés, familles et enfants, participation discrète et forte à la fois. Même constat dans les autres paroisses urbaines de Lausanne, de Genève ou de Nyon: le tissu paroissial se renouvelle grâce aux catholiques africains.

La quarantaine active, Gilbert Guinikoukou, originaire du Bénin, traduit bien cette ferveur. Père de trois enfants, diplômé en économie, il est en Suisse depuis quatre ans et a trouvé ses marques à la paroisse Notre-Dame. «J’ai vécu quelques années en France. La société m’a bien accueilli, mais la paroisse pas tellement. En Suisse, c’est l’inverse: j’ai été bien accueilli dans la paroisse…». Membre d’un groupe de prière, il envisage de créer un autre groupe à destination des fidèles d’Afrique francophone.

Bénir des objets

Insertion dans les groupes paroissiaux, présence quotidienne dans les activités, services d’apéritifs, vitalité: les Africains se sentent bien chez eux à Notre-Dame de Lausanne. «Leur foi est vivante, confirme l’abbé François Dupraz, curé modérateur de la paroisse Notre-Dame à Lausanne. Souvent, plus que celle des Européens. Ils vivifient la paroisse. Chez eux, l’Eglise est plus vivante. Et cette joie de la foi, ils nous la donnent».

Un constat partagé par les autres prêtres de l’Unité pastorale, dont certains sont d’origine africaine. Notre-Dame, au cœur de la ville, rassemble chaque week-end 10% à 15% de fidèles d’origine africaine. Avec cinq messes en français, les croyants de Lausanne et du canton trouvent toujours un moment qui leur convient. Particularité des catholiques du continent noir? «Ils nous demandent aussi de bénir des objets, des chapelets, des croix ou de leur donner de l’eau bénite», indique l’abbé Jean-Pascal Vacher, curé in solidum à Notre-Dame. Et leur dévotion à la Vierge, devant la statue de Notre-Dame, est expressive, note le prêtre.

Chorale africaine depuis 1989

La présence d’une chorale africaine, Bondeko (Fraternité en français), constitue un atout supplémentaire pour la paroisse. D’origine congolaise, Georges Kabongo dirige l’ensemble d’une douzaine de choristes. La chorale, à majorité féminine, rassemble plusieurs nationalités. «Nous avons des personnes du Togo, du Bénin, d’Angola et du Congo RDC, explique le directeur-animateur. Nous chantons ici, à Notre-Dame, depuis 1989».

Une fois par mois, le dimanche à 17h30, Bondeko anime la célébration, avec l’aide d’un tam-tam. L’ambiance est chaleureuse, le répertoire simple, combinant des chants en lingala, en kikongo et en français. L’assemblée, des Suisses en majorité, a pris l’habitude de taper des mains avec Georges Kabongo, pour rythmer les Alleluia ou autres mélodies, parfois appuyées par des sonores «you-you».

Pas nostalgiques

Boniface Bucyana, curé modérateur de Saint-Joseph à Lausanne-Prélaz, est originaire du Rwanda. Il analyse la présence africaine dans sa paroisse de l’Ouest lausannois: «Pour nous, nous intégrer à une célébration en Europe ou en Suisse est facile, car la liturgie est la même dans toute l’Eglise. Nous retrouvons donc les rites du pays ou de l’enfance». Cet apport extérieur est apprécié, même si des résistances se manifestent parfois. «Nos Eglises d’Afrique sont nées souvent après Vatican II, explique l’abbé Bucyana. Nous ne sommes donc pas nostalgiques des rites d’avant le Concile, comme certains en Europe. Les jeunes Africains s’adaptent plus facilement».

«Nos Eglises d’Afrique sont nées souvent après Vatican II. Nous ne sommes pas nostalgiques des rites d’avant le Concile.»

La migration africaine francophone augmente. Selon les statistiques, plus de 100’000 personnes africaines et d’origine africaine vivent en Suisse. Présentes dans tous les cantons, elles habitent le plus souvent dans les villes importantes comme Zurich, Genève, Lausanne, Bâle ou Berne. Les insertions sociales et professionnelles se répercutent dans la vie des paroisses. «Toutes les catégories sociales se retrouvent à l’église, précisent les prêtres de Notre-Dame. Il y a des personnes de formation supérieure, mais il nous arrive aussi de croiser des réfugiés ou des requérants d’asile». Ce sont des fidèles qui ont le «sens du prêtre», qui est souvent abordé par des «Mon Père» ou même «Papa», comme en Afrique.

Sorcellerie

Toutefois l’insertion ne va pas toujours de soi. L’abbé Vacher pointe certaines difficultés: «Cela peut aller de la jalousie, à cause du statut social notamment, à l’exploitation. Pire encore, la sorcellerie ou les sorts jetés les uns sur les autres empoisonnent parfois les relations au sein de la communauté africaine». Dans ce cas, la solution, c’est de prendre le temps de les écouter, indique le prêtre lausannois.

Gilbert Guinikoukou, lui, compare la Suisse avec le Bénin: «Dans mon diocèse d’origine, à Cotonou, il y a trois prêtres exorcistes. Ici, il n’y a qu’un seul prêtre à temps partiel pour ce grand diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg». Le fidèle béninois met cette différence sur la perte du sens de Dieu, en Europe.

Messe interculturelle

Contrairement aux missions linguistiques étrangères, qui ont leurs propres aumôniers, italiens, espagnols, portugais ou autres, les Africains francophones s’intègrent directement à la pastorale locale. Et le clergé romand vit, depuis bien des années, à l’«heure noire». A Lausanne, les paroisses du Saint-Rédempteur, du Saint-Esprit et de Saint-Joseph sont toutes desservies par un prêtre africain. Et les remplacements d’été, dans bien des églises, sont souvent assurés par des prêtres venus d’Afrique.

Si les croyants du continent noir se fondent facilement dans les assemblées, les responsables de la pastorale gardent le souci d’intégrer tous les paroissiens. C’est pourquoi Boniface Bucyana, dans sa paroisse de Saint-Joseph à Lausanne, organise tous les deux mois une «messe interculturelle»: un office en français, dont l’animation est assurée par des groupes étrangers. Le 23 octobre prochain, la messe sera animée par des Polonais, suivis deux mois plus tard par les Camerounais, puis les Rwandais, les Tamouls, les Erythréens et les Vietnamiens.

L’Eglise reste motrice pour l’intégration, de tous. Comme une preuve que la Suisse reste fondamentalement une terre d’accueil. (cath-ch/bl)

Les commuautés africaines animent les paroisses romandes (photo Bernard Litzler)
19 septembre 2016 | 08:21
par Bernard Litzler
Temps de lecture : env. 4  min.
Afrique (286), Chorale (30), Lausanne (227), Messe (286), Prêtre (131)
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