«Non, prêtre n'est pas égal à pédophile»
Un atelier, obligatoire, sur la prévention des abus sexuels était organisé lors de la session pastorale du diocèse de Sion, au Foyer franciscain de St-Maurice (VS), du 27 au 29 mars 2019. Regards croisés des participants et intervenants lors d’ateliers «constructifs», où la prise de parole a été marquante.
La salle de conférence s’est vidée. Détendus, deux prêtres échangent des anecdotes. D’autres attendent leur tour pour poser une ultime question à Sophie Pasquier, psychologue et responsable de l’antenne valaisanne de l’association «Espace de soutien et de prévention – Abus sexuels» (ESPAS).
Elle vient d’animer un atelier de trois heures sur la prévention des abus sexuels. Un atelier parmi d’autres qui se sont déroulés lors d’une session pastorale organisée par le diocèse de Sion. Les agents pastoraux, prêtres et laïcs, avaient l’obligation d’y participer.
Marco Tuberoso, responsable prévention et psychologue à ESPAS, a animé cinq demi-journées consacrées à ce thème avec Sophie Pasquier. «Voilà douze ans que je travaille dans le domaine de la prévention d’abus sexuels, dont six avec l’Eglise catholique; je n’ai jamais vécu d’atelier aussi participatif, avec autant de questions, d’interpellations et d’interrogations», dit-il. Les témoignages des participants, toutes catégories confondues, recoupent l’impression des deux experts d’ESPAS.
Protéger les enfants et les adultes
«Je me disais qu’on allait nous faire la morale, se focaliser sur les prêtres et sur nous, explique Stéphanie, animatrice pastorale dans le secteur de Sierre. Pas du tout! Cet atelier a pris une tournure très constructive et on a vécu un vrai partage: hommes, femmes, laïcs et prêtres». «Je redoutais des tensions, et puis non. L’atmosphère était très détendue et les prêtres ont beaucoup participé et pris la parole», renchérit Sandrine Mayoraz, agent pastoral dans le secteur de Monthey. «Utile, intéressant» reviennent le plus souvent dans les témoignages recueillis à la sortie de l’atelier.
En effet très concret, l’exposé a donné des outils permettant de poser des limites dans le cadre d’activités pastorales avec les jeunes. Définir en termes simples ce qui était admissible, ce qui devenait ambigu et ce qui relevait clairement du code pénal. Ces «zones verte, grise et rouge», une fois définies, ont permis aux uns et aux autres de poser des questions et de partager leur expérience. «A charge pour les agents pastoraux de définir leurs propres règles à l’intérieur de ce cadre et en fonction des valeurs qu’ils défendent», explique Marco Tuberoso.
Clarifier le cadre
«’Est-ce que j’ai le droit d’être seul avec un enfant?’, a demandé un prêtre. Nous ne sommes pas là pour donner une réponse à cette question. Mais pour les amener à réfléchir à la meilleure manière de fonctionner avec des enfants, de les protéger et de protéger les adultes», précise Marco Tuberoso.
«La philosophie du cours prône la prudence dans le cadre de nos activités avec les jeunes sans pour autant voir le mal partout. C’est une très bonne chose», indique l’abbé David Roduit, curé de St Léonard et Uvrier. «Cela fait du bien de revoir ces notions, surtout dans le contexte que traverse l’Eglise actuellement», ajoute celui qui est aussi aumônier à l’Ecole de commerce de Sion et qui encadre des camps avec des jeunes.
Age de la majorité sexuelle, obligation de dénoncer des faits relevant du code pénal, les participants ont également passé en revue les différents aspects du cadre légal dans lequel ils seraient éventuellement amenés à intervenir. «›Nul n’est censé ignorer la loi…’, En fait, j’ignorais beaucoup la loi. Ce type de conférence nous replace aussi en tant que citoyens avec les devoirs qui nous incombent vis-à-vis des abus sexuels, que ce soit en Eglise ou dans la société», reconnaît Sandrine Mayoraz.
Flot de questions
Assez rapidement, les témoignages et les réactions fusent, sollicités par l’animatrice. «J’ai senti beaucoup de souffrance de la part des prêtres présents. A travers leurs nombreuses questions, j’ai pris conscience qu’ils vivent en ce moment quelque chose de compliqué», relève Stéphanie. Parfois très simples, des interpellations et des questions traduisent l’indicible malaise qu’éprouvent beaucoup de religieux en présence d’enfants. Après une pause de quinze minutes, le flot des questions et des interventions a repris.
A tel point que Sophie Pasquier a dû mettre un terme aux échanges pour aborder le deuxième volet de l’atelier: les bons réflexes à adopter en cas de soupçon d’abus sexuel et dans le cas où une personne se confierait sur un abus sexuel dont elle est, ou a été victime. Comment accueillir un témoignage douloureux? Surtout, ne pas rester seul avec cette parole. Des conseils très pragmatiques ont été donnés pour relayer le témoignage.
Secret de la confession
Dans le sillage de cette réflexion s’est posée la délicate question du secret de la confession, absolu et inviolable. Le contrevenant risque l’excommunication. Dans pareille situation, ainsi que pour des crimes tout aussi graves, les prêtres ne peuvent qu’encourager l’auteur d’un abus à se dénoncer. «Je leur ai demandé comment ils pouvaient, après avoir entendu cela, aller souper tranquillement en sachant tout ce que l’auteur avait commis et qu’il allait peut-être commettre à nouveau», confie Marco Tuberoso. Sur ce point, il pense que l’Eglise va devoir évoluer. «J’ai vraiment eu le sentiment dans ces échanges que les prêtres avaient mal à leur secret de la confession».
Le psychologue dresse un bilan positif de ces trois jours de formation. Il a dû redire aux prêtres et religieux, presque les convaincre, que non, prêtre n’est pas égal à pédophile. «Ils n’en peuvent plus. La pression est telle qu’ils ne pensent plus qu’à se protéger. Ils en perdent toute spontanéité dans leurs activités avec les enfants. Nous sommes au point où nous devons leur redonner confiance».
Contacts adéquats entre enfants et adultes doivent perdurer en Eglise comme dans les autres institutions, prône le psychologue d’ESPAS. «De ce que je connais, je peux affirmer que l’Eglise en Suisse romande est nettement en avance en termes de prévention d’abus sexuels. Loin devant les autres institutions».
«Cet atelier est une bonne initiative du diocèse: pour tout le monde. Nous sommes tous concernés. C’est courageux de la part de notre évêque: d’abord d’avoir pris cette initiative, et ensuite de l’avoir rendue obligatoire», assure Sandrine Mayoraz. (cath.ch/bh)