Multinationales responsables: «L'Eglise ne couche pas avec Glencore»
Ancien banquier, Karl Huwyler est président de la fédération des paroisses catholiques (VKKZ) du canton de Zoug. Il explique à kath.ch pourquoi il s’oppose personnellement à l’initiative pour les multinationales responsables en votation populaire le 29 novembre 2020 et pourquoi l’Eglise cantonale laisse la liberté de vote.
Raphael Rauch, kath.ch / traduction et adaptation Maurice Page
Dans le canton de Zoug, souvent considéré comme un paradis fiscal, les Eglises bénéficient de la présence de grandes entreprises telles que Glencore. Le groupe minier, dont le siège est à Baar, est une des cibles principales de l’initiative «pour les multinationales responsables.» «En 2019, nous avions un total de 22,3 millions de francs de recettes fiscales provenant des personnes morales», explique Karl Huwyler. Selon lui, la part de Glencore serait inférieure à un million. «Contrairement à certains cantons, il n’y a pas de restrictions à l’utilisation de l’impôt sur les sociétés à Zoug. Nous pouvons faire ce que nous voulons avec l’argent dans le cadre de notre mandat légal», précise le président de la VKKZ.
«Quelle est la bonne voie: les lois ou le dialogue?»
L’Eglise zougoise dispose d’un organe chargé du contact avec les entreprises. «Nous rencontrons parfois Glencore. Je suis convaincu que nous pouvons obtenir davantage avec la discussion qu’avec la confrontation. Glencore voulait nous inviter à visiter une mine. Nous avons refusé. Nous voulions envoyer un signal clair au monde extérieur : L’Eglise ne couche pas avec Glencore,» insiste Karl Huwyler. Financièrement il se dit davantage préoccupé par les conséquences du Covid que par d’éventuelles pertes fiscales.
Les personnes actives en pastorale ont une grande sympathie pour l’initiative, alors que du côté des corporations ecclésiastiques, on compte d’avantage de personnes proche du monde des affaires, constate le président du VKKZ. «Mais nous sommes d’accord sur le fait que personne ne veut de violations des droits humains. La question est plutôt de savoir quelle est la bonne voie: les lois ou le dialogue?»
«Je vais voter non»
«Je vais voter non. Sur le plan professionnel, j’ai eu de nombreux contacts avec des entreprises américaines et j’ai fait l’expérience de ce que signifient les procédures de contentieux. L’initiative mettrait les entreprises sous la suspicion générale. Cela conduit à l’incertitude. L’insécurité signifie des coûts en plus et moins d’investissements. Si vous voulez faire des bénéfices à long terme, vous ne pouvez pas vous passer de la morale. Mais les lois ne fonctionnent pas toujours», relève Karl Huwyler.
«Les lois amènent les entreprises à chercher des avocats encore plus astucieux»
«J’ai longtemps travaillé au Crédit Suisse. CS était pratiquement une entreprise américaine. Nous avions de nombreuses normes éthiques importées des Etats-Unis. Mais au final, nous avons souvent fini par nous contenter de belles paroles. Vous cochez des cases et sur le papier tout est bon, mais rien ne change vraiment.»
Pour l’ancien banquier, «les lois amènent les entreprises à chercher des avocats encore plus astucieux. Je suis convaincu que si nous parvenons à convaincre les dirigeants de l’importance d’une action éthique et durable, cela apportera plus d’avantages que n’importe quelle loi.»
«L’initiative ne fera que déplacer le problème. Je suis allé une fois au Pérou en privé et je me suis fait une image sur place: les gens y travaillent dans des conditions que nous considérons comme misérables. Et pourtant, les gens du pays disaient: «Nous sommes reconnaissants pour les emplois que les entreprises internationales fournissent.»
Le consommateur n’est pas assez responsabilisé
Pour Karl Huwyler, un des effets de l’initiative pourrait être le retrait des entreprises occidentales de divers pays. «Mais cela n’aidera pas les populations locales si nous nous retirons complètement. Si nous restons à l’intérieur, nous pouvons faire plus. «
«L’éthique s’applique à tout le monde. Alors pourquoi les petites entreprises sont-elles exclues?»
Une autre chose le dérange: «L’initiative est menée par des gens qui font une vendetta contre Glencore et Syngenta. Comme si ces deux multinationales et les autres entreprises étaient des boucs émissaires.» Pour Karl Huwyler, le consommateur est beaucoup trop peu pris en compte. «Les gens se plaignent de Glencore, mais ils ont toujours un nouveau téléphone portable, même si tout le monde sait que tout n’est pas propre dans la production de ces appareils.»
Il conteste enfin l’exclusion des petites entreprises du domaine de la loi. «L’éthique s’applique à tout le monde. Alors pourquoi les petites entreprises sont-elles exclues? Seulement pour gagner le vote. Vous pouvez plus facilement créer une atmosphère contre les multinationales que contre les PME.»
A la question de savoir si on verra les drapeaux oranges de l’initiative dans les paroisses zougoises, le président répond: «Chaque communauté est libre de le faire. Au siège de la VKKZ nous avons dit: soit les deux drapeaux flotteront, soit aucun. Cela sera probablement aucun.» (cath.ch/kath.ch/rr/mp).
Les Eglises Suisse soutiennent l’initiative ‘Pour des multinationales responsables’
Les Eglises chrétiennes de Suisse soutiennent l’initiative populaire «Pour des multinationales responsables» soumise à votation populaire le 27 septembre 2020 . Le texte demande que les multinationales ayant leur siège en Suisse soient obligées de rendre des comptes pour les dommages causés à l’être humain et à la nature.
La Conférence des évêques suisses (CES), l’Eglise évangélique réformée de Suisse (ERS), et le Réseau évangélique suisse (RES) apportent leur soutien à l’initiative. Une si large prise de position politique des Eglises est pratiquement sans égale. Pour elles, l’initiative se base sur deux principes fondamentaux du message biblique: le devoir d’œuvrer en faveur de son prochain et la sauvegarde de la création. MP