Fribourg le 19 septembre 2024. Mgr Willy Ngumbi Ngengele, évêque de Goma | © Bernard Hallet
Suisse

Mgr Willy Ngengele, évêque de Goma: «J'ai des raisons d'espérer»

De passage en Suisse Mgr Willy Ngumbi Ngengele, évêque de Goma, en République démocratique du Congo (RDC), évoque la guerre oubliée dans le Nord-Kivu. L’évêque parle de son rôle et de celui de l’Eglise catholique, pilier d’un pays en proie à l’instabilité et des «mille raisons d’espérer» que suscitent pour lui la jeunesse et «l’engagement prophétique» des prêtres auprès de la population.

Dans un communiqué du 8 juillet 2024 (avant le cessez-le-feu intervenu en août, ndlr), Bintou Keita, la cheffe de la MONUSCO a rappelé que la RDC connaît «l’une des crises humanitaires les plus graves, les plus complexes et les plus négligées de notre époque». L’escalade de la violence dans l’Est continue de provoquer des déplacements massifs de population, aggravant une situation humanitaire déjà désastreuse. Au total, la RDC compte aujourd’hui 7,3 millions de personnes déplacées, dont 6,9 millions dans les seules provinces de l’Est. Invité par Missio Suisse, Mgr Ngengele témoigne de son épiscopat dans ce contexte difficile.

«Le monde nous a oubliés», avez-vous déploré en 2023 peu avant le voyage du pape en RDC. Quelle est la situation dans le Nord-Kivu?
Mgr Willy Ngengele: Nous avons toujours le sentiment d’être oubliés du monde. Chez nous une guerre s’est déclarée en mars 2022, entre le gouvernement et la rébellion du M23, dont le soutien du Rwanda n’est plus à démontrer. Cette guerre, dont on ne parle pas, amène beaucoup de destructions. Nous avons dû fermer de nombreuses paroisses qui ont été pillées. Les combats ont engendré un déplacement massif de la population. Goma, qui compte déjà 2 millions d’habitants, accueille 3 millions de déplacés répartis dans les 20 camps disséminés dans la banlieue de la ville. Je dois préciser que depuis le mois d’août, et à l’heure où je vous parle, il y a un cessez-le-feu fragile toujours en vigueur. J’ai espoir qu’il soit respecté et qu’on parvienne à une paix durable qui serve le bien-être de la population.

Goma vit sous une grande tension
Plusieurs forces armées stationnent actuellement à Goma: les troupes régulières congolaises, les casques bleus de l’ONU, et les armées des pays alliés du Congo venues en renfort. Il faut ajouter les milices composées de jeunes volontaires venus défendre la patrie. Beaucoup d’hommes en armes circulent en ville. Cette situation entraîne notamment des violences. Les services de santé font état de 27 cas de viols par jour. Avec la guerre, des villages entiers se sont vidés de leur population qui a tout laissé: maisons, champs, élevages, amenant des familles entières à Goma, des jeunes qui ne sont plus scolarisés et qui constituent un vivier dans lequel puisent les groupes armés.

«Les services de santé font état de 27 cas de viols par jour.»

Dans ce contexte quel rôle l’Eglise joue-t-elle auprès de la population?
Quand la guerre a commencé, nous avons organisé des collectes dans toutes les paroisses. Les habitants ont fait preuve d’une grande générosité en donnant des biens de première nécessité et de l’aide alimentaire que nous avons fait parvenir aux déplacés. La Caritas diocésaine a beaucoup aidé. Les organisations internationales ont pris le relais par la suite. Pour l’Epiphanie, les enfants, ont organisé des collectes dans le cadre des Œuvres pontificales missionnaires. Ils se sont ensuite rendus dans les camps à la rencontre d’autres enfants, prier et partager avec eux des vêtements et des chaussures. Concernant les femmes violées qui tombent enceintes sans savoir qui est le père de l’enfant, la Caritas diocésaine a mis en place deux cliniques mobiles. Des médecins bénévoles donnent des consultations gynécologiques et assurent également le suivi des grossesses. Ces cliniques permettent d’accueillir ces femmes dans de bonnes conditions au moment où elles accouchent, ou de les orienter vers un hôpital en cas de complications. Cette aide médicale n’efface pas les souffrances que ces femmes portent en elles, mais les soulage. Des prêtres proposent également un accompagnement pyscho-social pour les déplacés traumatisés. L’Eglise est aussi présente à travers les nombreuses congrégations religieuses qui accueillent les enfants abandonnés.

