Michel Maxime Egger: «Dieu est lumière et cette lumière est vie!» 6/6
Lorsqu’il tient l’enfant Jésus dans ses bras lors de la présentation au Temple, le vieillard Syméon s’exclame: «Mes yeux ont vu (…) la lumière qui se révèle aux nations». Plus qu’une métaphore ou un symbole, cette lumière est une expérience, explique le théologien suisse d’enracinement orthodoxe Michel Maxime Egger.
La Bible et la tradition chrétienne, en particulier orthodoxe, utilisent très souvent la notion de lumière pour parler de Dieu.
Dans l’Ecriture, on trouve en effet quantité d’expressions de Dieu comme lumière, du buisson ardent de Moïse au chemin de Damas où saint Paul est terrassé par la lumière. Avec bien sûr l’évangile de Jean où Dieu est lumière et en qui il n’y a pas de ténèbres. Les Pères de l’Eglise, comme Grégoire de Nazianze, en font un de leurs thèmes récurrents. Cette lumière, inaccessible, ineffable, incompréhensible se communique à l’humanité notamment en Jésus.
Doit-on y voir autre chose qu’une métaphore ou un symbole?
Dans la Bible et chez les Pères, il s’agit d’un aspect visible, réel de la divinité, qui renvoie à une expérience.
Le prologue de l’évangile de Jean relève que la manifestation de la lumière de Dieu passe par le Verbe incarné dans la personne de Jésus. Noël ou la Nativité rappelle ce Dieu qui se fait chair. La lumière divine va d’une certaine manière se concentrer dans Jésus qui naît. «Car en lui, dans son propre corps, habite toute la plénitude de la divinité», comme l’explique Paul aux Colossiens (2,9). Le vieillard Syméon lorsqu’il tient l’enfant Jésus dans ses bras lors de la présentation au Temple s’exclame: «Car mes yeux ont vu (…) la lumière qui se révèle aux nations».
La tradition orthodoxe lie sa réflexion sur la lumière à l’événement de la transfiguration.
Jésus monte sur la montagne avec trois de ses disciples et leur apparaît resplendissant de lumière au cœur d’une nuée. La discussion sur la nature de cette lumière et de cette expérience est à l’origine de la théologie orthodoxe des énergies incréées ou divines, qui n’a pas ou peu été reconnue par les autres confessions chrétiennes. Le débat, qui fait rage au XIVe siècle, porte sur la nature de la lumière contemplée par des moines du Mont Athos au cœur de leur prière.
A cette époque, Grégoire Palamas établit une distinction entre l’essence de Dieu et les énergies divines. Il utilise la métaphore du soleil et de ses rayons. Dieu dans son essence est inconnaissable, au-delà de tout nom, mais en même temps, il se manifeste par amour dans sa création à travers ses énergies qui sont comme les rayons du soleil. Or le soleil et ses rayons sont de même nature. C’est la conception de la grâce divine ou incréée, dans la tradition orthodoxe.
Dans ce sens, la transfiguration est la manifestation de la nature divine du Christ. A ce moment, le Christ n’est pas transformé, mais ce sont plutôt les yeux des apôtres qui s’ouvrent à la gloire de Dieu cachée jusque là. Un verset des Psaumes dit: «à ta lumière, nous verrons ta lumière.» La lumière est ce qui est perçu et en même temps ce qui permet de percevoir. Les apôtres « tombent la face contre terre, saisis d’une grande crainte », car ils ne sont pas encore complètement prêts à la voir. L’expérience est à la mesure de l’état intérieur de la personne.
«Dieu est lumière et cette lumière est vie. Le Christ est le Vivant»
Vous parlez des énergies divines quelle est leur action?
C’est par ces énergies que Dieu se manifeste dans la création et se communique à l’être humain. Dans le buisson ardent qui brûle sans se consumer, Dieu dit à Moïse: ‘Je suis celui qui suis’. Les langues de feu sur la tête des apôtres, lors de la Pentecôte, sont du même ordre. Saint Paul sur le chemin de Damas est jeté à terre par la lumière. Il en reste aveugle un certain temps, parce qu’il n’est pas encore capable de l’intégrer. Nous sommes au-delà de la réalité matérielle ou physique, mais le phénomène est bien réel et pas seulement symbolique. Il relève d’une expérience. Le sacrement du baptême fait aussi une référence explicite à cette illumination de tout l’être.
