Nova Friburgo: l'histoire de l'humanité, c'est l'histoire de la migration...

«L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la migration…», lâche l’écrivain brésilien Henrique Bon, dans un délicieux français mâtiné d’expressions brésiliennes. Il est de passage en Suisse à l’occasion du Bicentenaire de Nova Friburgo, la Nouvelle Fribourg, fondée en 1819 par des colons suisses dans l’arrière-pays de Rio de Janeiro.

L’auteur nous rappelle que dans le passé des Suisses ont aussi été des réfugiés économiques. Pour des centaines d’émigrés suisses, en ce début du XIXe siècle, la mer fut leur dernière demeure. Comme pour les migrants qui se noient aujourd’hui en Méditerranée.

Des Suisses ont aussi été des réfugiés économiques

«Pour peu que nous analysions notre génome, on voit bien que nous sommes tous parents et tous des migrants». Alors que de plus en plus de pays se laissent envoûter par les sirènes du nationalisme et du repli sur soi, l’écrivain de Nova Friburgo veut diffuser ce message d’humanité et de fraternité   le plus loin possible.

Né en 1952 à Nova Friburgo, dans une famille issue de l’immigration suisse du XIXe siècle, Henrique Bon est médecin psychiatre. Ancien directeur de l’Hôpital psychiatrique de l’Etat de Rio de Janeiro dans la ville de Niterói, ce passionné d’histoire est aussi écrivain. Son arrière-arrière grand-père, venant de Cartigny, dans la campagne genevoise, fit partie de l’expédition qui quitta le port d’Estavayer-le-Lac en 1819 pour le Brésil.

L’écrivain brésilien Henrique Bon, auteur du livre ‘Un aller simple pour Nova Friburgo’ avec son traducteur Robert Schuwey | © Jacques Berset

Des Fribourgeois invités à coloniser le Brésil

C’est dans une armoire de la vieille ferme de son ancêtre que le descendant d’émigrants suisses, bercé dès l’enfance des récits de cette aventure tragique, a trouvé un riche fonds documentaire, qu’il a largement exploité, en se consacrant, plus d’une décennie durant, à la recherche de documents sur le destin de ces émigrants, invités à coloniser le Brésil par le roi du Portugal Dom João VI.

La plupart des colons proviennent des cantons de Fribourg et du Jura et sont de confession catholique, car ils vont s’installer dans un pays où l’Eglise catholique règne en maître. Les protestants, qui forment le 15% du contingent, ne sont alors pas vraiment les bienvenus. L’ancêtre d’Henrique Bon, de confession calviniste, en témoigne dans sa correspondance. Dans la zone de Nova Friburgo, les arrivants finirent par contribuer à l’expansion de la culture du café dans le Moyen Paraíba. Leurs descendants forment aujourd’hui près de 40% de la population de la région.

D’abord trimer pour survivre

«Pendant près de 100 ans, la liaison avec le pays d’origine avait été perdue… La plupart n’avaient ni temps ni disponibilité pour s’occuper de leurs origines, devant avant tout trimer pour survivre. La mémoire du pays de leurs ancêtres avait été presque oubliée. Au début du XXe siècle, beaucoup ne savaient plus qu’ils étaient d’origine suisse, même s’ils portaient des noms de la Gruyère ou d’ailleurs en Suisse romande».

Ces Brésiliens avaient depuis longtemps oublié la langue française ou alémanique (20 % des colons de 1819 sont germanophones) , même si un certain nombre d’entre eux avaient conservé une «identité affective», note Henrique Bon. Si la mémoire des temps passés s’est pour beaucoup effacée, des quartiers portent toujours le nom de Cardinaux, Tinguely ou Stucki. Un village s’appelle Monnerat et un autre Muri (du nom abrégé d’une famille Murith, de Gruyère), à l’entrée de Nova Friburgo. Déjà depuis plus d’un demi-siècle, quelques familles commémorent l’épopée de leurs ancêtres.

