Mgr Pierre-Célestin Tshitoko remet un diplôme à une enseignante | capture d'écran Facebook
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Mgr Tshitoko: «Nous devons sortir du cléricalisme»

«Nous devons sortir du cléricalisme, travailler avec le peuple de Dieu en commençant par l’écouter. L’Eglise n’est seulement l’affaire des évêques et des prêtres, mais celle de tous», souligne Mgr Pierre-Célestin Tshitoko Mamba. L’évêque de Luebo, au Congo RDC, a représenté son pays au synode réuni à Rome du 4 au 29 octobre 2023.

Maurice Page, de retour de Rome

«La sortie du cléricalisme demande un changement de mentalité, y compris chez nous en Afrique. Nous devons déjà y faire davantage attention dans nos séminaires pour que nos futurs prêtres soient sensibilisés», note le prélat.

Mgr Pierre-Célestin Tshitoko Mamba est évêque de Luebo en RDC depuis 2006 | DR

Quelle expérience retenez-vous de cette assemblée romaine?
C’était une expérience heureuse. Tout le monde était joyeux de vivre ce moment. Ce qui ressort est la joie et pas les crises. La joie de se retrouver en Eglise universelle pour partager nos expérience de vivre la foi en Jésus-Christ. Nous étions autour d’une table. Il n’y avait pas d’un côté les dirigeants et de l’autre les fidèles. Cela correspond assez bien à la palabre africaine où on discute autour du feu. Chacun a pu se libérer et dire ce qu’il pense. Cette liberté a beaucoup plu. La méthode de la conversation dans l’Esprit permet à chacun de s’exprimer. De dire ce qui l’a touché et les intermèdes de silence ont aidé à créer cette ambiance ‘chrétienne’.

«Mon diocèse de Luebo fait environ 32’000 km2, soit les 3/4 de la Suisse, pour environ 1,2 million de baptisés, mais je n’ai qu’une cinquantaine de prêtres»

Vous venez d’une Eglise jeune, quel message voulez-vous faire passer?
Le Congo RDC continue de traverser une période difficile avec la guerre à l’est du pays. Nous voulions d’abord partager cette expérience douloureuse de souffrance, de misère, de guerre. Nous avons trouvé la compassion des représentants d’autres Eglises. Le souci de la paix était très présent, surtout dans les prières. Il faut que Dieu nous montre le chemin de la paix. Quand le pape est venu en RDC en février dernier, les victimes sont allées le voir et il a pleuré à l’écoute de leurs témoignages. La misère et l’exploitation sont le résultat de ce conflit.

Votre diocèse de Luebo, se situe dans le Kasaï au centre du pays. Quelle est la situation actuelle?
Aujourd’hui, après les violences qui ont secoué la région en 2016-2017, la situation est plus calme, mais la misère domine. J’ai l’impression qu’avec le conflit en Ukraine, l’attention se focalise sur ce pays, mais que le Congo est un peu oublié.
Mon diocèse de Luebo fait environ 32’000 km2, soit les 3/4 de la Suisse, pour environ 1,2 million de baptisés, mais je n’ai qu’une cinquantaine de prêtres, cela ne suffit pas. Nous faisons donc appel aux laïcs comme catéchistes et responsables de communauté. Ils vont d’ailleurs se réunir prochainement pour réfléchir au développement de la pastorale. Je vais partager avec eux ce que j’ai vécu à Rome.

La cathédrale St-Jean Baptiste de Luebo, en RDC | capture d’écran Facebook

Des femmes et hommes laïcs ont participé au synode. Comment avez-vous reçu leur présence?
Nous avons entendu la voix du peuple de Dieu. L’Eglise n’est pas que les évêques. Les laïcs étaient heureux de pouvoir parler et manger à la même table avec les évêques, de voir leur voix entendue.

La place et le rôle des femmes en Eglise a été un des thèmes de la discussion. Comment voyez-vous ce rôle?
Nous devons encore faire de grands efforts. Ce sont les femmes qui font vivre la famille par le travail des champs ou l’éducation des enfants. Mais l’instruction ne suit pas, même la base. Nous les poussons dans ce sens, afin qu’elles puissent prendre des responsabilités. Nous les trouvons cependant très nombreuses dans les mouvements d’action catholique, plus que les hommes.

