Michel Veuthey: «Il faut réanimer le christianisme en Europe»
Brexit, hostilité américaine, reconversion professionnelle de ses dirigeants: l’Europe est en crise. Pour Michel Veuthey, président du Centre Catholique d’Etudes de Genève, le vide spirituel s’ajoute au diagnostic de cette communauté en souffrance. L’Europe des chrétiens est devenue l’Europe des marchands. Le naufrage est en vue, selon lui, mais il ne faut pas baisser les bras pour autant.
Quel diagnostic posez-vous sur l’état spirituel de l’Europe aujourd’hui?
L’Europe souffre d’un vide spirituel à tous les étages. Dans ses organisations faîtières, dans ses gouvernements nationaux, locaux et jusque dans ses individus. Les jeunes le ressentent de manière particulière. Certains se posent des questions sur l’avenir. Comment s’insérer dans une société mal ficelée? D’autres rejettent le modèle social proposé à travers différentes formes d’engagements radicaux et violents. Nous avons évacué la religion de la réalité, ce qui en constitue une négation. Et cela finira par nous sauter à la figure.
«Je me range du côté de ce que Denis de Rougemont appelait un pessimiste actif»
Quel rôle a joué la religion à l’origine du projet européen?
Elle unissait les pères fondateurs. Robert Schuman, Alcide De Gasperi et Konrad Adenauer étaient catholiques. Ils avaient toutes les raisons de ne pas se parler. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les blessures étaient encore vives. L’Allemagne avait occupé la France et l’Italie. Il fallait passer au-dessus. C’est là que la foi catholique a joué un rôle essentiel. Elle a permis la réconciliation, qui se distingue de la justice. La justice, c’était Nuremberg. Il fallait aller plus loin. Ce pardon, au sens de ‘donner par-dessus l’offense’, s’est concrétisé dans une structure de collaboration: la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Elle visait une collaboration commune pour un bénéfice mutuel tout en évitant la possibilité d’un nouveau conflit. Malheureusement, cette Europe des chrétiens est rapidement devenue l’Europe des marchands.
Quelle est la cause de cette évolution?
L’effondrement de la démocratie chrétienne. C’était un idéal: construire une société sur la base de l’enseignement chrétien. Mais le modernisme a tué ce projet. Des hommes politiques y étaient liés avant de prendre de la distance sur certains aspects de l’enseignement de l’Eglise «parce que, malgré tout, il faut être moderne». Une autre raison: le substrat chrétien était trop superficiel. On ne laissait guère de la place à l’Eglise. Une heure le dimanche, tout au plus. La démocratie chrétienne s’est écroulée faute d’avoir de véritables fondations. Aujourd’hui, le pape François cherche à donner donner un nouvel élan. Il appelle tous les fidèles, pas seulement les politiciens, à réintroduire des valeurs chrétiennes dans toutes les sphères de la société.
Comment?
Il faut refaire un fond culturel. Rendre accessible les idées fondamentales et, parmi elles, la foi. Un homme se construit en se recevant du haut. C’est un renversement de la pensée anthropologique dominante. L’homme doit s’ouvrir à la providence et se laisser guider par elle. C’est un besoin social inconscient auquel nous devons répondre.
N’est-ce pas un peu utopique?
Je ne crois pas. Mais il va falloir réanimer le christianisme en rassemblant tous les croyants de bon aloi pour former des communautés attractives. Les églises doivent redevenir des lieux de prière, mais aussi de formation. Il faut peut-être commencer par dépoussiérer quelque peu nos lieux de culte puis offrir des liturgies priantes et belles, plus souvent qu’à l’accoutumée, durant lesquelles les prédicateurs apportent un discours substantiel aux fidèles.
Cela suffira-t-il?
Peut-être. Mais l’histoire récente nous enseigne que les grandes réformes ont suivi des traumatismes collectifs gigantesques. Nous célébrons aujourd’hui la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies ou les Conventions de Genève. Or tous ces instruments du droit international ont été établis suite aux deux conflits mondiaux du XXe siècle.
De là à dire qu’une troisième Guerre mondiale serait utile…
Roberto Vacca, un écrivain italien, publiait il y a quelques temps un livre intitulé: «Vers un nouveau Moyen-Age». Son propos: notre civilisation va s’effondrer parce qu’elle est trop vulnérable. Moyens de communication, moyens de transport, réseaux de distribution de nourriture: tout va se casser le figure. On retrouvera des villes fortifiées. Il faut s’y préparer sans dramatisation, c’est une possibilité. Le même Vacca publiait quelques années plus tard «Vers une nouvelle Renaissance». Il y aurait un moyen d’éviter de retomber au Moyen-Age. Je me range pour ma part du côté de ce que Denis de Rougemont appelait un pessimiste actif. Peut-être sommes-nous sur le pont du Titanic. L’iceberg est en vue. Tout va sombrer et il faudra reconstruire quelque chose. Mais cela ne nous empêche pas, ici et maintenant, d’essayer de développer une attitude de partage et de collaboration. (cath.ch/pp)
Docteur en droit de l’Université de Genève, Michel Veuthey est l’ancien conseiller du président du Comité International de la Croix Rouge. Il a été également chef de la Division des Organisations internationales et chef de la Délégation pour l’Afrique du Sud et l’Océan Indien de la même organisation. Il est Professeur associé à l’Université de Nice et à Webster University ainsi que Observateur adjoint de l’Ordre de Malte auprès des Organisations internationales à Genève. Il est également vice-président de l’Institut international de droit humanitaire; directeur des Cours de droit humanitaire à San Remo, président du Cercle des Amitiés Internationales à Genève et président du Centre Catholique d’Etudes de Genève.