Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas (photo Maurice Page)
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Mgr Samir Nassar: «Nous devons vivre à l'ombre de l'islam»

«Pour les chrétiens d’Orient, la seule solution est de vivre à l’ombre de l’islam», estime Mgr Samir Nassar. Devant les journalistes catholiques francophones réunis à Annecy, l’archevêque maronite de Damas a relevé que l’islam est aujourd’hui incapable d’adhérer aux valeurs de la modernité occidentale que sont la liberté, l’égalité et la fraternité.

Mgr Nassar qui a survécu a deux guerres, celle du Liban dans les années 1980 et celle qui ravage la Syrie depuis cinq ans, ne voit aujourd’hui pas d’autre solution pour les petites minorités chrétiennes de Syrie et d’Irak que la soumission à la majorité musulmane. Quitte à faire l’impasse sur l’égalité des droits et sur la liberté religieuse.

L’islam n’est pas prêt à intégrer les droits de l’homme.

Deux principes pourtant centraux de l’exhortation apostolique post-synodale sur l’Eglise au Moyen-Orient publiée par Benoît XVI en 2012. «Cela reste des souhaits, commente Mgr Nassar. L’islam n’est pas prêt à intégrer les droits de l’homme. Ils ne peuvent pas être imposés de l’extérieur, mais doivent surgir de l’islam lui-même. Sur le terrain cela ne passe pas. Si nous voulons choisir la liberté, l’égalité et la fraternité, il nous faut plier bagage et aller ailleurs.»

Liberté, égalité et fraternité ne sont pas des valeurs islamiques

Quel avenir face à la violence, la pauvreté l’intolérance pour les chrétiens des pays en guerre s’est interrogé le prélat maronite devant les plus de 250 participants aux 20e Journées François de Sales réunis les 21 et 22 janvier 2016 à Annecy. La première solution est le départ vers la diaspora. «Ce que nous conseillent parfois nos amis occidentaux. Sydney est aujourd’hui la plus grande ville maronite au monde, devant Beyrouth. Mais peut-on simplement partir et fermer la porte? Abandonner ses racines, briser ses traditions?»

La deuxième solution serait l’alliance de minorités avec les kurdes, les druzes, les alaouites, les chiites ou d’autres encore. Mais il s’agit là clairement d’une alliance contre-nature. Et qui en outre aurait peu de chances face à une majorité musulmane écrasante.

La troisième solution est d’obtenir la protection des puissances étrangères. Mais elle n’est pas moins aléatoire que les deux précédentes. Car elle risque fort de ne pas être durable et d’exposer les chrétiens à la vengeance et aux représailles après sa disparition.

«Nous avons vécu avec l’islam depuis des siècles avec un certain nombre de codes qui peuvent nous déplaire, mais qui nous ont permis de vivre plus ou moins en paix.» Pour l’archevêque maronite de Damas, qui précise parler en son nom personnel, cette quatrième solution est la seule viable. «Il nous faut renouer avec l’antique tradition et vivre à l’ombre de l’islam». Ce qui peut, reconnaît-il, sonner de manière étrange aux oreilles des Occidentaux nourris aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Ne pas focaliser l’attention sur les chrétiens

Le prélat maronite va même plus loin quand il estime que trop focaliser l’attention sur le sort des chrétiens d’Orient, alors que la majorité musulmane de la population souffre tout autant, risque d’attirer la suspicion des musulmans.

Les chrétiens sont considérés par les musulmans comme la 5e colonne de l’Occident

Bien que les chrétiens soient présents en Syrie depuis les temps apostoliques et qu’ils soient restés majoritaires dans le pays jusqu’au XIIIe siècle, ils sont considérés par les musulmans comme la 5e colonne de l’Occident «Or, nous sommes des Syriens et des Irakiens avant d’être des chrétiens, amis des chrétiens occidentaux.»

Préparer un chemin d’avenir

Mgr Nassar n’est cependant pas résigné, il reste décidé à affronter les défis qui se présentent. Pour préparer un chemin d’avenir, les responsables des treize confessions chrétiennes de Syrie ont réfléchi à des pistes de réformes, explique-t-il. La première est de vivre un œcuménisme plus fort entre chrétiens qui bien souvent se contentent de se cotoyer quand ils ne se font pas directement concurrence. Faire une plus large place aux jeunes, favoriser l’apostolat des laïcs dans des Eglises encore très cléricales est la deuxième option suggérée. La troisième piste est celle d’un dialogue approfondi avec l’islam au-delà de simples rencontres de courtoisie. Enfin, l’enseignement de la doctrine sociale de l’Eglise est un axe fort du processus de réforme auquel sont appelées les Eglises chrétiennes du Moyen-Orient.

Le dialogue de la vie quotidienne

Il reste aussi le dialogue de la vie quotidienne avec les musulmans. Mgr Nassar y voit un enrichissement mutuel possible. «Les musulmans nous poussent à afficher notre foi. Ils font leurs prières en tous lieux, ne se cachent pas.» La prière quotidienne et le jeûne du ramadan qui sont des piliers de l’islam, peuvent aussi constituer un exemple pour les chrétiens. Tout comme l’exigence de l’aumône, qui, selon Mgr Nassar, a permis à la société syrienne de ne pas s’effondrer totalement. Dans le sens inverse, les chrétiens apportent une ouverture. «Pas mal de musulmans entrent dans nos églises, suivent la messe, écoutent la parole de Dieu et son commentaire. Quelques-uns demandent le baptême. Nous les catéchisons et les envoyons se faire baptiser au Liban, car en Syrie changer de religion reste interdit.» Les chrétiens interpellent aussi les musulmans sur la place et le rôle de la femme, dans la famille et la société. (cath.ch-apic/mp)

Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas (photo Maurice Page)
23 janvier 2016 | 12:46
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
Chrétiens d'Orient (63), Damas (16), Irak (322), Samir Nassar (5), Syrie (437)
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