Noël Ruffieux: retrouver la communion «pour réparer la maison de Dieu»
Face aux scandales des abus, aux dérives du pouvoir, aux scissions doctrinales ou aux ruptures de communion, les Eglises, toutes confessions confondues, ont vraiment besoin d’un ministère d’indignation et d’objection, lance Noël Ruffieux, mais «l’indignation ne suffit pas, il faut reconstruire!»
Un tel ministère traverse l’histoire – des prophètes de l’Ancien Testament aux apôtres à la suite de Jésus, sans oublier certains Pères de l’Eglise – et dans ces temps difficiles pour les Eglises, les chrétiens sont blessés. Mais l’indignation, dont le pamphlétaire catholique Léon Bloy n’hésitait pas à faire un nom de Dieu, «ne sert à rien si l’on n’en fait rien…», assène le laïc orthodoxe fribourgeois.
Dans son nouveau livre (*) à paraître en juin 2020 sous le titre «Réparer la maison de Dieu – Pour la communion dans l’Eglise», Noël Ruffieux veut apporter sa modeste contribution pour colmater les brèches dans l’Eglise du Christ, pour que l’indignation ne soit pas infructueuse. Mais pour lui, cela ne suffit pas: «il faut également se réparer soi-même !»
«Les communautés chrétiennes pratiquent si peu la communion»
Ce partisan convaincu de l’œcuménisme, qui nous reçoit dans la verdure foisonnante de sa maison de Courtaman, nous présente son nouveau livre. Sa couverture est tout un programme: elle reproduit un tableau de Giotto, L’avertissement du crucifix de San Damiano, représentant François d’Assise à genoux devant cette icône, interpellé par le Christ lui-même, qui lui demande de «rebâtir sa maison en ruines», faisant allusion à l’Eglise de Rome.
Il faut redynamiser ce qui fait le ciment de l’Eglise du Christ, la communion, «seule capable d’en faire une Fraternité en Christ»
Dans son ouvrage, Noël Ruffieux plaide pour dépasser les infidélités et les divisions des Eglises et pour redynamiser ce qui fait le ciment de l’Eglise du Christ, la communion, «seule capable d’en faire une Fraternité en Christ». Le Fribourgeois, catholique de naissance qui a choisi de rejoindre l’Eglise orthodoxe en 1981 après un long cheminement intellectuel et spirituel, est engagé depuis des décennies dans le dialogue pour l’unité des chrétiens. Il a cofondé dans cet esprit la première paroisse orthodoxe de Fribourg en 1982 avec des frères et sœurs orthodoxes venus d’une dizaine de juridictions.
Mais pour «réparer l’Eglise», les chrétiens doivent effectivement surmonter leur découragement, écrit Noël Ruffieux. Ils ne pourront le faire, affirme-t-il, que si l’institution et ses autorités leur font confiance et acceptent d’engager avec eux le débat sur des questions disputées telles que l’ordination à la prêtrise d’hommes mariés, l’accès des femmes aux ministères ordonnés, ou le rôle des évêques et la création de diocèses à dimensions humaines, la pratique synodale à tous les niveaux ecclésiaux.
«On se couvre de titres et de mitres»
Tout en reconnaissant que si l’Eglise n’est pas une institution démocratique, «elle n’est cependant pas non plus une monarchie absolue; elle est tout de même l’assemblée du peuple de Dieu», insiste-t-il. «Les fidèles sont aussi complices, car ils ne remettent pas en cause ce système vertical, hiérarchique, où on se dissimule derrière un masque, derrière une fonction, où on se couvre de titres et de mitres…, alors que la synodalité est dans l’essence même de l’Eglise. Ce n’est pas une revendication contemporaine créée ex nihilo!».
Et de déplorer que trop souvent «on se bagarre comme dans une cour de récréation pour des enjeux qui n’appartiennent pas à l’être de l’Eglise», en citant les idéologies nationalistes qui divisent profondément les chrétiens, par exemple en ce moment en Ukraine ou au Monténégro.
Episcope et synodalité
Tout en prônant la synodalité, Noël Ruffieux ne nie pas l’autorité de l’évêque, de l’épiscope [chargé, dans les premiers temps du christianisme, de surveiller et de protéger la communauté contre les dangers et les dérives, ndlr] ou de l’higoumène, celui qui marche devant, le guide, celui qui prend des risques pour que sa petite troupe trouve le bon chemin à travers les obstacles et les pièges…
«La vie chrétienne se vit d’abord ‘à ras des pâquerettes’, en famille, en petits groupes, mais surtout en paroisse»
Noël Ruffieux, qui se dit un «inconditionnel de la paroisse», veut montrer dans son ouvrage que même si les signes de leur mort annoncée ne manquent pas, on n’a pas encore signé le certificat de décès des paroisses.
Plaidoyer pour la paroisse
Pour lui, loin des bagarres de théologiens et des querelles de pouvoir, la vie chrétienne se vit d’abord «à ras des pâquerettes, en famille, en petits groupes, mais surtout en paroisse, qui est la vitrine de l’Eglise, par laquelle la plupart des chrétiens y sont venus».
Sans l’eucharistie, la paroisse ne serait qu’une société parmi d’autres, «mais une eucharistie sans communauté n’a pas de sens!» Malgré la baisse de pratique dominicale, Noël Ruffieux conclut que la pénurie de prêtres ne justifie pas la condamnation de paroisses, de communautés locales, au silence et à l’absence, «car là où est la communauté réunie dans l’eucharistie, là est l’Eglise!»
(*) Réparer la maison de Dieu – Pour la communion dans l’Eglise, Editions Médiaspaul, Paris, juin 2020
La paroisse, lieu de communion
Ce livre de 180 pages, rédigé à la demande des Editions Médiaspaul, fait suite à un éditorial publié par Noël Ruffieux dans le bulletin œcuménique «Chrétiens en Marche», publié par le Centre Saint Irénée, à Lyon, intitulé «La paroisse, lieu de communion». L’auteur s’indigne «que dans nos communautés chrétiennes nous pratiquions si peu cette communion qui nous fait vivre ensemble». Pour le Fribourgeois, la paroisse reste le lieu privilégié de cette expérience.
Une longue expérience de vie dans l’Eglise
Son livre, qui n’est pas une réflexion ecclésiologique théorique mais reflète une longue expérience de vie dans l’Eglise du Christ, côté catholique et côté orthodoxe, en propose des clés de compréhension et de revitalisation en valorisant ses ressources pastorales.Noël Ruffieux fut responsable de la paroisse orthodoxe de Fribourg en tant que responsable laïc jusqu’en 2003. Pendant vingt ans, il a présidé la Commission œcuménique de Fribourg et environs. De 2004 à 2019, il a donné un cours sur la diaspora orthodoxe à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Il écrit pour plusieurs revues chrétiennes et réalise des émissions religieuses pour Radio Fribourg, anime des groupes bibliques et collabore avec la paroisse catholique fribourgeoise de Barberêche-Courtepin. JB