«Pardonner, ce n'est pas oublier», assure le Père Peter Bretzinger
Salvador: Un vaste projet de paix et de réconciliation édifié sur le charnier d’El Mozote
El Mozote/Fribourg, 27 novembre 2014 (Apic) «Pardonner, ce n’est pas oublier…» D’une voix douce, le Père Peter Bretzinger présente le vaste projet de paix et de réconciliation qu’il a débuté dans la région montagneuse d’El Mozote, au Salvador. De 1979 à 1992, ce petit pays d’Amérique centrale a connu une sanglante guerre civile. La bourgade d’El Mozote, dans le département de Morazan, à l’est du pays, restera à tout jamais marquée par le massacre d’un millier de civils, dont plus de 448 enfants de moins de 12 ans…
Ce massacre de masse (*), qualifié par la Fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la Torture (FIACAT) de «crime contre l’humanité», a été perpétré le 11 décembre 1981 par le Bataillon d’infanterie de réaction immédiate (BIRIA) «Atlacatl», une unité «d’élite» entraînée et armée par les Etats-Unis. Commandé par lieutenant colonel Domingo Monterrosa Barrios, le Bataillon «Atlacatl», appuyé par des éléments de la Troisième Brigade d’Infanterie de San Miguel, a procédé, au cours de l’Opération «Rescate», à l’exécution planifiée des civils de la région.
«Nous avons voulu édifier un monument qui fait mémoire des victimes de ce massacre: c’est une réponse à partir de la foi chrétienne au génocide le plus cruel qui a été commis dans ce lieu!», confie à l’Apic le Père Bretzinger.
L’inspiration pacificatrice du saint de Suisse centrale
Le prêtre allemand élancé, les cheveux grisonnants, la croix en sautoir sur un vêtement de bure de couleur gris-bleu, était de passage en Suisse durant l’été, pour une retraite au Flüeli Ranft, patrie de Nicolas de Flüe. C’est ce saint de Suisse centrale qui a inspiré sa démarche de pacification des esprits, dans un pays dont les plaies ouvertes d’une guerre civile atroce sont loin d’être toutes refermées.
Le missionnaire originaire de Bruchhausen, près de Karlsruhe, a fondé à Quito, en Equateur, la communauté religieuse «Communio Sanctorum», dédiée à la contemplation et à la mission. L’idée de fonder un centre dédié à la paix et à la réconciliation dans ce lieu de sinistre mémoire vient d’une rencontre avec le Padre Mino Chica, un prêtre salvadorien de passage au «Centro Espiritual Santo Hermano Nicolas». Ce Centre spirituel de la communauté, dédié à Nicolas de Flüe, a été édifié à Mindo, près de Quito, la capitale de l’Equateur.
La rencontre décisive avec le prêtre salvadorien Exterminio Chica, d’El Mozote
Prêtre salvadorien émigré dans le New Jersey, le Padre Mino, originaire d’El Mozote, avait fui aux Etats-Unis. Enfant, il avait échappé de peu avec sa mère à l’anéantissement de son village. Etudiant à Caldwell, devenu prêtre, il est toujours resté en contact avec sa patrie d’origine, où il développe des projets sociaux, notamment pour les orphelins et les personnes âgées.
«Le Père Exterminio ‘Mino’ Chica – un nom prophétique! – est passé dans notre Centre, et il m’a dit qu’il voulait une fondation de ce genre pour El Mozote. J’en ai parlé avec des amis, j’ai présenté ce projet à ma communauté en Allemagne. Ils ont tout de suite été enthousiastes et m’ont appuyé. Des parents d’El Mozote ont mis à disposition un terrain, et on en a acheté d’autres. C’est ainsi qu’est né ce vaste projet de réconciliation dans cette zone meurtrie».
«L’une des actions les plus exécrables dans l’histoire de l’Amérique latine…»
A l’époque, pour les Forces armées salvadoriennes, comme pour les conseillers militaires américains qui les coachaient, toute personne vivant au nord du Rio Torola, près de la frontière du Honduras, était considérée d’emblée comme membre ou sympathisant de la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), qui menait la lutte armée depuis 1979. A leurs yeux, il était donc légitime d’éliminer physiquement tous les «terroristes» vivant dans cette zone, femmes et enfants compris!
La tuerie d’El Mozote a été «l’une des actions les plus exécrables dans l’histoire de l’Amérique latine… Les victimes n’ont pas encore obtenu le droit à la vérité, à la justice, à la réparation et à l’indemnisation; ces faits restent impunis. C’est pour cela que nous voulons transformer ce lieu considéré par beaucoup comme une malédiction en lieu de bénédiction!»
Les prophètes de la non-violence veillent sur les martyrs d’El Mozote
Surplombant le village d’El Mozote, dans la luxuriance des hautes montagnes de l’Oriente, le vaste projet de réconciliation mené par la communauté «Communio Sanctorum» a débuté il y a 4 ans. Déjà bien avancé, il comporte sur un vaste espace diverses constructions en voie d’achèvement. Au bout d’une longue rampe d’escalier, couronnant l’un des sommets montagneux, se dresse l’imposant monument intitulé «Les saints innocents».
Aux quatre coins, l’artiste a placé les statues de 2 m de haut des prophètes de la non-violence, précise le Père Bretzinger: le Mahatma Gandhi, «qui nous montre la nécessité du dialogue entre toutes les religions», le pasteur Martin Luther King Jr., «qui dénonce le scandale de la division des chrétiens et nous montre la nécessité de l’œcuménisme», Mère Teresa de Calcutta et le pape Jean Paul II, «qui prônent la protection de la vie, de toute vie».
«Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix»
Au centre du monument, à 7 m de hauteur, s’élance un Christ ressuscité aux bras grands ouverts, avec à ses pieds l’inscription en espagnol «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix». Et au-dessus, le logotype de la famille, «1ère cellule au service de la paix», précise le Père Bretzinger. Ce sont les mêmes silhouettes noires d’un père et d’une mère tenant chacun un enfant par la main que l’on aperçoit devant le mémorial à côté de l’église du village, où sont inscrits les noms des victimes du massacre. «J’ai vu un paysan qui pleurait, lors de l’inauguration du monument, parce qu’il n’y avait aucun lieu au Salvador où l’on pouvait pleurer les morts de la guerre civile», assure le religieux allemand.
A quelques encablures, voici la maison «Mgr Oscar Arnulfo Romero», pouvant accueillir 60 personnes et destinée à la prière et aux retraites spirituelles. Sur les murs intérieurs, Oscar Naranjo, un artiste équatorien appartenant au mouvement spirituel «Communio Sanctorum», a peint des scènes de la vie de «saint Romero d’Amérique». Bête noire de certains évêques conservateurs locaux, Mgr Oscar Arnulfo Romero, l’archevêque de San Salvador assassiné le 24 mars 1980 par les escadrons de la mort d’extrême-droite, devrait être bientôt béatifié, selon les vœux du pape François.
«On a inscrit les paroles de Mgr Romero, afin que ses paroles continuent de vivre!»
«On a inscrit les paroles de Mgr Romero, afin que ses paroles continuent de vivre! On ne doit pas vouloir la vengeance, mais cependant on ne doit pas oublier tout ce qui s’est passé: cela doit servir d’avertissement aux générations futures. Nous voulons également mettre sur pied un petit musée, avec des photos, des recueils de témoignages des survivants de la répression, des témoins de cette époque, et une bibliothèque, avec des jeux sur le thème de la paix: tout doit servir à l’éducation à la paix…»
Un peu plus haut, à quelques encablures d’une haute statue de Mgr Romero, se construit l’exacte réplique de la chapelle du Ranft. L’architecte équatorien en charge du projet s’est rendu à Sachseln, en Suisse centrale, pour s’imprégner de l’atmosphère du Flüeli-Ranft et relever les plans de la chapelle de saint Nicolas de Flüe.
Oscar Naranjo va peindre sur les murs de la chapelle, en douze tableaux, le cycle de la vie du Bruder Klaus. Tout à côté ont commencé les travaux de construction des 12 cellules prévues pour des ermites de tous les pays qui viendront pour une période d’adoration perpétuelle pour la paix et la réconciliation.
La violence toujours présente: la statue du «poverello» détruite à coups de pierres
L’ensemble du projet du Père Bretzinger, évalué à plusieurs centaine de milliers de dollars, est soutenu par diverses œuvres d’entraide, notamment Adveniat, à Essen, et Kindermissionswerk, à Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Le gouvernement irlandais a pris en charge le financement des maisons de bois qui abritent une première religieuse. Le centre spirituel «Santo Hermano Nicolas», dédié au saint patron de la Suisse, est financé à hauteur de 30’000 dollars par l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), dont le siège suisse se trouve à Lucerne.
L’Infancia Misionera soutient le projet de place de jeux pour les enfants, qui est bientôt achevée. Malheureusement, durant l’été, sur cette place, des inconnus ont détruit à coups de pierre la statue en fibre de verre de saint François d’Assise, qui se penche sur un enfant qui lui tend une colombe. «Cela montre la violence qui règne, déplore le Père Bretzinger. Cela peut arriver partout dans le pays. On aurait pu s’attendre à ce que l’on respecte un tel projet, qui est connu et très apprécié loin à la ronde …»
Encadré
La communauté du Père Bretzinger comprend trois prêtres et un diacre permanent, quatre séminaristes et sept religieuses, ainsi que de nombreux laïcs. «Communio Sanctorum», reconnue comme famille religieuse, avec pour caractéristique la contemplation et la mission, a été fondée en 1975 par les Pères Vidal Gutierrez et Peter Bretzinger. La communauté est présente actuellement en Allemagne, en Suisse, en Espagne, en Italie, en Equateur, au Chili, au Mexique, à El Salvador, et aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays, sa responsable est Ana Romero, parente de Mgr Romero. La communauté associe son projet de vie contemplative à des actions caritatives en faveur des pauvres et des nécessiteux. JB
(*) Le Bataillon «d’élite» commandé par lieutenant colonel Domingo Monterrosa Barrios a rassemblé les habitants d’El Mozote et les paysans des villages alentours qui s’étaient réfugiés dans le village en raison des combats dans les montagnes alentours. Les soldats ont sorti les hommes des maisons et les ont égorgés ou fusillés à l’extérieur, avant de s’emparer des femmes et des filles, dont nombre furent violées avant d’être mises à mort dans la montagne. A la fin de la journée, ce sont les enfants qui ont été mitraillés ou déchiquetés par des grenades. Rien que dans le «convento», le petit presbytère à côté de l’église, transformé aujourd’hui en jardin du souvenir, 131 squelettes d’enfants de moins de douze ans ont été retrouvés. Au cours de l’Opération «Rescate», 448 enfants ont été assassinés dans la zone. Malgré ces atrocités, on trouve sur YouTube de nombreux films à la gloire du boucher d’El Mozote, toujours vénéré par les Forces armées salvadoriennes. La caserne de la Troisième Brigade d’Infanterie à San Miguel porte aujourd’hui encore le nom de «Teniente coronel Domingo Monterrosa Barrios».