Mgr | © A.R./Eglises d'Asie
Dossier

Pakistan: Mgr Shaw: «Le dialogue interreligieux est la seule solution»

5

Dans son bureau jouxtant la cathédrale historique du Sacré-Cœur, Mgr Sebastian Francis Shaw, archevêque de Lahore, livre son regard sur la situation des chrétiens au Pakistan, où l’islam est un ciment patriotique et politique. La minorité, qui représente seulement 2% d’une population de 240 millions d’habitants, est vulnérable et fait profil bas.

Propos recueillis par Eglises d’Asie

L’archevêque revient sur les émeutes du 16 août au quartier chrétien de Jaranwala. Il défend le dialogue interreligieux, dont il est l’un des représentants importants au Pakistan.

La minorité chrétienne vit-elle dans la peur au Pakistan?
Mgr Sebastian Francis Shaw: Il y a une trentaine d’années, personne ne vivait dans la peur au Pakistan. Les problèmes ont débuté lorsque certaines lois ont été introduites et qu’elles ont été mal utilisées. C’est le cas par exemple de la loi sur le blasphème. Les violences de Jaranwala (des émeutes qui ont ciblé le quartier chrétien de Jaranwala, à 100 km de Lahore, détruisant des centaines de maisons et incendiant 22 églises, ndlr) ont eu lieu suite à une accusation de blasphème visant des chrétiens. Avant cet incident, les gens vivaient côte à côte, et ils vivent toujours ainsi. La peur peut exister mais n’est pas une réalité quotidienne. Les musulmans et les chrétiens vivent ensemble et participent même aux cérémonies religieuses des uns et des autres.

L’accusation de blasphème, passible de prison et de pendaison, vise toute personne qui manquerait de respect à l’égard du prophète Mahomet ou du Coran. N’importe qui peut être aisément accusé à tort de blasphème. À Jaranwala, selon la police, ce sont en fait des chrétiens ont voulu incriminer d’autres membres de leur communauté et ont mis en scène une profanation du Coran afin de les faire accuser de blasphème.
Les disputes personnelles sont à l’origine de nombreux cas d’accusations de blasphème. La religion est utilisée dans l’intérêt malveillant de certaines personnes. Les motivations sont diverses: elles peuvent être d’ordre politique ou financier, ou par jalousie, par vengeance, ou encore dans le cadre de différends concernant des terres et des propriétés.

«Les disputes personnelles sont à l’origine de nombreux cas d’accusations de blasphème.»

Comment désamorcer les tensions interreligieuses?
D’une manière générale, les gens peuvent avoir des idées fausses et des interprétations qui créent de la distance et de l’animosité. Nous croyons très profondément que, face à toute forme de confusion, le dialogue est la seule solution. Depuis quinze ans, et particulièrement à Lahore, nous organisons des rencontres entre chrétiens et musulmans. Si l’on dialogue, l’incompréhension religieuse est impossible. Tous les quinze jours, nous organisons ainsi un dialogue interreligieux qui rassemble près de 80 personnes, avec la participation de grands représentants religieux de l’islam au Pakistan.

Comment le dialogue aide-t-il à débloquer de fausses accusations de blasphème?
Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques mois, quatre chrétiens âgés de quinze ou seize ans, qui travaillaient comme nettoyeurs de rue, ont été accusés de blasphème et frappés par des musulmans. La raison était qu’ils avaient utilisé une bannière religieuse pour ramasser des détritus. Mais ils n’avaient aucune idée que de ce qui était écrit sur cette bannière! Immédiatement, nous avons mobilisé notre homme de dialogue, un musulman, qui est allé parler à la police avec l’un de nos représentants, afin de faire libérer ces garçons. Il a demandé aux jeunes chrétiens de lire un journal, ce qu’ils ont été incapables de faire. Ainsi, il a démontré que ces garçons n’avaient pas voulu profaner la bannière et étaient simplement ignorants et illettrés. Grâce à ce dialogue, la situation a été résolue.

«À une époque, (…) nous, chrétiens du Pakistan, étions souvent accusés d’être les alliés de l’Occident et des États-Unis.»

En fait, l’interprétation que les gens donnent aux choses peut être mauvaise. Face à cela, il faut faire preuve d’écoute, de compréhension, parler ensemble, et réaliser aussi que nous sommes tous Pakistanais. Même à Jaranwala, nous sommes tous responsables des émeutes. Cet incident, qui met en cause la responsabilité des chrétiens et des musulmans, a entaché l’image du Pakistan. Ce sont aussi des maisons qui ont été détruites et qu’il faut à présent reconstruire avec l’argent de notre pays.

