Mise en garde musulmane contre l'émigration massive des chrétiens du Moyen-Orient

L’émigration massive des chrétiens du Moyen-Orient viderait la personnalité arabe de sa culture, de son identité et de sa singularité, estime Mohammed El-Sammak, secrétaire général du Comité national libanais pour le dialogue islamo-chrétien et du Sommet spirituel islamique au Liban qui inclut les différentes branches de l’islam libanais.

«En tant qu’Arabe musulman, je ne peux pas vivre pleinement mon identité sans les Arabes chrétiens», écrit Mohammed El-Sammak dans les colonnes du quotidien francophone «L’Orient-Le Jour». «Vieux routier» du dialogue entre les religions, il est également membre du conseil d’administration du Centre international du Roi Abdallah ben Abdelaziz pour le dialogue interreligieux et interculturel (KAICIID), une institution basée à Vienne fondée par l’Arabie Saoudite, l’Espagne et l’Autriche, avec le Saint-Siège en tant qu’Etat observateur.

Egypte En Haute-Egypte, clochers et minarets s’entremêlent (Photo: Jacques Berset)

Présence chrétienne indispensable pour les musulmans

«Le maintien de la présence des chrétiens dans cette région du monde est indispensable non seulement pour la chrétienté, mais aussi pour l’islam. Il ne concerne pas simplement l’Orient, mais toute la planète», avait déjà souligné Mohammed El-Sammak dans un exposé au synode des évêques pour le Moyen-Orient. Il ajoutait que «le déclin de cette présence, qu’il soit moral ou numérique, est autant un problème pour les musulmans que pour les chrétiens».

Mohammed El-Sammak évoque les nombreux facteurs qui agissent de manière cumulative pour renforcer le phénomène de l’émigration des chrétiens du Moyen-Orient, notamment la rareté des sociétés démocratiques dans cette partie du monde face à la montée des fondamentalismes. Il mentionne aussi «l’erreur historique fatale» qui consiste à confondre christianisme et Occident, voire à réduire ce dernier à une image négative héritée des croisades et ravivée par la colonisation et la création de l’Etat d’Israël.

Le tsunami des mutations en cours

Il en résulte à ses yeux une situation qui sème l’inquiétude et la souffrance chez les Arabes de diverses religions et dans d’autres communautés ethniques du Moyen-Orient. La question de la place des chrétiens d’Orient dans les changements qui affectent la région se pose en effet avec force: «seront-ils partie intégrante de cette ère nouvelle ou leur rôle et leur avenir seront-ils balayés par le tsunami des mutations en cours ?»

Les atteintes à la liberté religieuse concernent l’ensemble de la planète, comme le démontre un rapport publié en juin 2018 par le Pew  Research Center. Cet institut américain de recherche sur la religion et la vie publique basé à Washington, indiquait qu’en 2016, 42 % des 198 pays retenus par l’étude imposaient des restrictions générales élevées ou très élevées à la religion. Ces restrictions étaient soit le résultat d’actes gouvernementaux, soit d’actes hostiles de particuliers ou de groupes sociaux. Ce chiffre est en hausse de deux points de pourcentage par rapport à 2015 et de treize par rapport à 2007, mais le Moyen-Orient est la région du monde la plus touchée, selon l’étude.

Distorsion dans la perception des événements

Dès les prémices de l’année 2011, note le protagoniste du dialogue islamo-chrétien, les «printemps arabes» ont en effet laissé apparaître une certaine distorsion dans la perception des événements. «Alors que les soulèvements en œuvre en Afrique du Nord et au Moyen-Orient laissaient entrevoir des perspectives prometteuses pour les musulmans arabes qui manifestaient avec confiance pour leurs droits et leur liberté, ces perspectives demeuraient incertaines pour les chrétiens arabes qui attendaient avec inquiétude l’issue des mouvements».

Mohammed El-Sammak considère que cette méfiance était d’abord due à «une erreur de perception consistant à croire en la véracité d’une hypothèse pourtant démentie par les faits, en l’espèce que les régimes tyranniques et autoritaires de la région menaient une politique juste et protectrice envers les chrétiens du Moyen-Orient».

Les chrétiens «instrumentalisés» par les dictatures

Le secrétaire général du Comité national libanais pour le dialogue islamo-chrétien affirme que pour conserver le pouvoir sur le plan interne et le rendre acceptable aux yeux des pays occidentaux sur le plan externe, la plupart de ces régimes ont ainsi érigé les islamistes en épouvantails. «A les entendre, il n’y avait pas d’autres alternatives possibles que ‘Moubarak ou les Frères musulmans’, ‘Assad ou Daech’, ‘Ben Ali ou Ennahda’, ‘Kadhafi ou al-Qaëda’, etc. Pris entre ces deux feux, les chrétiens du Moyen-Orient n’ont pourtant pas moins souffert de la politique de ces régimes. Et même lorsque ces régimes les ‘traitaient bien’, c’était pour les instrumentaliser contre les islamistes, empoisonnant encore davantage leur relation avec ces derniers, comme en Egypte ou en Irak par exemple».

Au nord de l’Irak, dans les églises de la Plaine de Ninive, les islamistes de Daech ont systématiquement brûlé les livres liturgiques | © Jacques Berset

«Certes, poursuit-il, partout dans la région, les extrémistes islamistes ont pu détourner à leur profit les bouleversements politiques en œuvre. Ce type de détournement constitue une tactique normale mais illégitime des groupes opportunistes, et il peut réussir à court ou moyen terme, mais pas s’installer dans la durée».

«Erreur politique majeure»

Mohammed El-Sammak pense qu’une autre «erreur politique majeure» consisterait à penser que le fondamentalisme islamique est destiné à dominer la région, ou que la majorité des musulmans sont fondamentalistes. «Or ce type d’erreur peut coûter très cher aux chrétiens comme aux musulmans de la région: si les chrétiens la commettent, ils tourneront le dos à toute la région, simplement parce qu’ils ne peuvent pas supporter de vivre avec des fondamentalistes musulmans. En anéantissant ainsi le concept de convivialité, une émigration massive des chrétiens d’Orient viderait la personnalité arabe de sa culture, de son identité et de sa singularité».

«L’instinct naturel d’autodéfense et de conservation devrait donc nous conduire à réagir vite et avec courage, car une telle erreur serait extrêmement difficile à rectifier: quand les chrétiens découvriront leur erreur, il sera trop tard, et les pièces pittoresques de la mosaïque moyen-orientale seront dispersées aux quatre vents. De fait, les chrétiens ont souffert avec les musulmans sous la domination européenne (anglaise et française), sous l’autorité israélienne et sous les régimes arabes tyranniques. Aujourd’hui, ils partagent avec l’immense majorité des musulmans leur crainte, et leur refus du fondamentalisme islamique!» (cath.ch/orj/be)

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21 février 2019 | 17:23
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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