Les énergies divines, c’est leur deuxième mode d’action, sont également la puissance créatrice et dynamique au cœur de la création, comme l’explique notamment Cyrille d’Alexandrie. La création n’est pas achevée après les six jours de la Genèse, mais Dieu continue son œuvre dans le monde avec l’être humain qui devient co-créateur.
Cela amène à la troisième fonction des énergies divines qui sont source de vie. Dieu est lumière et cette lumière est vie. Le Christ est le Vivant. En lui la mort est vaincue. Enfin le dernier élément est la divinisation de l’être humain et de toute la création. C’est-à-dire que l’être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, est appelé à participer à la vie divine en entrant dans sa lumière et en se laissant habiter par elle. Par l’ouverture à la grâce, la lumière déjà présente en lui, va pouvoir se manifester pleinement.
L’affrontement entre la lumière et les ténèbres traverse toute l’Ecriture.
Oui, on peut citer en période de Noël, le fameux passage d’Isaïe: «Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi.» (Is.9.1). C’est ainsi que la lumière se manifeste aux bergers dans la nuit de Noël. «La gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière», raconte l’évangéliste Luc (Lc 2.9)
Les ténèbres renvoient à tout ce qui, à l’intérieur de lui-même, empêche l’être humain de voir et de laisser passer la lumière: l’ignorance de sa vocation, le mensonge, l’inconscience, le sommeil de l’âme… Depuis son exil du paradis à cause d’un mauvais usage de sa liberté, l’être humain est dans l’aveuglement, fermé à la lumière. A l’inverse, les apôtres Jean ou Paul invitent à devenir des fils et filles de la lumière, à marcher comme des enfants du jour. Le chemin vers la lumière passe par l’ascèse, au sens de purification du cœur et d’unification intérieure en se libérant des passions et des divisions qui sont sources d’obscurité.
Les ténèbres sont aussi le royaume du Mal.
Les ténèbres renvoient aussi à l’action du Satan, l’adversaire. Autrement dit, le diable, celui qui divise, qu’il faut voir au-delà des mythologies et des représentations infantiles. Cette puissance spirituelle fait obstacle à la lumière divine parfois en se parant des attributs de la lumière et en faisant naître des illusions. Le nom de Lucifer (porte-lumière) fait allusion à cette lumière trompeuse qui nous attire vers la tentation de nous prétendre nous-mêmes des dieux. Dans le monde contemporain, cette tentation d’une ‘divinisation sans Dieu’ est très présente, sur tous les plans. C’est la raison pour laquelle le discernement est extrêmement nécessaire.
Précisément comment opérer ce discernement?
Selon les pères spirituels, la réalité d’une expérience de Dieu se mesure à ses fruits qui sont l’amour, l’humilité et la joie. A l’exemple de Marie qui, enceinte de Jésus, conservait ce mystère dans le secret de son coeur. L’envie de le raconter à tout le monde pour s’en vanter n’est pas un bon signe.
«La joie ne se fabrique pas par la pensée positive ou même par la prière. Elle est avant tout un don gratuit»
La joie au cœur des tribulations, selon les termes de Paul, est l’une des expressions de cette lumière, plus grande que toutes les souffrances et les peines. La joie ne se fabrique pas par la pensée positive ou même par la prière. Elle est avant tout un don gratuit. Elle n’est pas pour autant automatique. Il s’agit d’ouvrir un espace à l’intérieur de notre être et au sein de nos relations avec les autres et la nature pour que la présence et l’énergie divine puissent se manifester. Se connecter à cette énergie-là est une des voies pour traverser les épreuves et donner du sens. Ainsi les tristesses que nous ressentons face à nous-mêmes ou face à l’état du monde sont pour ainsi dire habitées et enveloppées. Ce dont témoignent toutes les traditions spirituelles.
Pour beaucoup de chrétiens Dieu reste le plus souvent vu comme une entité extérieure et lointaine.
C’est un des problèmes de la tradition occidentale qui a mis d’une manière exagérée l’accent sur la transcendance de Dieu. C’est le «Notre Père » qui est loin dans les cieux. Pour moi, cette théologie des énergies divines permet de retrouver un équilibre dynamique entre la transcendance et l’immanence de Dieu, c’est-à-dire sa présence au cœur de l’être humain et de la création.
