Nicodème Schnabel évoque la souffrance des chrétiens en Terre Sainte
On connait tous la situation dramatique de Gaza – près de 36’000 morts, une majorité d’enfants et de femmes, et parmi eux 34 chrétiens – mais il existe aussi «une souffrance invisible», comme la qualifie le patriarche latin de Jérusalem, celle des quelque 50’000 chrétiens vivant en Cisjordanie occupée et à Jérusalem Est. Témoignage de Nicodème Schnabel, Abbé de l’Abbaye bénédictine de la Dormition à Jérusalem.
Jacques Berset, pour cath.ch
Le bénédictin d’origine allemande, qui participait le dimanche 26 mai 2024 au traditionnel pèlerinage de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Église en Détresse (ACN)» à l’abbaye bénédictine Notre-Dame des Ermites à Einsiedeln, a accordé une interview à cath.ch. «La situation de Gaza est comme un Vendredi Saint, très visible, mais la réalité des Territoires palestiniens occupés, dont Jérusalem-Est, est comme un Samedi Saint, une situation d’attente entre le Vendredi Saint et Pâques», illustre l’Abbé de ce monastère germanophone situé sur le Mont Sion, à Jérusalem.
«Ce sont les chrétiens les plus touchés, car les plus vulnérables»
Dans cette situation de crise généralisée, «ce sont les chrétiens les plus touchés, ce sont les plus vulnérables, car ils vivent essentiellement des activités liées aux pèlerinages et au tourisme: à part les événements liturgiques, il n’y a pas eu pour eux de Noël et de Pâques: les hôtels sont restés vides. Hôteliers, restaurateurs, guides, chauffeurs de bus, employés des ateliers de sculptures et des boutiques de souvenir n’ont plus de revenus, c’est une véritable catastrophe qui les frappe. Des familles qui le peuvent choisissent de partir, ils ne voient pas de perspectives d’avenir…» Même si la situation économique générale est sinistrée, les juifs et les musulmans, par contre, sont actifs dans d’autres secteurs économiques moins touchés.
Arrêt presque total du secteur touristique
Les licenciements massifs, l’arrêt presque total du secteur touristique et les restrictions sévères de mouvements dans les Territoires palestiniens occupés par Israël ont eu pour conséquence que de nombreuses familles chrétiennes ont totalement perdu leurs sources de revenus et luttent désormais pour survivre. L’Eglise, notamment par le biais de Caritas Jérusalem, tente de leur venir en aide en priorité en matière de soins médicaux, de bons alimentaires ainsi qu’avec un soutien pour assurer leur subsistance, notamment pour le paiement des loyers et des factures d’eau et d’électricité. Des centaines de chrétiens ont dû fuir en raison de la guerre. Des logements leur sont désormais proposés, principalement dans des monastères, des auberges de pèlerins et d’autres institutions ecclésiastiques.
Tous les monastères et les maisons religieuses souffrent gravement de cette situation catastrophique, note l’Abbé bénédictin, qui est également en charge du monastère bénédictin de Tabgha, sur les rives du lac de Tibériade.
«Si nous les licencions, nous en ferions immédiatement des mendiants, eux et leurs familles!»
«C’est un grand défi pour nous, qui employons une trentaine de collaborateurs locaux, venant essentiellement de Bethléem. Nous avons décidé de les garder, même s’il n’y a plus de travail pour eux. Si nous les licencions, nous en ferions immédiatement des mendiants, eux et leurs familles! De plus, avec un nouveau règlement israélien, ces employés doivent quitter le couvent avant 17h chaque jour, ils n’ont plus le droit de rester pour la nuit au couvent… Je dis à mes collaborateurs: je suis avec vous, je veux donner de l’espoir».
Mais reste que l’Abbé reconnaît que la situation actuelle paraît sans issue: «je ne connais personne autour de moi qui n’a pas un parent touché, blessé ou disparu depuis les événements du 7 octobre dernier (attaque du Hamas contre Israël depuis la bande de Gaza, ndlr). Mais je veux que notre monastère soit un îlot d’espérance dans cet océan de souffrance!»
La haine des non juifs augmente dangereusement
L’Abbé Nicodème Schnabel le constate: la haine des non juifs augmente dangereusement. La presse s’est fait l’écho des nombreuses fois où le religieux, qui se déplace dans les rues de Jérusalem vêtu de son habit religieux et portant une croix sur sa poitrine, a été agressé par des extrémistes juifs qui lui ont craché dessus. Les actes de vandalisme visant les institutions religieuses chrétiennes, les tombes des cimetières, les croix, sont légion, sans que l’Etat israélien n’agisse efficacement contre ces agressions.
Mais l’Abbé, qui défend le caractère universel de Jérusalem, se veut nuancé: il refuse que l’on qualifie globalement les tensions actuelles de conflits religieux entre juifs et chrétiens ou musulmans, ou entre religieux et laïcs, entre Israéliens et Palestiniens.
«Je n’ai jamais eu autant d’amis – juifs, musulmans, chrétiens – qui refusent de haïr!»
Pas question de voir les choses en noir et blanc, même s’il relève que Jérusalem est loin de l’image de «paradis pour les chrétiens»: «J’aime Jérusalem dans sa diversité, pas comme les gens du Hamas, qui aimeraient en faire une ville musulmane, ou les extrémistes juifs qui voudraient la ville exclusivement pour eux, qui distillent la haine des chrétiens. Je n’ai jamais eu autant d’amis depuis le 7 octobre – des amis juifs, musulmans, chrétiens – qui refusent de haïr! J’ai des amis à Tel Aviv, à Haïfa, partout dans le pays, qui ont un autre avis que le gouvernement actuel, qui rejettent les visées extrémistes de gens comme Smotrich ou Ben-Gvir. C’est un conflit entre ceux qui veulent une vie séparée et les autres, qui veulent vivre ensemble. Les juifs israéliens doivent pouvoir trouver la sécurité et les Palestiniens la liberté!» (cath.ch/be)
[Bezalel Smotrich, ministre des Finances et ministre au ministère de la Défense israélien, suprémaciste juif d’extrême droite dirigeant du Mafdal-Sionisme religieux, et Itamar Ben-Gvir dirigeant du parti Force juive, extrémiste de la droite radicale, ministre israélien de la Sécurité nationale, tous deux dans la coalition du premier ministre Netanyahou, ndlr.]
Afin de pouvoir apporter une aide aux chrétiens de cette région affectés par la crise, ACN a demandé un soutien à l’occasion du pèlerinage à l’Abbaye d’Einsiedeln qui a été suivi d’un podium très fréquenté sur le thème «Terre Sainte – Chrétiens entre les fronts: changement dans la société et dans l’Eglise», une table ronde modérée par la journaliste Susanne Brunner, responsable des programmes étrangers à la radio SRF avec la participation de l’Abbé Nicodème Schnabel et du religieux rédemptoriste irakien Paulus Sati, évêque de l’éparchie catholique chaldéenne du Caire. ACN vient en aide aux personnes qui souffrent en Terre Sainte par le biais de divers projets – ces derniers mois pour un total de CHF 700’000. JB