Père Jean-René Fracheboud à la chapelle du Foyer de Charité de Bex (Photo: B. Hallet)
Suisse

«Nous ne croyons pas au péché, mais au pardon des péchés!»

«Mes plus grandes joies de prêtre, je les ai vécues en lien au sacrement du pardon», lance le Père Jean-René Fracheboud. L’animateur spirituel du Foyer de Charité des Dents-du-Midi, à Bex, raconte à cath.ch sa large expérience de la miséricorde et en quoi cet élément est fondamental pour la foi chrétienne.

Dans votre ministère, où vous accueillez de nombreuses personnes en recherche, comment vivez-vous la miséricorde?

Jean-René Fracheboud: Dans notre foyer, je vis très souvent le sacrement du pardon. Le gens qui viennent ici en retraite, que j’accueille et que j’accompagne, profitent fréquemment de ces circonstances pour vivre le pardon sacramentel. Je crois que mes plus grandes joies de prêtre, je les ai vécues en lien avec ce sacrement du pardon. Parce que je touche le plus profond et le plus abîmé de l’homme, en même temps que le plus génial de Dieu. Et je suis toujours émerveillé de voir des gens qui reprennent vie sous ce regard du Seigneur. C’est très fort lorsqu’ils prennent conscience que les chemins de travers par lesquels ils sont passés ne sont pas inéluctables et qu’ils peuvent continuer à grandir et à naître encore à leur profondeur et à leur vie. C’est toujours bouleversant de toucher du doigt cette action de Dieu dans les cœurs, avec tout ce que ça comporte de paix, de renouveau, de recréation. Et ça se remarque parfois physiquement. Les gens qui arrivent en retraite et qui partent une semaine après sont souvent «recréés», et cela se voit sur leur visage. Au fond, on n’a pas changé le contexte de leur vie, mais il y a eu un chemin qui a permis de jeter un autre regard sur ce qu’ils sont et ce qu’ils ont vécu. J’aime voir le pardon comme une force de recréation. Saint Paul a dit «si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle».

Comment leur faîtes-vous percevoir cette miséricorde de Dieu?

Les gens qui viennent ici ont un désir de vérité, d’authenticité. Ils choisissent de faire cette démarche. Et on prend du temps pour descendre dans la profondeur de l’humain.

Ce que nous proposons est aussi un silence. Ici, les gens ne vivent pas au niveau du paraître. On est ainsi amené à découvrir la partie fragile, vulnérable, blessée de nos vies. Je suis frappé de voir que les gens d’aujourd’hui portent beaucoup de souffrances, de toutes sortes. Ils viennent souvent «déposer» leurs fardeaux, leurs difficultés de vie. Le pardon intervient donc souvent dans le contexte d’une rencontre en vérité. Et nous essayons de faire en sorte, à travers la parole de Dieu, que les gens perçoivent que ce Dieu est fondamentalement un Dieu de miséricorde, qui vient nous rejoindre dans nos faiblesses pour nous ouvrir un avenir de réconciliation, de paix.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans la démarche du pardon?

Certaines personnes qui viennent me voir ont peur du jugement de Dieu. Ils craignent ce jugement, mais souvent se condamnent également eux-mêmes. Si on a une image de Dieu qui punit et qui rend des comptes, on court le risque de s’enfermer dans la culpabilité. J’insiste beaucoup sur le fait que nous ne croyons pas au péché, mais au pardon des péchés. Il y a eu tout de même des «traînées noires» dans le christianisme. Beaucoup de gens ont vécu une forme de religion qui les a culpabilisés, enfermés. Je me demande souvent pourquoi, alors qu’on a la religion du pardon et de la vie, on a été si marqués par cette culpabilisation. J’aimerais réaffirmer que le Christ est contre le mal et le péché, mais farouchement pour le pécheur. Faire cette distinction ouvre des chemins.

Comment, en face de ce genre de personnes, faites-vous le lien entre justice et miséricorde, en particulier à la lumière des écritures saintes?

Le thème de la justice de Dieu est en effet compliqué. Ce mot «justice» a des résonnances assez diverses dans la Bible, suivant certaines étapes de l’histoire du Salut. Les concepts bibliques ont aussi une part d’évolution. Dans l’Ancien Testament, Dieu invite son peuple à vivre dans le droit et la justice, c’est-à-dire, à vivre dans la fidélité de la Loi, de la Torah. Ce peuple se montrera souvent incapable de cette fidélité. Je crois ainsi que la révélation de l’Ancien Testament est celle d’un Dieu qui va aller toujours plus loin dans son offre d’amour et de tendresse.

