Nicolas Betticher : «Je ne peux plus accepter la dissimulation»
Dans une lettre adressée au Vatican, Nicolas Betticher a dénoncé de graves manquements des évêques et de prêtres suisses dans le cadre du traitement de cas d’abus sexuels. «Je pense aux victimes. Car il s’agit d’elles et non des ministres», explique-t-il. Il demande que le droit canonique soit enfin appliqué et que cesse la «dissimulation délibérée».
Annalena Müller kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
Avez-vous transmis la lettre au SonntagsBlick?
Nicolas Betticher: Non, j’ai toujours respecté le secret professionnel. La lettre est une communication interne au Vatican concernant des abus au sein de l’Eglise en Suisse qui doivent faire l’objet d’une enquête. Je prends acte du fait que ma lettre interne a trouvé le chemin des médias. Comme elle a été rendue publique, je prends naturellement position à ce sujet.
»Nous avons tous, moi y compris, commis des erreurs»
Pourquoi avez-vous rédigé cette lettre?
Je voulais qu’en tant qu’Église, nous ne fassions pas seulement un travail historique – l’étude préliminaire paraît en effet le 12 septembre 2023 et elle est très, très importante. Mais il est également important que nous travaillions sur le plan du droit de l’Eglise. L’étude historique ne peut pas le faire, ou plutôt, ce n’est pas sa tâche. Prendre ses responsabilités, tirer les conséquences et retirer les auteurs d’abus du service de l’Église, c’est notre devoir en tant qu’Église. Ma demande est que nous le fassions aussi.
Vous avez été vicaire général du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg jusqu’en 2011. Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressé bien plus tôt au Vatican avec vos connaissances?
Nous avons tous, moi y compris, commis des erreurs. Nous devons aujourd’hui assumer le fait que nous n’avons pas travaillé proprement pendant longtemps. J’ai longtemps observé et vu que rien ne se passait. C’est pourquoi, comme le pape le demande explicitement aux prêtres dans «Vos Estis», j’ai informé le Saint-Siège.
Que dit votre lettre au Vatican?
J’ai informé le Vatican de tous les cas d’abus dont j’avais connaissance. Dans ma lettre, tous les cas sont listés avec des questions. Celles-ci doivent aider le juge d’instruction à découvrir la vérité.
»Dans les procédures extraordinaires, on n’entend souvent que l’inculpé»
Dans quelle mesure ?
Par exemple: je suis au courant du cas XY. Est-ce qu’une enquête préliminaire a été menée ici ? Une procédure a-t-elle été engagée ? Quels en ont été les résultats ? Y a-t-il eu un jugement ? Cela doit aider le juge d’instruction à trouver la vérité. Et ensuite, on espère qu’il y aura une procédure ordinaire.
A quoi ressemblerait une telle procédure ordinaire?
Selon le droit canonique, cela signifierait : on entend tout le monde – et pas seulement l’auteur présumé. Dans les procédures extraordinaires, on n’entend souvent que l’inculpé. Par le passé, cela a conduit à l’abandon de nombreuses procédures. Seule une procédure ordinaire peut faire éclater la vérité au grand jour – et soit confondre un prévenu, soit le disculper.
»Jusqu’à aujourd’hui, les personnes concernées constatent régulièrement que leurs signalements restent sans conséquences pour les auteurs»
Qu’est-ce qui vous motive personnellement?
Je pense aux victimes. Car il s’agit d’elles et non des ministres. Les ministres ont échoué. Moi aussi, à l’époque, en tant que vicaire général et official. Je l’assume. Mais aujourd’hui, quinze ans plus tard, je ne peux plus accepter que l’on continue ainsi. J’ai de nombreux entretiens avec des personnes concernées. Aujourd’hui encore, elles constatent régulièrement que leurs signalements restent sans conséquence pour les auteurs. C’est grave.
Avez-vous également informé les chercheurs de l’université de Zurich de ces accusations?
Oui, je leur ai donné toutes les informations. Ils les traitent sur le plan historique et Joseph Bonnemain, qui a été désigné par le Vatican comme enquêteur spécial, les traite sur le plan juridique. C’est important. Parallèlement à l’enquête historique, nous avons également besoin d’une enquête juridique. En tant qu’Eglise, nous avons longtemps été trop lents. Nous devons maintenant agir.
Pourquoi l’Eglise n’est-elle pas plus active?
Je ne comprends pas non plus. Même aujourd’hui, alors qu’il existe des commissions dans chaque diocèse, on fait souvent peu de choses. On se contente de transmettre les cas signalés au parquet. Et lorsque celui-ci déclare que le cas est prescrit, on l’archive encore aujourd’hui dans les diocèses. Pourtant, le droit canonique permet de lever la prescription. Pourquoi ne le fait-on pas? Parce que l’on découvrirait alors peut-être des vérités que l’on ne veut pas connaître. Et c’est une sorte de dissimulation qui est faite sciemment. Et ça, je ne peux plus l’accepter. (cath.ch/kath.ch/am/mp)
* Nicolas Betticher (61 ans) a été porte-parole de la Conférence des évêques suisses de 1995 à 2000. Puis chancelier du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg en 2001. Ordonné prêtre en 2007 après 20 ans de service en Eglise, il a été nommé vicaire général par Mgr Bernard Genoud en 2009. Après le décès de l’évêque et la prise de fonction de Mgr Charles Morerod, Nicolas Betticher est parti à Berne comme secrétaire de la nonciature. Depuis 2015, il est curé et responsable de la paroisse de Frère Nicolas à Berne. Il est en outre juge au tribunal interdiocésain.
Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.