Réveiller la mémoire oubliée

En 1939 déjà, les Fribourgeois Georges Ducotterd et Robert Loup, dans leur récit historique de l’émigration suisse au Brésil en 1819, intitulé «Terre! Terre!», décrivaient les circonstances tragiques de cette émigration. Le même thème a été évoqué dans un feuilleton en 16 épisodes paru dans le quotidien fribourgeois La Liberté de novembre-décembre 1942. Mais il faudra la publication de la Genèse de Nova Friburgo de Martin Nicoulin, en 1973, pour que les contacts entre les descendants des migrants et la Suisse se renouent et donnent naissance à l’association Association FribourgNova Friburgo AFNF.

Dans son ouvrage  Un aller simple pour Nova Friburgo (*), Henrique Bon fait le récit romancé de cette émigration dans des terres brésiliennes qui furent longtemps hostiles. Une épopée tragique qui verra partir près de 2000 Suisses, quittant pour toujours le canton de Fribourg, avant tout, mais aussi le Jura, le Valais, Vaud, Genève, Neuchâtel ou encore la Suisse alémanique. Un quart de ces émigrants aura la mer comme linceul, d’autres encore mourront en route vers leur «eldorado» ou sur leurs nouvelles terres souvent inhospitalières. Plus de 10% d’entre eux, à l’assistance publique, avaient été «encouragés»par les autorités, sinon forcés, à partir.

Les Suisses fuyaient une situation précaire

C’était l’époque où de nombreux Suisses, fuyant des conditions de vie précaires voire la famine, rêvaient d’une  vie meilleure et s’expatriaient vers des cieux qu’ils pensaient plus cléments. Ayant vendu leurs biens, ils fuyaient «l’année sans été» de 1816, époque où les perturbations sévères du climat détruisirent les récoltes suite notamment à l’éruption du volcan indonésien Tambora en 1815.

Colonie suisse de Nova Friburgo, de Debret, lithographie reproduite dans l’ouvrage de Martin Nicoulin

La rédaction d’Un aller simple pour Nova Friburgo se base sur le fonds documentaire de son ancêtre, mais également sur une vaste enquête historique de près de deux décennies, avec notamment l’exploitation de documents découverts aux Archives nationales. Il en résultera l’imposant ouvrage Imigrantes, la saga du premier mouvement migratoire organisé vers le Brésil. Dans ce livre, l’auteur classe par ordre alphabétique les noms des quelque 2000 émigrants qui quittèrent la Suisse et dont il a retrouvé la trace dans les diverses archives consultées.

Nova Friburgo 2018 se profile au Carnaval des Bolzes avec Lauriane Sallin, ex-Miss Suisse | © Jacques Berset

Bicentenaire de l’émigration fribourgeoise

A l’occasion du bicentenaire de l’émigration fribourgeoise de 1819 vers ces terres à défricher dans les montagnes de l’intérieur de la province de Rio de Janeiro, à 130 kilomètres de la métropole carioca, son ouvrage en portugais A noite dos peregrinos (2008) a été traduit avec brio par l’enseignant retraité Robert Schuwey, à Marly. Juste à temps pour accompagner les festivités du Bicentenaire de Nova Friburgo, qui se déroulent dans le courant de cette année.

Retenir les leçons du passé

Dans l’interview accordée à cath.ch, Henrique Bon souligne que son ouvrage se veut une œuvre humaniste. Il dit son espoir que toute personne puisse s’identifier comme un être humain, faisant partie de la même humanité, et non d’une race particulière. «L’homme a toujours été un animal qui marche, l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la migration».

(*) Henrique Bon Un aller simple pour Nova Friburgo, Editeur: Faim de siècle, Fribourg

L'écrivain brésilien Henrique Bon dédicace son ouvrage 'Un aller simple pour Nova Friburgo' à Fribourg | © Jacques Berset
16 mars 2018 | 20:25
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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