Le pape Pie XII donne sa bénédiction de la loggia de la basilique St-Pierre | domaine public
Vatican

Noël au Vatican: les trois messages de Pie XII

Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, alors que le monde découvre avec effarement l’extermination systématique des Juifs, le discours du pape Pie XII (1939-1958) de Noël 1942 est souvent cité, les uns pour critiquer son «silence», les autres pour en souligner la portée.

Mais ce faisant, on oublie souvent que le pape Pacelli prononça en réalité plusieurs discours, trois années de suite, au moment de Noël. C’est ce que rappelle notamment le journaliste Andrea Tornielli dans sa biographie de Pie XII, parue en 2009 chez Artège.

Nécessaire victoire sur la haine

Il y eut d’abord le 24 décembre 1940, au début de la guerre, où le pontife tient un discours très critique du nazisme devant les cardinaux. Il y affirme la nécessité de distinguer «la vérité des apparences trompeuses», afin d’éviter «le péril de concevoir et former cet ordre nouveau comme un mécanisme (…) imposé par la force, un ordre sans sincérité, sans plein consentement, sans joie, sans paix, sans dignité, sans valeur».

Plus loin, le pape évoque la nécessaire «victoire sur la haine», sur la «propagande effrénée», sur la défiance envers le droit international et le respect des pactes. Il cite également nommément le drame des Juifs, parlant des «réfugiés de souche sémite».

La précision de ses critiques, Pie XII la puise dans sa connaissance de l’Allemagne au temps de la montée du nazisme, puisqu’il fut nonce dans ce pays, puis secrétaire d’Etat. Il travailla notamment pour Pie XI à la lettre de condamnation du nazisme : Mit brennender Sorge (au milieu des sollicitudes).

«Nous ne pouvons fermer les yeux»

L’année suivante, à Noël 1941, le Souverain pontife lit au monde entier un message radiodiffusé, dans lequel il parle des terribles affrontements survenus cette année-là. «L’idée de la force étouffe et pervertit la norme du droit», explique-t-il : «permettez à toutes les autres destructions morales de troubler elles aussi l’atmosphère civile et d’y allumer la tempête, et vous verrez les notions de bien et de mal, de droit et d’injustice, perdre leurs contours tranchants, s’émousser, se confondre et menacer de disparaître».

«Nous ne pouvons fermer les yeux», souligne encore le pape, cherchant les racines profondes du mal : «qui pourra s’étonner aujourd’hui si une telle opposition radicale aux principes de doctrine chrétienne en arriva enfin à se transformer en un choc violent de tensions internes et externes, au point de conduire à une extermination de vies humaines».

Faible écho

Les mots sont clairs. Ils ne seront pas forcément entendus, comme le dira le délégué apostolique à Londres dans une lettre au cardinal Luigi Maglione, alors secrétaire d’Etat : «le périodique The Tablet a exprimé son regret que le discours de Sa Sainteté ait eu un aussi faible écho dans ce pays», même si la presse y a vu une «attaque contre Hitler».

Le fameux message radiodiffusé du 24 décembre 1942 se situe ainsi dans le prolongement de celui de l’an passé. Pie XII y réaffirme sa volonté de «proclamer à la face du monde entier les règles fondamentales inviolables» de l’ordre naturel et surnaturel, sur lesquels repose «la solidité de tout nouvel ordre national et international».

Plus loin, le pontife dénonce «la conception qui revendique pour certaines nations ou pour des branches ethniques ou des classes, leur instinct érigé en droit comme impératif souverain».

Action des catholiques

Pie XII incite également les catholiques à agir, comparant le combat actuel aux «anciens Croisés», qui alors voulaient «délivrer la terre sanctifiée par la vie du Verbe de Dieu». «Il s’agit aujourd’hui, affirme le pape, d’une nouvelle traversée, bravant la mer des erreurs du jour pour délivrer la terre sainte spirituelle, destinée à être le soutien et le fondement de normes et de lois immuables pour des constructions sociales d’une solide consistance interne».

