Mgr Samir Nassar: «Notre foi est intacte»
Mgr Samir Nassar, évêque maronite de Damas, a donné une conférence témoignage à l’Abbaye de Saint-Maurice le 16 mars 2017. Il décrit les conditions extrêmes de survie des chrétiens d’Orient pris dans une guerre «islamo-islamique et économique», mais qui ont gardé une foi intacte.
«Nous sommes comme un chat noir, dans un sac noir qui se trouve dans une chambre noire», résume, fataliste, Mgr Samir Nassar, évêque maronite de Damas, évoquant la situation des chrétiens en Syrie. Il appuie son témoignage sur un album photo qu’il a ramené de Damas.
L’évêque fait défiler les premières images, lointain souvenir d’une communauté chrétienne qui se rassemblait pour les grandes fêtes religieuses, processionnait dans les ruelles de la vieille ville de Damas, «celles par lesquelles saint Paul était passé». Suivent les photos de la célébration de la Saint-Maroun qui rassemblait des représentants des chrétiens d’Orient. Les photos de groupes scouts succèdent à celles des grandes assemblées à la messe des Rameaux, de la catéchèse des enfants et des célébrations des premières communions. C’était avant la guerre.
«Nous n’avons pas eu une première communion depuis 5 ans. La pastorale des enfants est perdue». Même si une tournée en bus est organisée dans les différents quartiers de Damas, il est très difficile de faire venir les jeunes pour qu’ils suivent la catéchèse. «Nous célébrons parfois la messe pour cinq ou six fidèles, quand ils arrivent à venir. Depuis le début de la guerre, nous ne faisons plus rien à l’extérieur: ni procession, ni chemin de croix», indique ensuite l’évêque de Damas.
Une foi intacte
Les chrétiens qui n’ont pas pu fuir «gardent une foi intacte, qui donne la foi aux pasteurs». Mgr Nassar rend grâce à ces mamans extraordinaires qui tiennent à bout de bras ce qu’il reste de la cellule familiale. Les pères sont absents: tous les hommes de moins de 45 ans ont été mobilisés. Beaucoup ont fui le pays, dans l’espoir de trouver du travail ailleurs. La famille reste, dans ce désastre, le pilier de la transmission de la foi, dont les grands-parents sont les principaux artisans. Mgr Nassar insiste également sur l’importance de la liturgie et de l’étude des icônes, de véritables catéchèses, comme autre moyen de transmettre la foi aux plus jeunes.
500’000 morts en six ans de guerre
Sur l’écran défilent alors des vues d’églises éventrées par les bombardements, des cadavres dans les rues, recouverts à la hâte en attendant de pouvoir aller les chercher sans risquer sa vie. Des quartiers en ruines, des rues défoncées sont les seuls horizons des Damascènes. L’évêque explique que les habitations qui se sont effondrées sur leurs occupants leur servent de tombe. Il n’y avait ni les moyens ni le temps d’extraire les corps des décombres. Faute de chirurgiens compétents, ils sont morts ou partis, on ampute les victimes des bombardements. «82’000 personnes amputées d’un pied attendent une prothèse».
Le conflit, entré dans sa septième année le 15 mars dernier, a déjà fait 500’000 morts et plus de 4 millions de réfugiés. Le propos sobre de l’évêque résonne dans une basilique silencieuse et contraste avec la violence des images.
Une guerre mondiale fragmentée
«Nous sommes dans la 3e guerre mondiale fragmentée, dans laquelle sont impliqués plus de 85 pays». Les chrétiens subissent, selon lui, une guerre islamo-islamiste où les musulmans chiites et sunnites se déchirent par factions interposées pour imposer leur courant religieux.
«On se bat pour vous vendre du gaz», affirme-t-il. Deux camps s’affrontent en Syrie pour le marché européen du gaz: d’un côté le Qatar, soutenu par les Etats-Unis, qui a le projet de construire un gazoduc qui passerait par la Syrie pour acheminer son gaz à bas coût vers l’Europe. La Russie, de l’autre côté, qui voit ce projet comme une menace sur ses exportations de gaz dans un marché qu’elle domine et qui représente de gros débouchés pour son économie. La Russie serait intervenue en Syrie pour faire avorter le projet qatari qui coûterait très cher à son économie.
Les chrétiens doivent rester
«Je remets les chrétiens de Syrie dans vos prière», lance l’évêque qui souhaite le retour à la paix et à la cohabitation entre musulmans et chrétiens qui existait avant la guerre. L’Eglise doit être une messagère de paix. Il reste cependant pessimiste sur le retour des chrétiens au pays après la guerre. «Les chrétiens doivent rester. S’ils partent, ils ne reviendront pas. Je les aide du mieux que je peux. En tout cas, je reste». (cath.ch/bh)
Les conférences de Carême de l’Abbaye de Saint-Maurice
Mgr Nassar est intervenu dans le cadre des conférences de Carême de l’Abbaye de Saint-Maurice. un cycle de conférences qui propose cette année de porter le regard sur d’autres chrétiens, géographiquement éloignés ou membres d’autres confessions. Les prochaines conférences se dérouleront les 23 et 30 mars 2017, à la basilique de l’Abbaye sur le thème de la Réforme et de l’œcuménisme. Une célébration pénitentielle aura lieu le 6 avril.