A côté de cette aide humanitaire et médicale, se déploie toute une pastorale dans les camps.
Oui, c’est une Eglise de déplacés. Les populations ont fui avec leurs prêtres. Ils sont logés à la procure, mais se rendent quotidiennement dans ces camps de tentes pour exercer leur ministère. Ils poursuivent leur mission: la catéchèse, la préparation aux sacrements. Je suis souvent invité pour conférer le sacrement de confirmation, pour des baptêmes ou des communions. Au préalable, je dois informer les autorités lorsque je me rends dans les camps pour y célébrer la messe. Cela se passe sous la protection de policiers ou de militaires. Le Nord-Kivu est officiellement en état de siège. Des bombes sont déjà tombées sur les camps. C’est une fête, mais à la fin de la célébration, les gens me disent «Monseigneur, on n’a rien mangé». Nous nous arrangeons avec la Caritas et des bénévoles pour amener de quoi nourrir les gens.

Concrètement, quelle est la journée type de l’évêque de Goma?
Chaque journée débute à 6h par la messe avec mon secrétaire, et s’achève vers 20h après une suite de rendez-vous, de problèmes à résoudre, d’interpellations. Vers 8h, je commence à recevoir les gens, notamment des prêtres qui viennent de l’intérieur des terres. Certaines paroisses sont restées ouvertes malgré la guerre. L’après-midi, je vais visiter les fidèles dans les camps. Je rencontre régulièrement les autorités de Goma qui me sollicitent pour travailler sur la question des écoles, des enseignants; sur la question des hôpitaux, lorsque le personnel se met en grève. Parfois, on m’appelle pour un corps sans vie retrouvé criblé de balles. Autant de demandes qui arrivent à l’évêché. L’Eglise joue un rôle de suppléance dans la société congolaise. Je travaille aussi en étroite collaboration avec le gouverneur militaire de Goma, lorsqu’il y a des tensions en ville. Pour reprendre l’image du pape, l’Eglise est un «hôpital de campagne» qui essaye d’accueillir et de soulager la souffrance de tous ceux qui viennent vers elle.

«L’Eglise joue un rôle de suppléance dans la société congolaise.»

Vous arrive-t-il de devoir parler avec des chefs de milice?
Lorsque je suis arrivé à Goma il y a cinq ans, j’ai fait le tour de tout le diocèse. Cela est arrivé qu’une paroisse soit située dans une zone occupée par un groupe armé. Je n’ai pu m’y rendre qu’avec l’accord du chef. Je connais beaucoup de chefs de milices avec qui j’ai des contacts. Ce qui peut parfois contribuer à éviter des drames. Lorsque je reçois des appels de villageois qui me signalent des problèmes, je contacte le chef de milice. Quand l’évêque appelle, le ton baisse et le problème ne se traite plus de n’importe quelle façon. Quand il sait que l’évêque est au courant, le chef adopte un autre profil. On évite même le recours à la violence. La figure de l’évêque incarne une autorité morale qui est reconnue par tout le monde: les autorités, les ONG, les partis politiques.

La venue du pape en janvier 2023 en RDC avait suscité une grande espérance. La situation a-t-elle évolué dans le Nord-Kivu en particulier et plus généralement dans le pays?
Le voyage du pape a suscité beaucoup d’espoir au Congo et en particulier chez nous à Goma, puisqu’il devait y venir. Son déplacement a été annulé pour des raisons de sécurité. Il a envoyé le cardinal Tagle qui l’a représenté pour transmettre son message de réconciliation aux habitants de la région. Cette présence du pape en RDC reste une référence pour la population.
Quand le pape était présent, le monde avait les yeux rivés sur le Congo. Avec la venue du Saint-Père, des autorités internationales se sont intéressées à la crise au Congo. Nous avons eu la visite du roi de Belgique, du conseiller fédéral suisse Alain Berset qui est venu jusque dans les camps de déplacés à Goma. Cette visite du pape a également initié une dynamique avec le Conseil de sécurité des Nations unies qui s’est investi pour tenter de résoudre le conflit du Nord-Kivu. Nous avons l’espoir de parvenir à une amélioration de la situation.