Dans les mentalités au Pakistan, il existe une certaine méfiance à l’égard de la minorité chrétienne…
À une époque, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001, nous, chrétiens du Pakistan, étions souvent accusés d’être les alliés de l’Occident et des États-Unis. Aujourd’hui, les gens ont compris que nous sommes nés ici et que nous sommes les enfants du Pakistan. Récemment, un religieux musulman a déclaré à ses fidèles: «Mes frères, comprenez bien que personne n’écoute les chrétiens pakistanais en Europe ou aux États-Unis!» Et c’est la vérité.

L’an dernier, nous avons voulu envoyer l’un des nôtres à un colloque international sur l’éducation catholique, qui se tenait à Marseille. Malgré toutes les lettres de recommandation et les garanties que nous avons fournies, le visa lui a été refusé par la France… Et ce n’est pas la première fois que nous essuyons des refus.

Pensez-vous que le visa a été refusé parce que cette personne était pakistanaise?
Oui, avec la suspicion habituelle que cette personne voudrait peut-être ne pas revenir au Pakistan une fois en France. Le fait d’être chrétien n’a pas fait de différence. Ici, les gens comprennent donc que nous sommes tous logés à la même enseigne. Nous sommes tous Pakistanais.

Quel est le message que vous faites passer à vos amis musulmans lors de vos échanges?
Nous voulons tous que le Pakistan soit un pays en paix. Nous vivons tous ensemble. Il ne s’agit pas seulement de tolérance, mais aussi d’acceptation réciproque, comme dans un couple! Nos croyances sont différentes, nous prions de manière différente, et nous l’acceptons. Dieu nous accepte tous. Nous ne devons contrôler personne et comprendre nos différences.

Et que dites-vous aux chrétiens?
Je leur dis que nous devons aussi apprendre à vivre davantage en paix avec les autres. Nous bénéficions d’une longue expérience de dialogue interreligieux. Nos écoles chrétiennes, comme Saint-Anthony à Lahore, ne sont pas des institutions religieuses mais des institutions sociales. Pour les cours religieux, les classes sont séparées entre chrétiens et musulmans. Durant le catéchisme avec les élèves chrétiens, nous leur apprenons, par exemple, que le Coran mentionne 24 fois le nom de Jésus-Christ. Ainsi, nous leur donnons une sensibilité religieuse d’affiliation. C’est très important.

Et cela serait aussi valable en France ou en Suède. Lorsque quelqu’un brûle le Coran en Europe, j’explique ici à mes frères musulmans qu’une grande partie des Européens ne sont pas religieux, même si les gens portent des prénoms chrétiens, et n’ont pas de sensibilité religieuse. Pour beaucoup d’entre eux, la Bible, le Coran ou la Torah ne sont que des livres ordinaires. Mais il faudrait que ces pays comprennent que nos frères musulmans ont une dévotion profonde pour le Coran et pour le prophète, et qu’il faut éviter de créer des problèmes. Si vous brûlez un coran, les réactions viendront du monde entier.

Au Pakistan, le problème est qu’il existe des courants de radicalisation islamiste…
Nous en discutons avec les autorités et avec d’autres interlocuteurs. Le gouvernement essaie de faire prévaloir la paix et l’harmonie au Pakistan. Mais il y a certains groupes qui sont en effet «radicaux», comme vous dites; ils ont leur propre idéologie et créent des problèmes.

«Si vous brûlez un coran, les réactions viendront du monde entier.»

Ces groupes agitent notamment la loi sur le blasphème. À Jaranwala, par exemple, tout un mécanisme s’est immédiatement mis en place pour dénoncer le blasphème et mobiliser les foules, avec des appels émis depuis les haut-parleurs des mosquées et des messages diffusés sur les réseaux sociaux. On peut se demander si ces émeutes n’étaient pas politiquement motivées…
Ce que nous voulons, c’est que les accusations de blasphème ne soient pas émises par les haut-parleurs des mosquées. Nous en faisons régulièrement la demande auprès des autorités. Le blasphème ne doit pas être annoncé par la mosquée, car il est ensuite très difficile de contrôler les émeutes.

Les statistiques ont été publiées suite à l’attaque violente d’un quartier chrétien à Jaranwala, au Penjab | © Good News TV/Facebook

En tant que chrétiens, nous ne disons pas que nous demandons l’abolition de la loi sur le blasphème, mais nous demandons qu’une méthodologie et des règles l’entourent. Un individu peut être puni, mais pas sa famille ni son village entier, comme cela a été le cas à Jaranwala. En même temps, beaucoup d’histoires rapportent que des musulmans ont aidé leurs voisins chrétiens à se cacher et les ont protégés durant les émeutes.

Il faut souligner que la loi sur le blasphème peut aussi viser des musulmans…
En effet. De nombreux musulmans sont en prison en raison de cette loi. La seule différence est la suivante: si un musulman est accusé de blasphème, c’est seulement lui qui est puni en tant qu’individu. Mais si un chrétien est accusé, c’est annoncé à la mosquée, et toute sa famille est ciblée, sa maison brûlée, et parfois son clan entier est visé. (cath.ch/eda/bh))

Suite