Orsières fête le 12 août le bienheureux Maurice Tornay, martyrisé au Tibet
Quelque 150 personnes sont attendues samedi 12 août 2017 à La Rosière pour assister à la traditionnelle fête en l’honneur du Bienheureux Maurice Tornay. Natif de ce hameau montagnard de la commune valaisanne d’Orsières, située sur la route du Grand-Saint-Bernard, le missionnaire a été martyrisé au Tibet en 1949.
C’est une figure encore trop peu connue, même dans la région d’Orsières, relève Jérôme Emonet, président depuis 2007 de la Fondation qui porte le nom de ce chanoine de la congrégation du Grand-Saint-Bernard. Le juge cantonal valaisan rappelle que Maurice Tornay fut assassiné à l’âge de 39 ans «en haine de la foi», le 11 août 1949, au col du Choula, à la frontière sino-tibétaine.
Assassiné «en haine de la foi»
C’était un montagnard et pour aller vivre dans cette région isolée des marches tibétaines, dans les vallées escarpées entre les fleuves Mékong et Salouen, où les cols dépassent allègrement les 4’000 m, «il fallait être un véritable aventurier, une force de la nature !» Quand il fut nommé en juin 1945 curé de Yerkalo – la seule paroisse catholique implantée en territoire tibétain, d’où il fut chassé par les lamas en janvier 1946 – son prochain confrère était à huit jours de marche… «Les missionnaires étaient des deux côtés, ils ne se voyaient pas durant tout l’hiver». Imaginez la solitude du prêtre dans cet univers dépourvu des plus simples infrastructures, dans un milieu inhospitalier et insalubre, et dans une réalité culturelle totalement étrangère!
Maurice Tornay, chanoine du Grand-Saint-Bernard, avant son départ en Chine (Photo: DR)
L’hostilité des moines bouddhistes
Maurice Tornay fut abattu, en compagnie de son serviteur tibétain Docy, par des moines bouddhistes de la lamaserie de Karmda, très hostiles aux chrétiens. Le missionnaire valaisan voulait se rendre à Lhassa, la capitale de ce que l’on appelait alors le «Tibet interdit», pour plaider la cause de ses paroissiens auprès du dalaï-lama. Le pape Jean Paul II décernera à Maurice Tornay le titre de martyr de la foi et procèdera à sa béatification le 16 mai 1993.
Issu d’une famille de paysans pauvres, septième d’une fratrie de huit enfants, «il était d’un caractère volontaire, certes très exigeant, mais avant tout pour lui-même, sachant aussi faire preuve de miséricorde… Il était assez avancé en ce qui concerne l’inculturation de la foi, dans cette région très imprégnée de religiosité bouddhiste», note Jérôme Emonet.
Un missionnaire qui avait «du feu dans les yeux»
L’habitant de Sembrancher, à six kilomètres en aval d’Orsières, en direction de Martigny, souligne avoir un grand attachement envers la figure de ce missionnaire intrépide qui avait «du feu dans les yeux». Dans beaucoup de familles d’Entremont, on avait l’image de Maurice Tornay, martyr au Tibet. «A la maison, il y avait du respect et de la vénération pour ce missionnaire. On n’en connaissait pourtant peu l’histoire». C’est Mgr Angelin Lovey, à l’époque prévôt du Grand-Saint-Bernard, lui aussi ancien missionnaire aux marches du Tibet, ami et confident de Maurice Tornay, qui allait ranimer la flamme. Il fut vice-postulateur de la cause de béatification de son confrère, de 1979 à 2000.
«Il m’avait offert l’ouvrage ‘Ecrits valaisans et tibétains’ publié aux éditions Brepols, en 1993. Ce livre contient une grande partie de la correspondance de Maurice Tornay, missionnaire aux marches tibétaines. Notre fondation prépare une nouvelle édition pour l’année prochaine, avec cette fois-ci l’ensemble des lettres retrouvées, car un tiers de la correspondance n’avait pas été publiée dans le premier ouvrage».
Une modeste demeure paysanne
Tout en nous conduisant au hameau de La Rosière, un magnifique balcon situé à près de 1’200 m d’altitude, à 300 m au-dessus d’Orsières, Jérôme Emonet relève que la maison natale du Bienheureux Maurice, qui rassemble des souvenirs du missionnaire, a été donnée à la Fondation par la famille. Située à quelques pas de la chapelle sainte Anne – ornée depuis 1994 de quatre vitraux retraçant la vie de Maurice Tornay -, la modeste demeure paysanne au crépi gris n’occupe que les deux premiers étages, le haut de la maison appartenant à un autre propriétaire.
A l’intérieur des pièces étroites, sur les murs chaulés, des tableaux présentant notamment des lettres du missionnaire à sa famille, mais surtout la copie du télégramme annonçant sa mort au prévôt du Grand-Saint-Bernard, qui ne parvient en Suisse que le 21 septembre 1949. «Pour des raisons de coûts, ce télégramme envoyé de Kunming, la capitale du Yunnan, est très laconique». On peut lire: Adam, Martigny ville, Suisse, Tornay massacré, et c’est signé Lattion, du nom du chanoine Cyrille Lattion, qui fut supérieur des chanoines du Tibet.