Vous avez été sollicité pour rassembler des victimes de la guerre et les accompagner à la rencontre avec le pape.
C’était une grande responsabilité. Nous avons accueilli une cinquantaine de personnes à Goma pendant une semaine pour faire connaissance. Nous les avons préparées pour le voyage à Kinshasa et surtout à raconter au Saint-Père ce qu’elles avaient subi. Je leur ai demandé: «Dites-lui la vérité sur ce que vous avez subi». Nous avons eu des entretiens avec elles, certaines venaient du nord, de l’Ituri, d’autres du Sud-Kivu.

Le pape apparaît très marqué par les témoignages des victimes des troupes rebelles | © Keystone/EPA/CIRO FUSCO

Vous avez assisté à cette rencontre. Quel souvenir en gardez-vous?
Je retiens surtout le visage du Saint-Père écoutant ces victimes raconter jusqu’au bout les atrocités qu’elles ont subies, comme cette jeune maman de 17 ans avec ses jumeaux, enlevée et traitée comme une esclave sexuelle. C’était très poignant. Je retiens aussi la joie de ces personnes qui m’ont dit: «Au moins, il y a une grande autorité du monde qui a pris le temps de nous écouter et nous avons espoir que ce que nous avons dit pourra porter du fruit dans l’avenir». Cela prendra du temps, mais je suis convaincu que la souffrance de ces gens ne peut pas rester sans donner du fruit pour la paix et la réconciliation au Congo.

Au-delà de ce témoignage, avez-vous des raisons d’espérer?
Mgr André Léonard (archevêque émérite de Malines-Bruxelles, ndlr) a dit: «Là où il y a 100 raisons de désespérer, il y a mille raisons d’espérer». Cette parole me vient souvent à l’esprit quand je suis à Goma. Ma première raison d’espérer est la vie de foi, la prière. Beaucoup de gens prient le Seigneur pour la paix, pour la prospérité, la fraternité et pas seulement les catholiques, les Eglises du Réveil aussi. Je me dis que le Seigneur entend les souffrances. L’autre raison d’espérer ce sont les agents pastoraux. A Goma, il y a environ 112 prêtres engagés en paroisse. Certains vivent dans les zones occupées par les groupes armés et ils sont témoins de la foi des gens. Ils restent proches des fidèles et fuient avec eux, parfois dans des conditions dramatiques. Ce courage, cet engagement prophétique sont pour moi un encouragement. Si le peuple tient, c’est grâce aux pasteurs.
La jeunesse est aussi une raison d’espérer. La ville de Goma est multiculturelle, beaucoup de tribus y cohabitent. Au mois de juillet nous avons organisé un forum réunissant 15’000 jeunes. Certains qui ne sont pas catholiques participent aussi à ces rassemblements. Des musulmans viennent à la messe, des anglicans, des protestants. Pour ces jeunes, il n’est pas question de tribus, d’ethnies ou de religion. Parmi eux se trouvaient aussi 1000 jeunes issus des camps de déplacés. Pauvres, riches, déplacés, ils ont échangé, prié et servi la messe quatre jours sans aucun problème. Je me suis demandé, en les voyant, pourquoi il y a la guerre. (cath.ch/bh)

Mgr Willy Ngumbi Ngengele est né le 13 février 1965 à Bujumbura, au Burundi, de parents congolais. Depuis 1992, il fait partie de la communauté religieuse des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs). Il est ordonné prêtre en 1993, après ses études de théologie à Toulouse. Fribourg est la ville où il a effectué son noviciat. En 2007, le pape Benoît XVI le nomme évêque de Kindu, en République Démocratique du Congo, où il exerce son ministère pendant 12 ans. En 2019, le pape François le nomme évêque de Goma, un poste qu’il occupe toujours aujourd’hui. Depuis la reprise des hostilités en 2022, Mgr Ngumbi s’engage intensément auprès des personnes déplacées dans la région du Nord-Kivu et s’efforce d’assurer une médiation entre les parties au conflit. 

Fribourg le 19 septembre 2024. Mgr Willy Ngumbi Ngengele, évêque de Goma | © Bernard Hallet
24 septembre 2024 | 17:10
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 8  min.
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