«Ne pas promouvoir de vocations locales est un suicide», affirme le pape dans la Civiltà cattolica
Dans la perspective du prochain synode sur les jeunes et les vocations, le Souverain pontife affirme que les vocations existent, et que ne pas les promouvoir au plan local est un «suicide». La Civiltà Cattolica a publié le 24 novembre 2016 le dialogue du pape François avec les jésuites réunis récemment pour leur 36e congrégation générale.
Le 24 octobre dernier, le pape François s’était rendu à la Maison généralice de la Compagnie de Jésus, non loin du Vatican, pour y tenir un discours aux jésuites réunis en congrégation générale. La revue Civiltà cattolica a diffusé un mois plus tard les réponses du pape formulées sur un mode familier, lors d’un entretien en marge de l’événement. En voici les principaux extraits:
Crise des vocations
«Je crois que les vocations existent, mais il faut simplement savoir comment elles sont proposées et quelles attentions elles reçoivent. Si le prêtre est toujours pressé, s’il est immergé dans mille questions administratives, (…) il est évident que nous n’aurons pas de vocations». »Ne pas promouvoir de vocations locales est un suicide, cela signifie ni plus ni moins stériliser l’Eglise», c’est une «ligature des tubes ecclésiaux. C’est empêcher que cette mère ait des enfants. Et cela est grave». «Les réunions de routine n’ont plus beaucoup de sens, elles ne sont pas fécondes. Il faut lancer les jeunes dans des activités de type missionnaire, catéchétique, ou de type social. Cela fait beaucoup de bien».
«Le cléricalisme ne laisse pas croître la force du baptême.»
Cléricalisme et pauvreté
«Saint Ignace disait que la pauvreté est mère et mur. La pauvreté génère, elle est ainsi mère, elle génère la vie spirituelle, la vie sainte, la vie apostolique. Et elle est un mur, parce qu’elle défend. Combien de désastres ecclésiaux ont commencé par manque de pauvreté». »Le cléricalisme, qui est un des maux les plus sérieux de l’Eglise, se détourne de la pauvreté. Le cléricalisme est riche. Et s’il n’est pas riche en argent, il l’est dans la superbe».
Piété populaire
«En Amérique latine, l’unique chose qui a été plus ou moins sauvée du cléricalisme est la piété populaire. Le cléricalisme ne laisse pas croître la force du baptême. C’est la grâce du baptême de posséder la force et la grâce évangélisatrice de l’expression missionnaire. Et le cléricalisme discipline mal cette grâce et il induit des dépendances qui maintiennent parfois des peuples entiers dans un fort état d’immaturité».
Le discernement des situations morales
«En fait, nous risquons de nous habituer au ‘noir ou blanc’ et à ce qui est légal, et aujourd’hui dans un certain nombre de séminaires, est de retour une rigidité qui n’est pas propice à un discernement des situations. Et c’est une chose dangereuse, car elle peut nous conduire à une conception de la morale qui a un sens casuistique».
De nos jours, «la théologie morale a fait beaucoup de progrès dans sa pensée et dans sa maturité; il n’y a plus de casuistique. Dans le domaine de la morale, nous devons aller de l’avant sans tomber dans le situationnisme ; mais d’autre part, on se rend compte qu’il y de grandes richesses dans la notion de discernement; et ceci est précisément la grande tradition scolastique» de saint Thomas et saint Bonaventure, qui prétendent que «le principe général vaut pour tous, mais – dans la mesure où il descend dans les détails, la question se diversifie et prend des nuances, sans que le principe doive changer. Cette méthode scolastique a sa validité. C’est la méthode morale utilisée par le Catéchisme de l’Église catholique. Et c’est la méthode qui est utilisée dans la dernière exhortation apostolique, Amoris laetitia, après un discernement de toute l’Église à travers les deux synodes. La morale utilisée dans Amoris laetitia est thomiste. Mais il y a certains points de morale sur lesquels seule la prière peut apporter suffisamment de lumière. Et c’est ce qui s’appelle ›la théologie à genoux’: vous ne pouvez pas faire de la théologie sans la prière».
«Le martyre fait partie de notre vocation.»
Courage et audace prophétique
«La politique en général, la grande politique, s’est de plus en plus dégradée dans la petite politique. (…) En général, l’opinion que j’entends est que les politiciens sont tombés bas. Il manque ces grands hommes politiques, qui étaient capables de se mettre sérieusement en jeu pour leurs idéaux et qui ne craignaient ni le dialogue ni la lutte, mais qui allaient de l’avant, avec intelligence et avec le charisme propre de la politique». »Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire d’avoir du courage et de l’audace prophétique».
Le pape parle de la récente publication du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France ›Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique’ (octobre 2016): cette déclaration «très importante a marqué son temps: elle a donné de la force à la politique, à la politique comme au travail artisanal pour construire l’unité des peuples et l’unité d’un peuple dans toutes les diversités qui existent en son sein».
Parfois, «l’audace prophétique se marie à la diplomatie». Mais dans tous les cas, «elle est appelée à s’attaquer à la corruption, très répandue dans certains pays». Les chrétiens peuvent payer «très cher, en première personne», le prix de leur lutte pour la paix. «Et bien, on avance quand même. Le martyre fait partie de notre vocation».
La mondialisation détruit les peuples indigènes
Répondant à une question au sujet des peuples autochtones, le pape affirme que la mondialisation aujourd’hui les nivelle et les détruit alors que leurs cultures «devraient être récupérées».«L’herméneutique coloniale était de rechercher la conversion des peuples». C’était «une herméneutique de type centraliste, où l’empire dominateur impose en quelque sorte sa foi et sa culture. Il est compréhensible qu’à ce moment nous ayons pu penser ainsi, mais maintenant l’herméneutique radicalement différente, qui valorise chaque peuple, sa culture et sa langue, est absolument nécessaire».
Le pape se réfère à la tentative d’inculturation positive des missionnaires jésuites Matteo Ricci en Chine et Roberto de Nobi li en Inde: «ils ont été des pionniers, mais une conception hégémonique du centralisme romain a freiné cette expérience, l’a interrompu. Empêchant ainsi un dialogue dans lequel les cultures sont respectées».
Laudato Si’
Ce n’est pas une «encyclique verte» mais sociale parce qu’il est évident que ce sont «plus les pauvres qui souffrent» des conséquences de la crise écologique en étant «mis au rebut». (cath.ch/imedia/bh)