«Nous avons un travail pour retrouver la dimension cosmique du Christ»
Certains théologiens ont défini les ténèbres comme de la lumière qui ne s’est pas encore manifestée, qui est restée prisonnière. La transfiguration ouvre ces ténèbres et libère la lumière. J’aime beaucoup cette vision. Ce qui ne veut pas dire que la nature et l’humain seraient divins par nature. On parle de panenthéisme (tout en Dieu et Dieu en tout), à ne pas confondre avec le panthéisme.
A un moment donné, les apôtres sortent de la nuée et doivent redescendre de la montagne de la transfiguration.
Les apôtres souhaitent construire des tentes pour rester au sommet de la montagne où ils ressentent la plénitude. Mais la vie spirituelle n’est pas une évasion hors du monde., A leur image, nous sommes appelés à redescendre dans la plaine, à faire l’expérience de Dieu dans sa création. Comme l’explique le pape François dans Laudato si, cette terre est sacrée parce qu’elle animée par l’Esprit et habitée par la présence du Christ.
Au moment où nous fêtons Noël, il est bon de rappeler la dimension magnifique de l’incarnation propre à la tradition chrétienne. Mais nous avons un travail pour retrouver la dimension cosmique du Christ, complémentaire de ses dimensions humaine et divine. Comme le dit Paul, le Christ récapitule en lui toutes choses (Eph.1.10). (cath.ch/mp)
Peut-on dire que la pensée des Pères de l’Eglise préfigure en quelque sorte les données de la science contemporaine?
Un nombre croissant de scientifiques, notamment chez les physiciens quantiques, sont ouverts à une dimension de mystère, d’une réalité qui dépasse l’explication rationnelle. Par exemple, les frontières entre l’énergie et la matière s’estompent en fonction du regard. J’ai l’impression que l’expérience de l’unité profonde et invisible du réel que les mystiques ont faite est de plus en plus confirmée par la science. En même temps la science restera toujours sur le plan de réalité du créé par rapport à l’incréé qui est le divin par essence. Mais nous pouvons trouver des résonnances, des analogies voire construire des ponts.
Parler de lumière et de soleil évoque la redécouverte des énergies renouvelables.
Oui cela participe de ce à quoi nous sommes appelés pour opérer la transition écologique, c’est-à-dire une reconnexion profonde à la terre à la nature. Dieu lumière est la source de la lumière que nous offre le soleil. Tout cela est lié à notre vie concrète, à travers les éléments de la nature qui vit en nous et dont nous sommes partie. Cette démarche dépend de processus économiques ou politiques, mais elle contribue aussi à à la redécouverte de notre vocation d’intendant ou jardinier de la planète. MP
Michel Maxime Egger
Sociologue de formation, journaliste pendant une dizaine d’années, écothéologien d’enracinement orthodoxe et acteur engagé de la société civile, Michel Maxime Egger, a accompli pendant plus de vingt ans un travail de plaidoyer pour le développement durable et des relations Nord-Sud plus équitables.
En 2016, il a rejoint l’œuvre d’entraide protestante Pain pour le Prochain avec pour mission de créer et développer un laboratoire de la transition intérieure, dans l’interface entre la société civile et les milieux d’Eglise. Ce laboratoire est aujourd’hui porté également par Action de Carême.
Il est l’auteur d’essais sur l’écospiritualité et l’écopsychologie, notamment La Terre comme soi-même (2012) et Soigner l’esprit, guérir la Terre (2015), parus chez Labor et Fides, où il codirige la collection «Fondations écologiques», ou tout récemment Se libérer du consumérisme (Jouvence, 2020). Il vient de publier également L’être caché du cœur (Labor et Fides, 2020), une anthologie de textes mystiques sur la prière du cœur et l’expérience de la lumière divine. On retrouve une partie de ses réflexions sur www.trilogies.org. MP
Série "En Avent vers la lumière"
En 2020, la période de l'Avent est très particulière. A cause de la situation sanitaire, les célébrations de la période de Noël sont très perturbées. Beaucoup voient également l'avenir en noir. Malgré tout, la Lumière du Christ est toujours là pour nous amener vers l'espérance.
Dans cet esprit, les Eglises nationales en Suisse ont lancé la démarche "Lumière quand même". cath.ch présente dans ce sillage, pour chaque weekend de l'Avent et Noël, un aspect différent de cette "Lumière". Autant d'inspirations à éclairer les obscurités actuelles.