«En Occident, l’Eglise est vue comme une entreprise et les évêques comme des entrepreneurs. En Afrique, nous voulons être des pères de l’Eglise-famille.»

La question de l’autorité de l’évêque a également été débattue.
Chez nous, en Afrique et au Congo, nous avons développé le concept d’Eglise Famille. Dans une famille, il y a le père qui doit assumer son rôle à l’image du père biblique. L’évêque est le père de cette famille. En Occident l’image du père ne passe plus forcément, car elle est très dévalorisée. Il en ressort que l’Eglise est vue comme une entreprise et les évêques comme des entrepreneurs qui doivent tout gérer. Avec tout cela l’évêque n’a plus le temps d’être proche du peuple de Dieu.

Un des commentateurs du synode a dit que les évêques ne doivent pas être des chiens muets.
Les évêques ne peuvent pas être muets devant la misère, l’exploitation, les injustices. Nous devons être des prophètes. Notre rôle est d’aider le pouvoir politique pour qu’il soit capable de mieux s’occuper de la vie des gens. ‘Servir et ne pas se servir’ comme disait notre ancien président Mobutu! (rires)

«Dans la culture africaine, l’homosexuel est considéré comme un sorcier dans le sens où il est celui qui rompt l’ordre social et attise ainsi la malédiction sur le village»

Homosexualité, ordination des femmes, abandon du célibat obligatoire pour les prêtres, telles étaient les questions des Eglises d’Occident. Comment le recevez-vous? 
Quelles sont les priorités pour nous? Ce ne sont pas ces questions là, mais la misère, la guerre, la peur du lendemain. Améliorer le niveau de vie de la population entre autres en développant les infrastructures constitue une urgence plus importante. Imaginer qu’il me faut parfois plusieurs heures pour faire 50 km.
Il faut aussi bien sûr aussi parler de la culture qui n’accepte pas l’homosexualité. L’homosexuel est considéré comme un sorcier dans le sens où il est celui qui rompt l’ordre social et attise ainsi la malédiction sur le village.
De fait le synode a surtout parlé de la mission de l’Eglise, l’évangélisation. Comment arriver à être ensemble, à faire communion? Comment faire participer tout le monde?

«La croissance de l’Eglise en RDC souffre de la prolifération de groupes de réveil qui promettent un salut immédiat»

L’Eglise au Congo RDC reste en croissance.
Oui, mais cette croissance souffre de la prolifération de groupes de réveil qui promettent un salut immédiat. A cause de la misère la tentation est forte d’aller dans ces Eglises qui offrent des solutions faciles. Si un malade qui n’a pas de quoi payer le médecin va dans une de ces Eglises on lui dira: «nous allons prier pour toi et tu seras guéri». L’animation et la formation des laïcs sont les moyens pour défendre une foi saine dans une vision vraiment pastorale.

Une des solutions proposées est la décentralisation avec des pouvoirs données aux continents, aux régions ou aux conférences épiscopales.
Oui et cela comment déjà au niveau diocésain. L’Eglise synodale c’est la partage des responsabilités entre tous. L’évêque ne peut pas tout faire. L’assemblée synodale recommande par exemple qu’il s’entoure non seulement d’un conseil presbytéral, mais aussi d’un conseil pastoral. Le synode n’est pas encore fini. La seconde étape apportera encore d’autres réponses. (cath.ch/mp)

Mgr Pierre-Célestin Tshitoko Mamba
Né le 23 février 1956, ordonné prêtre le 22 Août 1982, Pierre-Célestin Tshitoko Mamba a été nommé évêque de Luebo en 2006. Il a pour devise : «Ut Unum Sint» (Que tous soient un). Docteur en théologie biblique, il était jusque là recteur du Grand séminaire interdiocésain du Kasaï, le Philosophicum Christ-Roi de Kabwe. MP

Mgr Pierre-Célestin Tshitoko remet un diplôme à une enseignante | capture d'écran Facebook
5 novembre 2023 | 17:02
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
Afrique (286), Congo RDC (155), Eglise-famille (1), synodalité (78), Synode (178)
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