Pape François: «L’Occident ne doit pas exporter sa démocratie»
L‘Occident ne devrait pas exporter son propre type de démocratie vers d’autres pays, estime le pape François dans un livre d’entretiens No sei solo, paru en italien le 24 octobre 2023. S’appuyant sur l’exemple de l’Irak et de la Libye, le pontife déplore que l’intervention occidentale ait conduit à l’anarchie et à de nouveaux conflits.
Le chaos politique et institutionnel dans lequel se trouvent de nombreux pays pauvres ou du Sud provient également de «l’échec de l’Occident dans sa tentative d’importer son propre type de démocratie dans certains pays de culture, je ne dirai pas tribale, mais similaire», répond le pape dans un livre d’entretiens avec les journalistes Francesca Ambrogetti et Sergio Rubin. Publié en Argentine en février 2023, l’ouvrage est parue en Italie le 24 octobre sous le titre: Vous n’êtes pas seuls. Défis, réponses, espoirs«.
Kadhafi et Saddam Hussein: pas des anges mais…
Tout en se défendant de rien connaître à la politique, le pape jésuite livre une analyse avec son franc-parler habituel. «Pensez à la Libye, qui semble ne pouvoir être dirigée que par des personnalités très fortes comme Kadhafi. Un Libyen m’a dit qu’il n’y avait qu’un seul Kadhafi, alors qu’il y en a cinquante-trois aujourd’hui».
L’invasion occidentale de l’Irak est jugé à la même aune: «La guerre du Golfe a été une véritable honte, pour ne pas dire l’une des pires cruautés. Saddam Hussein n’était certes pas un ange, bien au contraire, mais l’Irak était un pays assez stable. Je ne défends ni Kadhafi ni Hussein. Mais qu’est-ce que la guerre a laissé derrière elle?» s’interroge le pontife.
«Je crois, a déclaré le pape, que nous ne devons pas exporter notre démocratie vers d’autres pays, mais les aider à développer un processus de maturité démocratique en fonction de leurs caractéristiques. Ne faites pas la guerre pour apporter une démocratie que leurs peuples ne sont pas capables d’assimiler. Il y a des pays qui ont un système monarchique et qui n’accepteront probablement jamais une démocratie, mais je suis sûr qu’on peut les aider à faire en sorte qu’il y ait une plus grande participation.»
Pas de guerre pour la démocratie
«Au début de mon pontificat, j’ai dit que nous vivions une Troisième Guerre mondiale en petits morceaux, puis j’ai dit que ces morceaux avaient progressivement augmenté et maintenant je pense qu’il s’agit d’un seul grand morceau», déclare le pape dans un extrait du livre, publié par l’Agence Ansa.
Un nouvel et énième appel donc, de la part du pape, qui s’ajoute aux dénonciations exprimées depuis le début de son pontificat et réitérées avec plus de vigueur au fil des mois de l’agression russe en Ukraine et, aujourd’hui, des tensions au Moyen-Orient, avec l’aggravation des attentats et de la violence.
La proximité du cœur
Le livre No sei solo balaye large, de la politique à l’économie, de la réforme de la Curie romaine aux menaces qui pèsent sur la «Maison commune» et au renouveau de l’annonce de l’Évangile. Sans oublier quelques aspects personnels de a propre vie de pasteur et d’homme de foi de Bergoglio. Pour les auteurs, son souci de la vie et de la condition de tout être humain peut se résumer dans l’expression «proximité de cœur».
Le journal de la conférence épiscopale italienne Avvenirre publie d’autres bonnes feuilles du livre au contenu plus personnel et plus spirituel.
«A mon avis, le premier apostolat d’un prêtre est celui de l’oreille», souligne le pape François. Jésus «a beaucoup critiqué le manque d’humanité, le légalisme des docteurs de la loi, la domination des idéologies… Au contraire, l’élément humain, même le plus misérable, l’humanité malade, l’humanité pécheresse, l’humanité ignorée, l’accepte et apparaît dans le Sermon sur la Montagne et dans le protocole par lequel nous serons jugés.»
«Je suis un pasteur de l’Église, mais je suis là pour tout le monde. Et je devrai rendre des comptes à Dieu pour chacun.»
Le pape des athées? Un compliment!
Un journaliste espagnol a dit un jour que vous étiez le pape des athées. Comment prenez-vous cette définition? L’interrogent les journalistes. – «Comme un compliment.» – Mais vous êtes le pape des catholiques… – «Je suis un pasteur de l’Église, mais je suis là pour tout le monde. Et je devrai rendre des comptes à Dieu pour chacun.»
«Oser prier avec les mains sales»
Interrogé sur sa manière de prier, Jorge Mario Bergoglio explique: «La prière ne peut être réduite à des schémas. Il faut prier comme on est dans la vie, c’est-à-dire avec les mains sales et en gardant à l’esprit deux aspects qui appartiennent à la fois à la prière et à la vie: le courage, interprété comme ‘parresia’, c’est-à-dire parler franchement, dire tout, et la patience dans le sens de l’endurance. Il m’arrive souvent de parler, de demander, d’écouter et même de m’endormir. C’est curieux, mais parfois le lendemain, de manière inattendue, la réponse arrive. On l’entend et on la voit même clairement.»
«Dieu ne nous soumet jamais à des situations que nous ne pouvons pas supporter. Même si nous nous battons, nous insultons, nous jurons, ce qui est très humain, si nous sommes fidèles dans notre recherche, nous finissons par trouver un certain soulagement. Parce que Dieu est toujours à nos côtés.» (cath.ch/ag/mp)
Un pape qui ne prend pas de vacances
«Je n’aime pas prendre de vacances, explique le pape François. La dernière fois, c’était pendant l’été 1975, alors que je vivais à Buenos Aires. Je suis allé avec ma communauté jésuite dans la ville balnéaire de Mar del Plata. L’année suivante, j’ai décidé de ne pas y aller parce que je sentais qu’un coup d’État militaire approchait avec de graves conséquences et j’ai préféré rester au siège de la Confraternité de Jésus. Je me suis alors rendu compte que je pouvais organiser mes vacances d’une manière différente: plus de prière, plus de lecture, plus de musique, plus de silence, en profitant du fait que tout le monde était absent. Et j’ai pris goût à ce type de vacances.» MP
No sei solo
Francesca Ambrogetti, ancienne directrice d’Ansa en Argentine, et Sergio Rubin, du journal El Clarin ont été les premiers journalistes à qui Jorge Mario Bergoglio a fait confiance. Ils l’ont interviewé pour un premier livre paru en 2014. Depuis ils ont continué à avoir une relation spéciale et à dialoguer avec lui dans une conversation franche et sincère. Le livre publié en février en Argentine sous le titre El Pastor (Le Pasteur); est paru en italien sous le titre Sei non solo (vous n’êtes pas seuls) MP