La justice, dans la Bible, est aussi l’écho de ce Dieu qui intervient, de manière privilégiée pour ceux qui ont subi un préjudice, les petits, les faibles, les victimes du mal.

Et en ce qui concerne le Nouveau Testament?

Dans le Nouveau Testament, l’histoire de l’enfant prodigue est extrêmement révélatrice de la miséricorde de Dieu. Parce que la première réaction de l’enfant prodigue est de se condamner lui-même. «Après ce que j’ai fait, je ne mérite plus d’être appelé ton fils». C’est lui qui ne se donne plus le droit de bénéficier de l’amour du Père, dans un premier temps. Puis il retourne quand même vers son père et là surgit l’inattendu. Lui qui s’attendait au juge, il découvre un père qui lui saute au cou, qui l’embrasse, qui lui fait la fête…

Dans le cheminement personnel de beaucoup, il y a ces deux phases: la première où on se dit: «je ne mérite plus l’amour de Dieu». Dans une deuxième phase, on va cheminer pour redécouvrir que l’amour de Dieu ne se mérite pas, mais s’accueille comme un don. Parfois, nous sommes esclaves d’une forme de «religiosité», nous n’avons pas fait l’expérience d’un Dieu qui est puissance de libération et de don. Alors que je ne crois plus en moi, je découvre que le Dieu de Jésus-Christ continue de croire en moi.

Le concept de miséricorde présente-t-il des «dangers?»

Un des dangers est de tomber dans l’excès inverse, de se dire qu’on a un Dieu bonasse, qui finalement passera l’éponge. Conjuguer la miséricorde et la justice permet de mettre en valeur le sérieux de la démarche, des choix et de ma liberté. Le Christ ne va pas me sauver «en mon absence».

La justice de Dieu c’est le déploiement de sa bienveillance profonde. Il souhaite que je vive dans la justice, mais il est prêt à me rejoindre dans mes pauvretés, dans mes écarts.

Avez-vous en mémoire des épisodes marquants de votre ministère, en rapport à la miséricorde?

Je connais un pasteur protestant dont la fille a été assassinée. J’ai été très touché par son attitude. Il a eu des propos magnifiques au cœur même de cette souffrance inouïe. Il disait: «en tant que pasteur, que prédicateur de l’Evangile, je ne peux pas rester esclave du mal». J’ai été très impressionné par ses propos, selon lesquels: «face au mal radical, il faut proposer un amour radical».

J’ai également connu de belles expériences avec des gens qui sont passés par le divorce, la séparation conjugale. Certains ont fait un chemin assez incroyable par rapport à des blessures terribles. Ils sont arrivés, petit à petit, d’années en années, à pardonner.

J’ai aussi accueilli un certain nombre de Rwandais ayant vécu le génocide de 1994. J’ai été frappé par l’héroïsme de gens qui ont perdu presque toute leur famille et qui ont réussi à ne pas être esclaves de la haine, à continuer à croire au pardon.

C’est là qu’on voit que le pardon n’est pas une faiblesse, mais au contraire une force extraordinaire.

Le pape François a-t-il été bien inspiré en convoquant cette Année sainte?

Absolument. Cela permet de rejoindre quelque chose de fondamental dans le mystère de la foi. La miséricorde ne touche pas aux réalités annexes. Rien que le mot miséricorde est un mot magnifique, c’est la rencontre de la «misère» de l’homme avec le «cœur» de Dieu. Avec ce concept du Dieu sauveur, on touche réellement au cœur de la foi. La miséricorde constitue la trame principale de la révélation de l’Evangile.

Le pape pressent qu’il y a là un enjeu particulièrement important pour le monde d’aujourd’hui, un monde balloté par la souffrance, menacé par beaucoup de choses. On voit bien que l’engrenage du mal conduit au mal et à la mort. Et la seule manière de sortir de cette dérive est le pardon. Ce dernier est également une exigence de la vie ensemble, puisque l’on est un savant mélange de don, de générosité, d’amour et d’égoïsme, d’enfermement…

Et jusqu’ici, dans notre chrétienté, je ne suis pas sûr que l’on ait encore fait une expérience profonde de la découverte de ce Christ miséricordieux. (cath.ch-apic/rz)

Père Jean-René Fracheboud à la chapelle du Foyer de Charité de Bex
7 décembre 2015 | 08:16
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 6  min.
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