Et le pape termine son long discours par cette pointe qui signale les «centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une progressive extinction».

Allusion claire au peuple d’Israël, qui répond ainsi à trois mois de démarches pressantes des Anglo-Saxons, ainsi que le pape l›a dit lui-même au représentant américain. Mais certains ne l’ont pas jugé ainsi. Sur le moment, déjà, des diplomates ainsi qu’un jésuite américain de Radio Vatican le trouve trop distancié.

«Le Vicaire de Dieu ne devrait jamais parler !»

Les Allemands et leurs acolytes, en revanche, ont parfaitement compris le message. Mussolini affirme ainsi que «le Vicaire de Dieu ne devrait jamais parler (…). Son discours est un tissu de lieux communs». Le chef des services de sécurité SS, Reinhard Heydrich, écrit de son côté que «de façon sans précédent, le Pape a répudié le nouvel ordre européen national-socialiste». Et en 1943, l’Allemagne menace le Vatican de «représailles physiques».

Enfin, de l’autre côté de l’Atlantique, le New-York Times écrit dans son éditorial, le 25 décembre 1942 : «la voix de Pie XII est bien seule dans le silence et l’obscurité qui enveloppe l’Europe ce Noël… Il est à peu près le seul dirigeant restant sur le continent européen qui ose tout simplement élever l a voix».

Ces appréciations seront reprises après la guerre par un certain nombre de Juifs eux-mêmes, reconnaissants à Pie XII le mérite d’avoir sauvé concrètement plusieurs dizaines de milliers de Juifs. Au moment de la mort du pape en 1958, le ministre des Affaires étrangères d’Israël, Golda Meir, écrivit : «quand le martyre le plus épouvantable a frappé notre peuple, durant les dix années de terreur du nazisme, la voix du Souverain Pontife s’est élevée en faveur des victimes. Nous pleurons la mort d’un grand serviteur de la paix». (cath.ch/imedia)


Les voix critiques

Les débats autour des «silences du pape Pie XII», vont ternir la réputation du pontife à partir des années 60. Une pièce de théâtre, Le Vicaire, de Rolph Hochhuth, écrivain et dramaturge allemand, remet en cause les silences du pontife concernant l’extermination des Juifs pendant la seconde guerre mondiale. Une polémique relancée après celle qui a vu le jour dès 1939.

En 1939, le pape n’a pas condamné l’invasion de la Pologne, pas plus que celle de la Tchécoslovaquie ni le pacte germano-soviétique du 23 août. Le philosophe français Emmanuel Mounier, dénonce au mois de mai les «silences de Pie XII». Malgré la pression des alliés, le pontife ne condamnera pas explicitement les exactions des nazis avant la fin de la guerre.

Jacques Maritain, ambassadeur français auprès du Saint-Siège et intellectuel catholique, s’est ému de la position trop neutre du pape. François Mauriac s’est quant à lui adressé directement au pape, lui reprochant dans un courrier de ne pas avoir eu «la consolation d’entendre le successeur du Galiléen, Simon-Pierre, condamner clairement, nettement et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables ‘frères du Seigneur’». L’historien de l’antisémitisme Léon Poliakov reproche dans son ouvrage Le bréviaire de la haine, paru en 1951, à Pie XII son silence sur la barbarie nazie.

Neutralité, prudence, moyens d’action trop restreints? La question sur l’attitude de Pie XII face à la Shoa, qui fait toujours débat, sera peut-être tranchée à l’ouverture des archives du Vatican concernant cette période. Le cardinal Jorge Bergoglio affirmait en 2010, dans le livre d’entretien Sur la terre comme au ciel, rédigé par le rabbin argentin Abraham Skoka: «Qu’on ouvre les archives et que tout soit tiré au clair». Devenu pape, va-t-il procéder à l’ouverture des archives? Cela permettrait sans doute de clore un débat vieux de près de 80 ans. (cath.ch/bh)

Le pape Pie XII donne sa bénédiction de la loggia de la basilique St-Pierre | domaine public
30 décembre 2016 | 12:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 5  min.
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