Notre-Dame, le chantier qui a (re)mis en lumière de nobles métiers
Dinandier, cordiste, patineur, charpentier… de nombreux métiers, certains connus, d’autres moins, ont participé au renouveau de Notre-Dame de Paris. Coup d’œil sur ces artisans qui ont mis à disposition de l’édifice un savoir-faire parfois ancestral.
Raphaël Zbinden/cath.ch avec Carole Pirker/RTSreligion
«Le chantier de Notre-Dame a permis de former beaucoup de charpentiers qui avaient peu de technique ancienne», assure à Carole Pirker (RTS religion) Mathias Gauthier-Morfoise. Ce dernier est charpentier de l’une des quatre entreprises françaises de la branche mandatées pour la rénovation d’une des plus célèbres églises du monde.
Suite à son incendie en 2019, qui avait provoqué un profond émoi en France et partout sur la planète, les grands moyens ont été mis en œuvre pour donner une seconde vie à l’édifice mythique. La crème des artisans de l’Hexagone a été sélectionnée pour mener à bien les travaux. Notre-Dame sera ainsi officiellement rouverte le 8 décembre lors d’une cérémonie où s’exprimera notamment le président Emmanuel Macron.
Des haches du 12e siècle
Pour ce chantier, d’une portée symbolique et politique capitale, la consigne a été une rénovation «à l’identique». Les divers éléments architecturaux bénéficiant bien sûr d’un nouvel éclat après leur remise à neuf. Les techniques les plus modernes ont été utilisées en parallèle aux plus anciennes, afin de préserver au maximum l’aspect initial du bâtiment. «Notre-Dame a décidé de conserver les méthodes d’autrefois, de travailler avec les techniques ancestrales», confirme à RTS religion Jean-François Buter, coordinateur des sculpteurs.
«Le chantier a remis en lumière ces métiers»
Jean-François Buter
Les charpentiers ont, par exemple, taillé les poutres avec des haches forgées exprès pour le chantier, des répliques de celles ayant servi pour la voûte de l’édifice, au 12e siècle. Un matériel de conception ancienne aucunement synonyme de médiocrité. «Elles [les haches] sont d’extrêmement bonne qualité, elles sont agréables à utiliser, elles ne se désaffûtent pas trop vite», assure un charpentier sur place, fin septembre 2024.
Des sculptures aux petits soins
«Le chantier a remis en lumière ces métiers», souligne Jean-François Buter. Les entreprises se sont constituées en groupement et ont appris à collaborer entre elles pour mener cette restauration. La médiatisation des travaux leur a aussi permis de montrer leur savoir-faire à l’international et d’attirer de nouveaux talents, affirme le journal La Croix (26 novembre 2024).
Jean-François Buter a lui-même coordonné le travail de plus de 50 sculpteurs au plus fort des travaux. Car à l’intérieur ou à l’extérieur de Notre-Dame, les sculptures sont partout. Leurs restaurateurs ont rendu tout leur lustre aux artefacts de pierre ou de métal fragilisés, explique le site Rebâtir Notre-Dame de Paris. Ils ont réalisé différentes interventions, allant du simple dépoussiérage au remodelage de parties entières. Lors de la phase de sécurisation, les restaurateurs de sculptures en métal ont travaillé pendant près de deux ans à rendre aux statues leur forme et leur couleur brune d’origine.
«Une tâche immense, irréalisable sans le soutien de corps de métiers souvent laissés dans l’ombre»
Les patineurs ont été les derniers experts à intervenir dans cette démarche, pour une opération hautement délicate. Ils ont appliqué sur les œuvres en métal un produit chimique au pinceau, avant de chauffer le métal jusqu’à obtention de la nuance souhaitée. La patine a ensuite été fixée avec une fine couche de cire.
La restauration de certains éléments en métal a également bénéficié du savoir-faire de dinandiers. A l’aide de dizaines de marteaux différents, ils ont courbé les feuilles de cuivre, de laiton ou d’argent pour donner forme à des objets uniques, précise Rebâtir Notre-Dame de Paris. Les dinandiers ont œuvré en coordination avec d’autres artisans spécialisés dans le travail du métal, comme les restaurateurs, les serruriers d’art, ou encore les patineurs.