Le «Tibet interdit»
Jérôme Emonet confie avoir été à deux reprises, en 2008 et 2013, visiter le lieu de l’assassinat du missionnaire, à 4’300 m d’altitude, au bas du col du Choula qui culmine à 4’830 m et qui permet de mettre un pied dans ce «Tibet interdit». Il s’y est rendu en compagnie du Père Nicolas Buttet, d’Eucharistein, qui y emmène quasiment chaque année un groupe de jeunes pour une découverte de ces populations montagnardes qu’ont tenté d’évangéliser, au XIXe siècle, les Missions Etrangères de Paris (MEP), ceux-là mêmes qui y avaient appelé en renfort les chanoines du Grand-Saint-Bernard. C’est ainsi que le 10 janvier 1933, quatre chanoines valaisans embarquent à Marseille à destination de la frontière du Tibet. Ils seront rejoints en 1936 par les chanoines Cyrille Lattion, Maurice Tornay et Frère Nestor Rouiller, en 1938 par les chanoines Angelin Lovey et Henri Nanchen, et en 1946 par les chanoines Louis Emery, François Fournier, Alphonse Savioz et Jules Detry.
Un simple monticule de pierres
Sur le lieu du martyre, un monticule de pierres, avec gravées sur la plus grande, les initiales du bienheureux, MT, et une croix. «Ce sont les jeunes qui accompagnent Nicolas Buttet qui ont fait cette inscription. La croix de bois surmontant le cairn n’est pas restée longtemps, car c’est un lieu de passage pour les lamas qui se rendent en pèlerinage».
«Mes trois filles ont également fait le voyage avec Nicolas Buttet. Aller sur place, marcher sur des sentiers muletiers à ces altitudes, voir les conditions de vie difficiles de la population, change le regard… Les écrits du Bienheureux Maurice Tornay prennent alors une toute autre dimension. Il faut également voir que dans sa paroisse de Yerkalo, où l’église a été restaurée grâce à une subvention de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED), aujourd’hui encore, les paroissiens disent que Maurice Tornay est mort pour eux».
Il a marqué les fidèles restés chrétiens
«Même si son passage fut très bref – de juin 1945 à janvier 1946 – il a marqué les fidèles restés chrétiens, qui l’ont considéré d’emblée comme un saint», poursuit Jérôme Emonet. Ces catholiques de diverses ethnies sont encore près de 200 à l’heure actuelle. «Le corps du martyr, qui reposait d’abord dans le jardin de la mission à Atuntze (au nord-ouest du Yunnan, à 120 km de Yerkalo) a été transféré en 1988 par des paroissiens de Yerkalo dans le cimetière de leur paroisse, signe de leur dévotion envers le bienheureux et son serviteur».
Aujourd’hui, il est devenu très difficile pour un étranger de se rendre dans cette région de la Chine, redevenue le «Tibet interdit».
Mieux faire connaître la figure du missionnaire valaisan
Il relève que dans la population locale, la figure du missionnaire est un peu oubliée. «C’est pas euphorique! Nombre de gens du lieu ne se sentent pas concernés, et ceux qui viennent sont en bonne partie de l’extérieur», déplore-t-il.
Jérôme Emonet est d’avis qu’il est nécessaire d’en faire plus pour populariser la figure du bienheureux. Dans ce but, il a proposé au curé, le chanoine Joseph Voutaz, d’organiser une journée dans secteur pastoral d’Entremont pour mieux le faire connaître. Lui-même va proposer de passer dans les paroisses pour donner des conférences sur le missionnaire martyr. L’intention est également de créer une Association des amis du bienheureux Maurice Tornay, et de disposer d’un site internet. JB
Fête à La Rosière
Au programme de la fête du bienheureux Maurice Tornay, un pèlerinage partira dès 8h depuis l’église d’Orsières, où se trouve dans la crypte un Espace très bien documenté, pour assister à 10h30 à la messe présidée par Jean-Michel Girard, prévôt du Grand-Saint-Bernard. La cérémonie religieuse sera suivie d’un mot du président de la commune d’Orsières, Joachim Rausis, puis d’un apéritif. Raclettes, grillades et fendant sont au menu de la Fête villageoise. JB
Biographie
Maurice Tornay naît le 31 août 1910 à La Rosière, dans la commune d’Orsières, et meurt le 11 août 1949 au col du Choula, en Chine. Fils de Jean-Joseph et de Faustine Rossier, paysans, Maurice étudie au collège de St-Maurice (1925-31), puis entre au noviciat du Grand-Saint-Bernard en 1931. Il est chanoine régulier en 1935.
Il rejoint ses confrères partis pour fonder au Tibet un hospice et arrive en 1936 dans la mission des marches tibétaines du Yunnan. Ordonné prêtre à Hanoï, au Vietnam, en 1938, il dirige le petit séminaire destiné à former le clergé indigène de 1938 à 1945. Nommé curé de Yerkalo, seul poste implanté dans le Tibet indépendant, en juin 1945, il est en butte à l’hostilité des lamas et expulsé en janvier 1946. Il cherche en vain des appuis auprès des représentants diplomatiques des nations occidentales à Nankin, et du nonce apostolique.
Il conçoit finalement le projet d’aller plaider sa cause auprès du dalaï-lama. Avec l’assentiment de ses supérieurs, il se joint en juillet 1949 à une caravane en partance pour Lhassa. A mi-chemin, on l’oblige à revenir sur ses pas. Il est abattu avec son serviteur tibétain, au col du Choula, à la frontière sino-tibétaine. Son corps repose dans le jardin de la mission de Yerkalo.
Béatification
La cause de béatification est ouverte à l’instigation de son compagnon de mission, le prévôt Angelin Lovey, avec un procès informatif diocésain à Sion (1953-1963), inauguré par Mgr Nestor Adam. Le pape Jean Paul II reconnaît à Maurice Tornay le titre de martyr de la foi en juillet 1992 et procède à sa béatification le 16 mai 1993. (cath.ch/be)