Ne pas confondre antisionisme et antisémitisme
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rappelé le 7 juin 2016 que des propos opposés à la politique de l’Etat d’Israël ne pouvaient pas sans autres être taxés d’antisémitisme.
L’arrêt de la CEDH donne raison à un professeur de l’Université de Genève, accusé d’antisémitisme par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), après la publication sous sa direction d’un ouvrage collectif intitulé Israël et l’autre, rapporte l’association Facteur de protection D.
En 2005, ce professeur de sciences politiques a dirigé la publication d’un ouvrage regroupant plusieurs textes rédigés par des professeurs d’université et des intellectuels et portant sur la place du judaïsme dans la politique de l’Etat d’Israël ainsi que sur ses conséquences.
La CICAD a fait paraître dans sa newsletter une critique de ce livre, rédigée par l’un de ses membres, M.S., alléguant clairement que le professeur tenait des propos antisémites dans la préface de l’ouvrage. Le même auteur avait répété les mêmes propos dans une publication ultérieure dans une revue.
Des accusations dépourvues de base factuelle
Le professeur a introduit alors une action civile et a obtenu gain de cause. Le Tribunal de première instance a considéré que les allégations d’antisémitisme représentaient en effet une atteinte à son honneur. Le Tribunal a ordonné le retrait de l’article concerné du site internet et la publication des considérants dans la newsletter de la Revue juive. M.S. a alors déposé un recours contre cette décision auprès du Tribunal fédéral, qui l’a rejeté.
Dans son arrêt, la Cour européenne soutient la décision du Tribunal fédéral. Elle confirme que les tribunaux suisses avaient ménagé un juste équilibre entre la liberté d’expression de la CICAD et le droit au respect de la vie privée du professeur. Les affirmations du professeur ne représentaient pas des remarques insultantes pour le peuple juif, raison pour laquelle les accusations d’antisémitisme étaient dépourvues de toute base factuelle. En raison du caractère pénalement répréhensible de l’antisémitisme et du contexte historique, les accusations d’antisémitisme étaient particulièrement lourdes. En outre, elles étaient susceptibles de nuire durablement à la réputation du professeur. (cath.ch-apic/com/mp)
Les propos objets du litige
Dans la préface d’Israël et l’autre, le professeur W.O. avait notamment écrit:
«En devenant très consciemment l’État juif, Israël réunit sur ses épaules le poids de toutes ces questions qui explicitent la question juive de base. (…) L’identification d’Israël au judaïsme redouble toute activité politique, diplomatique, militaire en test, en examen de passage du judaïsme : voyons donc comment (…). Dans ces conditions, il est parfaitement vain de considérer qu’Israël est un État comme les autres : ses mains sont liées par la définition qu’il s’est donné[e] lui-même. Quand Israël s’expose sur la scène internationale, c’est bien le judaïsme qui s’expose en même temps.»
«Dans le domaine de la politique également, il est peu d’exemples aussi impressionnants de la présence agissante, [à] tous les niveaux, d’un État fort et interventionniste comme l’est l’État d’Israël, d’un État qui assume si pleinement la morale des « mains sales » (notamment la politique de bouclage de territoires, de destruction des maisons de civils, d’assassinats cibles de responsables terroristes présumés) dans l’intérêt de la sécurité de ses citoyens.».
Ce à quoi M.S. l’auteur de la critique dans la newsletter de la CICAD avait répondu:
«[…] les arguments politiques, ou juridiques, utilisés par certains auteurs partent d’un a priori négatif envers l’État hébreu. Quant à la préface écrite par le professeur O. (qui enseigne la théorie politique à l’Université de Genève), certains de ses propos glissent carrément vers l’antisémitisme. […]
Dans les Cahiers Bernard Lazare, le même auteur avait été encore plus explicite:
«L’ouvrage Israël et l’autre qui vient de paraître représente, selon moi, l’exemple même de l’anti-israélisme actuellement admis par une certaine intelligentsia. Dans sa préface, le professeur O. (Université de Genève) va plus loin pour déboucher sur l’antisémitisme même.»
L’arrêt complet de la CEDH : http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-163453#{%22itemid%22:[%22001-163453%22]}