Travailleurs des hauteurs
Une tâche immense, irréalisable sans le soutien de corps de métiers souvent laissés dans l’ombre. On trouve dans cette catégorie les cordistes. Il s’agit de spécialistes de travaux en hauteur et d’accès difficile. Ils le font partout où les échafaudages et les nacelles ne suffisent pas à établir un accès en toute sécurité. Un métier exigeant, qui demande précision, travail d’équipe, analyse des risques et absence de vertige. Notre-Dame de Paris (la flèche) culmine à 96 m.
Sur le chantier, les nacellistes ont aussi été essentiels, au vu des nombreuses opérations ayant eu lieu en hauteur. Lors de la phase de sécurisation qui a suivi l’incendie, les nacelles de grandes dimensions ont permis l’intervention des équipes spécialisées sur les zones les plus sensibles du chantier.
«Les travaux de restauration ont ouvert de nouvelles perspectives sur l’histoire enfouie de Notre-Dame»
Les échafaudeurs ont également été des pièces maîtresses de la sécurisation de la cathédrale. Dans les premiers jours après l’incendie, ils ont mis en place le chantier. Leur tâche a été particulièrement délicate puisqu’ils ont dû s’adapter à un édifice déjà existant sans peser dessus. A l’été 2021, le chantier était sécurisé et prêt à recevoir les premiers restaurateurs. Jusqu’à fin 2023, ils ont élevé progressivement l’échafaudage qui a entouré la flèche, au fur et à mesure de sa construction (600 tonnes et 100 m de haut).
Environ 500 personnes ont été présentes chaque jour sur le chantier et plus de 1000 compagnons et artisans impliqués, en comptant ceux qui ont travaillé hors site pour préparer la restauration, indique le site batirama.com.
Mémoire révélée
Si ces derniers métiers ont eu pour tâche de magnifier le visage de la grande dame, d’autres ont entrepris de révéler sa mémoire. Les archéologues de terrain ont été mobilisés pour que rien de celle-ci ne soit perdu. Leur premier travail après le sinistre a été de trier l’ensemble des vestiges de la charpente et des voûtes, afin de mieux comprendre l’histoire de la construction de la cathédrale, tout en vérifiant si certains vestiges pouvaient être réutilisés dans la restauration, explique Rebâtir Notre-Dame de Paris.
«Notre-Dame a retrouvé son aspect d’origine et elle a toujours son âme» – Pascal Larseneur
Au-delà, le chantier a permis des découvertes archéologiques remarquables. Parmi les principales, deux sarcophages anthropomorphes en plomb, datés du 14e siècle. Ils ont fourni de précieuses informations sur les pratiques funéraires de l’époque. L’un des cercueils pourrait contenir les restes du poète Joachim du Bellay, décédé en 1560.
Les archéologues ont mis au jour des fragments du jubé médiéval, une structure sculptée qui séparait autrefois le chœur des fidèles, détruite au 13e siècle. Plus de 80 sépultures ont été fouillées, certaines contenant des cercueils en bois ou plâtre. Sous le dallage actuel, des traces des phases de construction antérieures de la cathédrale, notamment du 13e siècle, ont été identifiées, témoignant de son évolution architecturale. Les travaux de restauration ont ouvert de nouvelles perspectives sur l’histoire enfouie de cet édifice emblématique, souligne le site Science&Vie.
Notre-Dame a gardé son âme
Même si l’incendie a été une tragédie, il a néanmoins permis à Notre-Dame une forme de renaissance, aussi bien esthétique que mémorielle. Il est certain que les visiteurs découvriront, dès le 8 décembre, un édifice plus magnifique que jamais. «La clarté a changé, on redécouvre le volume plus blanc qu’il ne l’était», assure à RTS religion Mathias Gauthier-Morfoise. «Il y a une nouvelle luminosité, les couleurs sont ravivées», renchérit Pascal Larseneur, référent pour les sculptures. «Il y a comme une lumière spirituelle qui appelle à la méditation, à la prière (…) Notre-Dame a retrouvé son aspect d’origine et elle a toujours son âme», assure-t-il. (cath.ch/rtsreligion/rebatirnotredamedeparis/ag/arch/rz)