Nouveau regard sur «l'affaire Wendelin Bucheli»
Début 2015, la bénédiction liturgique de deux lesbiennes par Wendelin Bucheli, curé de Bürglen (UR), avait provoqué un retentissant scandale. Dans un livre photos sur la vie lesbienne en Suisse, le prêtre et les deux femmes racontent l’histoire de leur point de vue.
Wendelin Bucheli avait béni le couple de lesbiennes en octobre 2014. Mgr Vitus Huonder, évêque de Coire, avait demandé la démission du prêtre, lequel avait reçu un fort soutien de la population locale. Un accord entre l’évêché et le curé de Bürglen avait finalement été trouvé. L’affaire avait eu un très fort écho médiatique début 2015.
L’écrivaine et photographe argovienne Elisabeth Real relate dans son livre The Lesbian Lives Project (2018), parmi d’autres récits de couples de femmes en Suisse, l’histoire du prêtre et des deux lesbiennes uranaises. Interview.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à Wendelin Bucheli et à ce couple?
Elisabeth Real: La religion relève surtout de la sphère privée, mais elle a en même temps une pertinence sociale. Ce que dit l’Eglise catholique de l’homosexualité intéresse beaucoup les médias. Il y a même dans ce phénomène une composante politique. J’étais fascinée par cette ligne de jonction: des choses aussi privées que la relation entre ces deux femmes et leurs sentiments religieux sont devenues des objets de débat public.
En outre, les comptes-rendus des médias m’ont laissée avec beaucoup de questions sans réponse. Dans mon livre, j’essaye de combler ces vides.
Quelles questions sont-elles restées sans réponse?
Qui sont ces deux femmes et pourquoi voulaient-elles une telle bénédiction? J’imaginais un couple de lesbiennes plus âgées et un peu bigotes (rires). J’ai été très positivement surprise lorsque j’ai constaté qu’elles avaient toutes les deux une foi saine, pragmatique et pas du tout fondamentaliste.
«Wendelin Bucheli m’a convaincue»
La population de Bürglen était aussi une énigme pour moi. J’ai grandi dans un milieu non religieux et je n’ai pas de lien avec l’Eglise. J’ai été impressionnée par le fait que l’Eglise catholique soit si importante pour tant d’habitants et que le couple de lesbiennes ait été aussi bien pris en charge par la communauté villageoise.
Je voulais aussi en savoir plus sur Mgr Huonder et la façon dont il communique avec ses employés.
Avez-vous eu des réponses à ces questions ?
Oui. Wendelin Bucheli raconte comment, de son point de vue, s’est déroulée la conversation avec Mgr Huonder. Il avait l’impression que l’évêque était dans son propre monde et ne l’avait pas considéré durant la discussion.
La personnalité de Wendelin Bucheli m’est également apparue plus clairement. Quelle a été son éducation, quelle était sa façon de penser avant de réaliser la bénédiction. Je sais maintenant pourquoi il est venu à Bürglen depuis le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF).
L’évêque de Coire ne s’exprime pas dans le livre, pourquoi?
J’ai tenté de parler avec Mgr Huonder ou son porte-parole. On m’a répondu qu’ils ne diraient rien à ce sujet. La réponse était accompagnée d’un document PDF contenant la position de la Conférence épiscopale suisse sur la bénédiction des homosexuels.
Mais même si l’évêché avait accepté de vous parler, auriez-vous publié son point de vue?
Absolument! Plus il y a de voix dans une histoire, plus elle devient nuancée et différenciée. Je crois que le diocèse de Coire ne voulait pas remettre de l’huile sur le feu. L’affaire les a déjà placés sous un jour défavorable dans les médias.
L’abbé Bucheli et les deux femmes ont également été très prudentes avec les médias. A vous, ils ont raconté leur histoire en toute franchise. Comment cela a-t-il été possible?
Un livre n’est pas quelque chose que vous pouvez bâcler, vous y investissez toujours beaucoup de temps et d’énergie. Le projet leur a donné l’occasion de se rattraper et de se raconter, même sans référence directe à cette bénédiction. Je leur ai assuré qu’ils pourraient voir les photos et les textes à l’avance. Ils étaient conscients qu’ils pouvaient à tout moment laisser tomber.
Au cours de la collaboration, des choses tellement personnelles sont sorties que je n’étais pas sûre qu’il soit correct de les publier dans un livre.
Les personnes concernées sont-elles satisfaites du résultat?
Toutes trois sont très satisfaites. Elles avaient un grand besoin de raconter l’histoire dans son contexte, en particulier Wendelin Bucheli. Quand je lui ai remis le livre, il m’a dit que c’était une expérience thérapeutique pour lui. Il a le sentiment d’avoir été pris très au sérieux et que l’histoire a ainsi été portée dans un cadre digne d’intérêt et documentée pour la postérité.
«Quelque chose doit changer, pas seulement en Suisse, mais dans le monde entier»
Quelle impression votre travail vous a-t-il donné de l’Eglise catholique en Suisse?
D’une part, Wendelin Bucheli m’a convaincue en tant que personne et en tant que prêtre. J’ai été impressionnée de voir comment l’une des deux femmes qui a grandi à Bürglen vit sa foi et ce qu’elle lui apporte. L’Église catholique l’a accompagnée toute sa vie.
D’autre part, il y a cette attitude hostile de l’Église catholique à l’égard des homosexuels, que je considère comme dangereuse et déconnectée de la réalité.
Avec vos livres, que voulez-vous susciter chez le lecteur?
Je constate un écart entre le traitement des lesbiennes dans la société et ce que prescrit la loi dans ce pays. Même chose pour la situation en Afrique du Sud, que j’aborde dans le deuxième volume de la série. Le pays a été le premier à introduire dans sa Constitution l’égalité des droits pour les homosexuels et les hétérosexuels. Leur réalité est, cependant, complètement différente. En présentant ces problèmes et défis, je souhaite sensibiliser les personnes. Mon message est le suivant: quelque chose doit changer, pas seulement en Suisse, mais dans le monde entier.
Entretenez-vous un lien personnel avec ce sujet?
Je ne suis pas moi-même lesbienne, mais je connais personnellement beaucoup de couples de lesbiennes. Je ne comprends pas pourquoi l’on peut-être traitée différemment, en tant que femme, selon que l’on est engagée avec un homme ou avec une autre femme. Cette inégalité dans notre ordre légal n’a aucun sens à mes yeux. D’autant que la Constitution stipule que tous les êtres humains doivent être traités sur un pied d’égalité et avec la même dignité. (cath.ch/kath/sys/rz)